Tiré de Entre les lignes et les mots
Les postures équidistantes, neutres et pacifistes, ne servent à rien : la guerre contre l’Ukraine est la guerre d’un tyran doté d’armes atomiques et de prétentions d’empereur. On ne peut pas s’être opposé à la guerre du Vietnam et les invasions du Panama et de l’Irak – entre autres – puis défendre une guerre impérialiste classique. Si on navigue sous pavillon anti-impérialiste, on est aux côtés de l’Ukraine et de sa lutte pour la souveraineté et l’autodétermination.
La guerre de Poutine contre l’Ukraine est une guerre qui rassemble l’essence des guerres impérialistes dans sa dimension la plus politique : la conquête de territoires au-delà des frontières afin de renforcer le pouvoir géopolitique de l’agresseur contre d’autres puissances qu’il considère comme une menace pour sa survie. De ce point de vue, certain·es pourraient justifier l’agression russe comme étant une guerre préventive, mais cela ne la rendrait pas moins impérialiste, puisqu’elle est lancée pour rétablir ce que les Prussiens appelaient le lebensraum, la doctrine de l’espace vital que les nazis ont adoptée pour justifier l’invasion des États voisins qu’ils considéraient comme leurs zones d’influence.
Les mêmes arguments que Hitler avait utilisés pour annexer l’Autriche (langue, culture et histoire communes) sont ceux que Poutine a utilisés pour tenter d’écraser l’Ukraine. Si pour l’un la construction de la Grande Allemagne était le méta-récit justificatif, pour l’autre, la reconstruction de la Grande Russie est une mission historique devant laquelle les autres peuples d’Europe centrale doivent s’incliner.
Á cette voracité géopolitique, il faut ajouter également la vocation d’extermination de Poutine visant la population ukrainienne qui a refusé d’obéir docilement aux ordres de l’envahisseur. Á la manière des tyrans de l’Antiquité, Poutine a déclenché une campagne de destruction calculée du pays et de la société. Les bombardements éhontés de la population civile n’ont aucune justification pour l’envahisseur et ne méritent pas les silences complices de celles et ceux qui sont censé·es être équidistant·es, pas plus que la destruction calculée de la capacité de production de l’un des greniers du monde. La politique de la terre brûlée dans les villes et les campagnes pratiquée par le satrape de Moscou est la même que celle appliquée par d’autres puissances impériales pour punir la résistance des peuples et envoyer un message à ceux qui auraient osé s’opposer à leurs plans expansionnistes.
Que l’on soit pour ou contre l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN, celle-ci est le résultat de la volonté des citoyens ukrainiens, elle s’est exprimée par des élections successives des autorités nationales et – plus clairement – par le rejet des envahisseurs. Conformément au droit international, aucun gouvernement étranger, quel que soit le nombre d’armes atomiques dont il dispose, ne peut s’ériger au-dessus de la souveraineté de l’Ukraine pour lui imposer une politique de sécurité nationale qui violerait son indépendance.
Depuis ses origines, l’anti-impérialisme a été essentiellement anticolonialiste et de gauche, en rejetant franchement les politiques expansionnistes des anciens empires européens en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Plus tard, il s’est étendu au rejet de l’impérialisme américain, qui, en tant que puissance hégémonique dans le monde, est devenu son pendant sur la scène internationale. L’anti-impérialisme était, par excellence, une position de la gauche contre l’impérialisme américain dans sa triple expression : militaire, géopolitique et financière. Si vous étiez de gauche, vous étiez anti-impérialiste et vice versa. Jusqu’à ce que l’Union soviétique envahisse la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Cette dernière opération avait divisé la gauche mondiale, dont un courant avait inventé le terme de social-impérialisme pour le différencier de la version capitaliste.
L’effondrement de l’Union soviétique et la conversion progressive de la Chine au capitalisme d’État ont laissé la gauche dogmatique sans références. Celle-ci, au lieu de se réinitialiser et de reconnaître l’entrée des régimes russe et chinois dans la famille de l’impérialisme, s’est retrouvée sans doctrine et sans praxis. Cette gauche « radis » (rouge à l’extérieur, blanche dans le cerveau) a été – une nouvelle fois – prise au dépourvu par l’invasion de l’Ukraine par Poutine.
Pourquoi une certaine gauche prétendument anti-impérialiste est-elle aveugle à l’heure de reconnaître les atrocités commises par un régime comme le régime russe qui ne peut ni se prévaloir des fondements idéologiques d’antan ni prétendre être une alternative au capitalisme mondial ? Pourquoi refuse-t-elle d’accepter que la Russie d’aujourd’hui est une cathédrale de plus du capitalisme le plus prédateur, soutenue par des oligarques appartenant à un stade avancé du capitalisme le plus sauvage, dans la finance et dans les ressources stratégiques comme le pétrole, le gaz et les céréales ? Pourquoi cette gauche fossilisée ne veut-elle pas prendre en compte les nombreuses preuves selon lesquelles le régime de Moscou non seulement n’est pas de gauche, mais qu’il est le principal promoteur de partis et de gouvernements d’extrême droite comme celui de la Hongrie, et le protecteur de théocraties sanguinaires comme celle de l’Iran ?
L’hypocrisie avec laquelle certain·es considèrent le génocide contre le peuple ukrainien est inacceptable, ils et elles ferment les yeux face aux massacres quotidiens de la population et se cachent les yeux face à la destruction d’un pays qui voulait seulement exercer son droit à l’autodétermination. En revanche, ceux et celles-là mêmes ont trouvé l’énergie de demander la levée des sanctions contre l’agresseur et condamner la fourniture d’armes aux attaqué·es.
Comme l’invasion de la Tchécoslovaquie, la guerre de Poutine contre l’Ukraine sera un tournant dans l’anti-impérialisme. Peu importent les positions équidistantes, la neutralité complice ou les arguments géopolitiques « intelligents », les champions de l’anti-impérialisme manquent chaque jour une occasion de se tenir aux côtés de l’Ukraine. C’est là-bas et maintenant. Les positions a posteriori seront la meilleure preuve du deux-poids deux-mesures qu’elles et ils traînent depuis de nombreuses années. Pas de double morale, pas de nuances : si vous êtes anti-impérialistes, vous êtes avec l’Ukraine.
Sans aucun doute, la phrase de l’oncle Ho est toujours d’actualité face aux tyrannies anciennes et nouvelles, aux impérialismes anciens et nouveaux.
Silvio Prado
Sociologue. Dirigeant du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) pendant près de quinze ans, jusqu’aux débuts des années1990.
Confidencial, 19 janvier 2023
https://www.confidencial.digital/opinion/el-antimperialismo-se-demuestra-en-ucrania/
Traduction Mariana Sanchez
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