Tiré de Equal Times.
En dépit des condamnations émises par la communauté internationale concernant leur situation, leur avenir reste incertain. Ces hommes sont les victimes de politiques du gouvernement australien visant les demandeurs d’asile qui tentent d’atteindre ses côtes par la mer.
À la fin du mois de novembre dernier, 606 réfugiés et demandeurs d’asile ont été déplacés, certains de force, d’un centre de détention insalubre sur une base navale de Papouasie–Nouvelle-Guinée ; lieu où six hommes sont morts et de nombreux autres ont subi des lésions suite à la violence infligée par d’autres détenus ou encore par eux-mêmes. Cette mesure faisait suite à la décision du gouvernement de la Papouasie–Nouvelle-Guinée de déclarer « anticonstitutionnel » le Centre australien de traitement extraterritorial (Offshore Processing Centre [OPC]) et de le fermer.
Des centaines d’hommes avaient refusé de quitter le centre, par crainte de se faire attaquer par certains habitants de la région. Pendant le face-à-face, les hommes restèrent trois semaines sans eau courante, ni nourriture, ni électricité. Même s’ils étaient sous la responsabilité de l’un des pays les plus riches du monde, les détenus ont survécu en stockant de l’eau de pluie dans des poubelles et en fouillant pour trouver de la nourriture. La confrontation a pris fin lorsque les hommes furent emmenés de force vers un nouveau site encore inachevé ailleurs sur l’île. Les conditions et les services de ce nouveau centre de détention ont été qualifiés de « totalement insuffisants » par les Nations unies.
Depuis le transfert, le gouvernement du Premier ministre Malcolm Turnbull (du Parti libéral conservateur) a refusé que des professionnels de la santé indépendants puissent examiner les hommes. Le gouvernement a également rejeté les demandes de médecins chevronnés qui se disaient « profondément inquiets » pour la santé physique et mentale de ces hommes.
L’Australie ayant refusé d’accepter toute personne arrivant en Australie pour s’y installer, les hommes de Manus sont confrontés à un choix difficile : s’installer en Papouasie–Nouvelle-Guinée, retourner dans leur pays d’origine ou attendre dans l’incertitude qu’un autre pays les accepte.
Il était signalé le mois dernier que 200 hommes détenus sur l’île de Manus et la minuscule république micronésienne de Nauru pourraient éventuellement rejoindre les États-Unis grâce à un accord conclu avec l’administration Obama. Le sort des autres réfugiés reste toutefois incertain.
Dans le même temps, la délocalisation de la gestion des réfugiés australiens vers la Papouasie–Nouvelle-Guinée provoque des frictions avec la population locale de Manus. Dans un pays aux prises avec ses propres troubles et problèmes liés à la pauvreté, l’imposition sur son sol d’une communauté de réfugiés transplantés a incité les propriétaires fonciers locaux à protester en bloquant les accès aux centres construits par l’Australie.
Des détenus affirment avoir reçu des menaces de mort de la part de la population locale et des vidéos récentes corroborent leurs déclarations. La réaction de Peter Dutton, ministre des Affaires intérieures (un nouveau « super ministère » chargé de l’immigration annoncé avant Noël), a consisté à accuser les demandeurs d’asile et leurs défenseurs de fabrication.
La liste des organisations que Dutton a accusées d’avoir tort ou d’avoir menti ne cesse de s’allonger, notamment : Amnesty International, le Conseil australien des syndicats, du gouvernement de la Nouvelle-Zélande, la Cour suprême de Papouasie–Nouvelle-Guinée, plus d’une centaine de pays membres des Nations unies et parfois même son propre ministère.
Au cours des trois années où Manus et Nauru étaient sous la responsabilité de Dutton, des meurtres et des suicides ont été rapportés, ainsi que des décès imputables au manque de soins médicaux. Deux personnes se sont immolées par le feu ; d’autres ont essayé d’avaler des lames de rasoir ou des produits chimiques. Des adultes et des enfants se sont cousu les lèvres, tandis que des émeutes et de nombreux cas d’agressions physiques et sexuelles entre détenus, gardiens et habitants de la localité ont été signalés.
