Je fais partie de ceux qui sont outragés par l’hypocrisie du gouvernement des USA lorsqu’il condamne les frappes israéliennes sur un refuge géré par les Nations Unies – d’un côté – et, de l’autre côté, annonce son zèle à renflouer les stocks de munitions des assassins de masse.
Je fais partie des admirateurs des gouvernements d’Amérique Latine qui, agissant pratiquement de concert, en un acte sans précédent, ont dénoncé le gouvernement israélien pour la mort et la destruction qu’il continue à semer sur des citoyens innocents. Alors que le président bolivien Evo Morales a déclaré qu’ Israel est un « Etat terroriste », d’autres chefs d’Etat ont condamné la « guerre d’extermination » contre le peuple palestinien et rappelé leurs ambassadeurs en poste en Israel.
D’une certaine façon, il est fort rassurant que les plus grandes manifestations de solidarité avec le peuple palestinien aient eu lieu non pas dans le monde arabe mais en Europe et en Amérique Latine. La question palestinienne n’est pas une affaire de musulmans, c’est une affaire humaine.
En Inde, rompant avec un consensus national vieux de plusieurs décennies, le nouveau gouvernement de l’ Alliance nationale démocratique n’a même pas permis au Parlement une discussion sur le sujet, bien qu’il ait dû se plier au sentiment général aux Nations Unies et voter avec la vaste majorité des membres pour censurer Israel.
Hors du Parlement, bien des groupes laïques ont organisé des marches de solidarité pro-palestinienne dans différentes parties du pays. Mais quiconque lit les journaux en urdu voit bien que, pour beaucoup trop de musulmans indiens, la Palestine, c’est une affaire religieuse.
Aux chefs religieux musulmans et aux media en urdu en Inde, j’ai à adresser quelques questions. Est ce que vous pleurez sur la souffrance de vos ‘frères musulmans’ ou bien sur celle de vos ‘frères humains’ ? Pourquoi ces sentiments enflammés à propos des continuelles atrocités perpétrées à Gaza/Palestine, mais un quasi silence à propos des crimes de masse quasi semblables commis dans l’Irak voisin par une armée de brutes qui s’est nommée l’Etat Islamique (autrefois appelée Etat Islamique d’Irak et du Levant - EIIL) et qui est dirigée par Abu Bakr al-Baghdadi, lequel s’est auto-proclamé le nouveau ‘calife’ du monde musulman tout entier ? La prétention à être calife a été traitée, je le sais bien, comme une blague idiote par beaucoup de gens. Mais qu’en est-il des crimes de ses partisans ?
Suis je en train de suggérer qu’il y a morale équivalence entre les fautes commises par un gouvernement élu, responsable devant les Nations Unies et devant d’autres instances internationales, avec celles d’une armée extrémiste d’acteurs non-étatiques ? Non. Mais qu’en est-il du fait que l’EI prétend agir au nom de l’Islam, une religion dont nous proclamons qu’elle est une religion de paix ? Ne devrions nous pas hurler plus fort que n’importe qui d’autre puisque « l’Etat Islamique » est supposé agir en votre nom et au mien ?
Ahmed Rashid, auteur pakistanais et expert sur la montée de l’extrémisme islamiste dans la région, voit dans « l’Etat Islamique » de « nouveaux talibans ». En conquérant de larges zones de l’Irak et de la Syrie au cours de ces derniers mois, l’Etat Islamique a imposé une version de l’Islam sur leurs frères sunnites (en gros la secte majoritaire parmi les musulmans) que même Al Qaeda n’arrive pas à avaler. Comme avec les taliban, les femmes sont les plus victimisées. Entre autres choses, elles ont été forcées sous la burqa intégrale (seuls les yeux peuvent être vus), n’ont pas le droit de paraitre où que ce soit dans un lieu public sans un chaperon mâle. Les chiites, pour l’Etat Islamique, sont des apostats qui méritent la mort.
Si l’Islam que l’Etat Islamique impose à nos frères musulmans sunnites mérite la plus ferme condamnation, l’ultimatum donné par al-Baghdadi il y a une quinzaine de jours aux quelques 5000 chrétiens de Mossoul - la deuxième ville plus importante d’Irak, maintenant passée sous leur contrôle - est - à tout le moins - méprisable : convertissez vous à l’Islam, quittez Mossoul, payez la jaziya ($ 450 par famille et par mois, selon certains rapports) ou bien périssez par l’épée. Inutile de dire que les malheureux chrétiens ont en masse quitté la ville .
Le christianisme en Irak est aussi vieux que cette religion elle même. « Deux mille ans d’une histoire magnifique, où les chrétiens et les musulmans se sont entraidés pendant des siècles, et maintenant c’et la fin du christianisme à Mossoul. Ce sont des nouvelles effroyables » se lamente le père Andrzej Halemba, coordinateur pour le Moyen-Orient de Aid for the Church in Need.
Une radio australienne a rapporté : « A Mossoul, Les combattants de l’EI ont apposé la lettre ’N’ pour nazaréen - ou chrétien - sur les murs des maisons appartenant à des chrétiens, avant de rassembler les résidents et de les dépouiller de leur argent, de leurs bijoux et même de leurs téléphones mobiles. Un autre rapport cite l’avocate des droits humains Nina Shea qui dit : « Une vieille femme qui avait avec elle ses économies de toute une vie, $40 000, leur dit : « est ce que je peux garder $100 ? » et ils ont dit non. Ils arrachaient des doigts les alliances de mariage, tranchant les doigts quand ils ne pouvaient pas retirer la bague. »
Ayez une pensée pour Mahmoud Al Asali, professeur de droit à l’Université de Mossoul. Al Asali eut le courage d’affirmer que l’ultimatum lancé aux chrétiens était contraire aux enseignements de l’Islam. Il fut promptement exécuté.
Forcés à fuir Mossoul, la plupart des chrétiens ont trouvé refuge et sécurité au Kurdistan irakien où 94% de la population est musulmane. Mais l’Islam qu’ils pratiquent dans la région autonome est différent de celui que l’Etat Islamique impose par la force. En juin 2012, le gouvernement régional kurde a déclaré que l’education dans les écoles serait neutre en matière de religion ; les élèves recevront un enseignement sur toutes les grandes religions du monde, de façon égalitaire.
Les réponses qu’ont apportées le défunt professeur Al Asali, les kurdes du Kurdistan, et les chiites de Najaf et Kerbala, aux souffrances des chrétiens déplacés de Mossoul montrent que, comme dans le cas de la protestation mondiale contre le sort des Palestiniens, pour eux aussi ce n’est pas une question de religion, mais bien celle de notre commune humanité. Les atrocités perpétrées par l’Etat Islamique ont aussi peu à voir avec l’Islam que la tyrannie des sionistes a à voir avec le judaïsme.
* Première publication : http://www.asianage.com/columnists/... The Asian Age/Deccan Chronicle.
Traduction de l’article de Javed ANAND publié sur siawi Source : http://www.siawi.org/article7883.html
* Traduction Marieme Helie Lucas.
* Javed Anand est co-éditeur de Communalism Combat, et Secrétaire Général de Muslims for Secular Democracy.