Devant ce drame, le gouvernement de la CAQ n’a pas le choix de reconnaitre un problème énorme dans le réseau de la santé et des services mais les mesures proposées ne sont certainement pas à la hauteur du traumatisme collectif que nous vivons. Des sommes ont été investies dans les CHSLD et dans les ressources pour personnes aînées pour chercher à combler les déficits de personnels. Des décisions organisationnelles ont été prises pour améliorer le processus de prise de décision. Mais le redressement du réseau de la santé n’est pas en mesure de répondre aux attentes de l’ensemble de la population, et surtout des personnes aînées ainsi que des populations vulnérables au Québec. De plus, la pénurie du personnel ne semble pas s’être résorbée. Au contraire, la situation est alarmante chez les préposé.e.s aux bénéficiaires en CHSLD [2] ainsi que chez les infirmier.e.s dans l’ensemble du réseau de la santé. [3]
Non seulement, on envisage aucune réforme sérieuse ou un investissement suffisant, mais on trouve encore le moyen de créer des tactiques discursives pour camoufler la réalité sombre que nous pouvons observer dans le milieu sanitaire. Un nouveau concept est apparu dans le réseau des gestionnaires de la santé, c’est celui de l’agilité organisationnelle. [4] Il faut savoir être agile pour se sortir de la crise sanitaire et être en mesure d’affronter la nouvelle qui pourrait s’en venir. Même le nouveau Ministre Dufour a utilisé à quelques reprises dans ses conférences de presse. Qu’est-ce que veut dire ce concept d’agilité organisationnelle ? Comme d’habitude, il n’est pas défini dans les documents gouvernementaux. Mais nous pouvons en déduire qu’il s’agit tout simplement, pour les décideurs, de ne pas toujours attendre les directives du Ministre pour agir et développer une certaine marge de manœuvre pour organiser les services au sein des établissements. La consigne qui est lancée est : « Soyons moins rigide et ça devrait mieux fonctionner à l’avenir, deuxième vague ou non »
La pandémie causée par le Covid-19 a révélé des problèmes immenses dans le réseau de la santé et des services sociaux québécois. Elle a été révélatrice de la négligence importante qu’on a causée aux populations marginalisées qui ont passées sous le radar de la gestion néo-libérale dans le domaine de la santé depuis une vingtaine d’années. Au contraire, de ce qu’on pourrait penser, il y a eu beaucoup d’investissement dans ce domaine et en particulier, dans l’immobilier, dans la pharmaceutique et dans la haute technologie. Le néo-libéralisme s’est consolidé dans le réseau de la santé lorsqu’il a compris qu’il pouvait en retirer des gains sur le plan économique et symbolique. Et il a fait beaucoup de gains en intervenant dans plusieurs secteurs et surtout dans la haute technologie. La réforme du Docteur Barrette en 2016 avait été décrétée par le Ministre dans le but d’assoir les conditions politiques et juridiques pour augmenter ce profit. Comme le disait la philosophe Barbara Stiegler : « le néo-libéralisme préfère tourner ses regards vers l’avenir radieux promis par l’innovation biomédicale et continuer d’occulter les facteurs sociaux et environnementaux de toutes les pathologies tant infectieuses que chroniques. » [5]
Le réseau de la santé et des services sociaux a besoin d’un engagement humain massif pour le remettre à l’endroit c’est-à-dire de placer les déterminants sociaux de la santé au centre de ses préoccupations. Un constat de la pandémie au Québec, et partout dans le monde, aura été l’incapacité du réseau de la santé et des services sociaux d’intervenir auprès des populations vulnérables sur le plan économique et social. Pour y arriver, Il faut repenser complètement l’orientation générale du réseau sur le plan idéologique et aussi sur le plan organisationnel en encourageant l’autonomie locale des établissements et ainsi que celle de ses intervenant.e.s
Affirmer cette nécessité de transformer le réseau de la santé et de services sociaux dans une perspective de démocratie sanitaire, n’est pas suffisant pour changer les choses. Il faut en convenir. Et justement nous pouvons avoir l’impression de crier dans le vide depuis le début de la pandémie. Sur le plan syndical en santé et services sociaux, c’est le chaos depuis le début. L’APTS a réussi à s’empêtrer dans des conflits internes d’une manière désespérée. La FIQ perd des membres d’une manière importante. Et la FSSS (CSN) ne [6]semble pas s’être remise de la perte de 22,000 membres il y a 4 ans. Sans véritable rapport de force, le gouvernement de la CAQ peut se permettre d’agir (ou de ne pas agir) à sa guise.
Et en ce qui concerne les directions des grandes centrales, on semble user, là aussi, d’agilité organisationnelle ou politique. Dans un document plus ou moins passé inaperçu [7] pendant la pandémie, les centrales syndicales lancent un appel à un dialogue social et concertation au niveau national, régional et local . Ce document représente la quintessence du syndicalisme de proposition, modèle québécois. On demande de combler les pénuries de personnel en CHSLD et en santé publique, mais dans la même foulée, on offre au gouvernement de la CAQ de devenir des partenaires de la restructuration économique et de la réindustrialisation du Québec. Alors qu’il est convenu de dire que le néo-libéralisme est interventionniste d’une manière excessive, les centrales syndicales demande à ce que l’État québécois adopte une politique interventionniste et assume un rôle central dans la coordination et la planification stratégique du développement économique » (p19) Les directions syndicales se situent complètement à l’antipode de ce qui devrait être construit dans les plus brefs délais, c’est-à-dire un rapport de force valable pour obtenir des changements pour les travailleur.e.s du Québec.
Pour réaliser ce changement souhaité dans le réseau de la santé et des services , il faut compter aujourd’hui sur le militantisme très engagé, voire volontariste de femmes et d’hommes qui ont développé des pratiques solidaires dans les différents établissements du Québec pendant la pandémie. On les entend depuis quelques mois dénoncer les incuries du système et apporter leurs propres propositions pour améliorer l’accessibilité aux services. Des espaces se créent pour leur accorder la parole et développer des pratiques solidaires et intersyndicales dans une perspective démocratique. Il faut se mettre à leur écoute.
René Charest
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