« En 43 ans de carrière, je n’ai jamais vu autant d’atrocités que celles auxquelles j’ai assisté dans les prisons de l’île de Manus et de Nauru, » déclarait l’an dernier au Guardian un spécialiste des traumatismes qui y avait été déployé.
« Ils ne pourront pas s’installer ici »
L’ancien ministre de la Justice australien a récemment affirmé que « l’Australie, par habitant, menait le programme de migration humanitaire et d’accueil des réfugiés le plus généreux du monde ». S’il est vrai que seul le Canada accepte actuellement un plus grand nombre de réfugiés que l’Australie par l’entremise de la « réinstallation extraterritoriale » (réinstallation des personnes considérées comme de véritables réfugiés résidant dans un autre pays hôte), ces programmes ne représentent qu’une infime proportion de la réponse de la communauté internationale à la crise mondiale des réfugiés. Les critiques soutiennent par ailleurs que, compte tenu de la taille du pays et de son énorme richesse économique, l’Australie devrait être plus généreuse.
La majorité des personnes cherchant refuge en Australie arrivent par avion avec un visa (de tourisme) valide et demandent l’asile à leur arrivée. Mais tout le monde n’a pas accès à l’avion. Pour toutes sortes de raisons, les demandeurs d’asile de pays comme l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan et l’Iran aboutissent dans les pays voisins de l’Asie du Sud-Est.
Confrontés à un avenir incertain et à de longs délais dans leur réinstallation, leur dernier recours peut consister à payer des passeurs en Indonésie et au Sri Lanka pour tenter d’atteindre les côtes australiennes par la mer. Les personnes interceptées sur un bateau sont administrées en dehors du territoire australien, soit à Manus, soit à Nauru ; une politique en vigueur depuis 2012, date à laquelle le gouvernement travailliste de l’époque annonçait que quiconque arriverait par la mer ne serait pas autorisé à s’installer en Australie. Toutefois, une fois leurs demandes traitées, la vaste majorité des demandeurs d’asile dans les OPC sont considérés comme étant des réfugiés véritables.
Dutton a admis que cette politique, qui a été maintenue par les gouvernements conservateurs, était « intransigeante », mais nécessaire pour s’assurer que les gens arrivent « d’une manière ordonnée » et pour combattre les passeurs. En conséquence, la politique de l’Australie n’a qu’un seul critère de réussite : dissuader les bateaux des passeurs.
Néanmoins, les bateaux continuent à arriver. Sauf que désormais, un « anneau d’acier » de plusieurs milliards de dollars, s’étendant sur les eaux du nord de l’Australie, les empêche d’atteindre les côtes australiennes. Les bateaux interceptés sont refoulés et selon certaines allégations, les autorités australiennes les auraient même soudoyés pour y arriver.
« À l’heure actuelle, plus de 2000 personnes croupissent dans des îles isolées du Pacifique et sont prises en otage par cette politique, » déclare Amy Frew, une avocate pour le Human Rights Law Centre d’Australie, à Equal Times. « Le fait que certaines personnes embarquent sur des bateaux est la preuve de l’échec d’une approche régionale de la gestion des flux des demandeurs d’asile. »
Pour le gouvernement, peu importe que les bateaux rebroussent chemin, qu’ils coulent ailleurs dans d’autres eaux ou que leurs passagers repartent vers les persécutions qu’ils fuyaient au départ ; rien de tout cela ne semble avoir une quelconque pertinence.
Shen Narayanasamy, directrice de la campagne des droits de l’homme du groupe de plaidoyer GetUp, affirme que la confidentialité qui entoure les opérations aux frontières du gouvernement signifie que le public n’a aucun moyen de vérifier la sécurité des refoulements de bateaux.
« La fixation de l’Australie sur les arrivées de bateaux et le discours xénophobe promu par les politiciens de tous bords a créé un climat où la cruauté intolérable envers les demandeurs d’asile est permise et saluée par le public, » déclare Narayanasamy à Equal Times.
L’opposition travailliste a emboîté le pas au gouvernement. C’est un gouvernement travailliste qui a rouvert le centre de Manus en 2012 et qui a par la suite soutenu les politiques intransigeantes du gouvernement conservateur dirigé par Tony Abbott.
Dutton n’est qu’un politicien parmi tant d’autres s’accrochant désespérément à une politique aux résultats sanglants et chaotiques, exigeant une dissonance cognitive bureaucratique dictant que pour sauver la vie des personnes arrivant par la mer, l’Australie doit punir les arrivées par la mer. Le gouvernement soutient que toutes les souffrances que subissent les détenus sont nécessaires, tout en exploitant les tensions raciales latentes d’un électorat exténué.
C’est en 2012, avant le début de la politique australienne au large des côtes, que Savitri Taylor, professeure à l’Université La Trobe de Melbourne, écrivait avec clairvoyance :
« Si notre unique préoccupation consiste à arrêter le flux des bateaux, l’une des options évidentes est de faire en sorte que le traitement de ceux qui arrivent par la mer en Australie soit bien pire que celui qu’ils recevront dans un autre pays de la région. Cela pourrait marcher. Naturellement, nous serions obligés de sombrer si bas que nous ne serions même plus en mesure de faire semblant de nous soucier des droits de l’homme et de la primauté du droit. »
La politisation de l’arrivée de « l’autre »
Il n’en a pas toujours été ainsi. L’Australie fut l’un des premiers pays à signer la Convention des Nations unies de 1951 sur les réfugiés. Par ailleurs, c’est un gouvernement conservateur qui en 1976 accueillait des milliers de « boat people », réfugiés du Vietnam. Cette bienveillance prit fin en 2001, lorsque le Premier ministre John Howard, confronté à une défaite électorale probable, se saisit de deux incidents maritimes et politisa le discours national sur les réfugiés.
En août 2001, un cargo norvégien, le MV Tampa, secourait 433 demandeurs d’asile principalement afghans sur leur embarcation en détresse. Le Tampa approchant du territoire australien de l’île Christmas, Howard déploya des troupes antiterroristes pour monter à bord du navire tout en introduisant de nouvelles lois d’urgence afin de renvoyer les navires des eaux australiennes.
Deux mois plus tard, un autre bateau de réfugiés sombrait, forçant la marine australienne à procéder à un sauvetage spectaculaire. Une fois secourus cependant, les ministres de l’Immigration et de la Défense accusèrent les demandeurs d’asile d’avoir délibérément coulé leur navire et jeté leurs enfants par-dessus bord.
Les attentats du 11 septembre se produisirent entre ces deux incidents. Dans un tel climat de terreur, le gouvernement Howard exploita un sinistre sentiment de peur raciste, dans un pays où les politiques de l’« Australie blanche » en matière de migration exclusivement blanche avait perdurées jusqu’en 1966.
Soutenu et encouragé par une presse d’extrême droite enragée et des animateurs de radio provocateurs, Howard établit un amalgame entre les demandes d’asile et la guerre dite « contre le terrorisme ». Dans les sondages d’opinion, Howard et ses politiques jouirent d’un vaste soutien.
« Soudain, le message changea et il n’y avait plus de terroristes, il y avait des terroristes musulmans et il n’y avait plus de boat people, il y avait des boat people musulmans, » a déclaré l’avocat des droits de l’homme Julian Burnside, dans le livre de Sasha Polakow-Suransky qui a paru récemment : « Go Back to Where You Came From : The Backlash Against Immigration and the Fate of Western Democracy ».
Près de deux décennies plus tard, la position intransigeante de l’Australie se maintient sans lumière au bout du tunnel en vue pour ceux qui ont été déplacés vers Manus et Nauru.
« L’Australie, en sa qualité de pays riche, est tout à fait en mesure d’instituer un mécanisme équitable et conforme aux normes internationales pour évaluer les demandes d’asile et a la capacité d’éviter les morts en mer en collaborant avec l’ensemble de la région pour offrir des solutions alternatives à ceux qui cherchent la sécurité, » déclare Narayanasamy.
Frew partage cet avis. « Le gouvernement doit endosser un rôle de chef de file dans la région et adopter une réponse humaine et fondée sur des principes aux demandeurs d’asile. Il doit porter son regard au-delà de nos frontières et nouer des contacts productifs avec d’autres pays afin d’assurer des canaux sûrs aux personnes qui fuient la persécution, et ce, afin qu’elles puissent trouver un endroit sûr où reconstruire leur vie. »
Cet article a été traduit de l’anglais.
Un message, un commentaire ?