Pour que l’audit puisse servir les intérêts de la population, le CADTM encourage l’Argentine à suivre l’exemple de l’Équateur qui a mis en place en 2007 une Commission d’audit de sa dette contractée entre 1976 et 2006.
Sur base des résultats des travaux de cette Commission d’audit, qui a réuni des membres de l’administration publique et du gouvernement, des mouvement sociaux équatoriens et amérindiens mais aussi des représentants internationaux dont le CADTM, le président Correa a pris deux mesures importantes sans demander l’accord de ses créanciers.
La première date de novembre 2008 lorsqu’il décide de suspendre unilatéralement le paiement d’une partie de la dette publique au motif qu’elle est « illégitime ». La seconde arrive en juin 2009, date à laquelle il impose aux créanciers une réduction de 70% de cette dette. Cette diminution importante a permis au gouvernement équatorien d’économiser 7 milliards de dollars et ainsi d’augmenter les dépenses publiques dans la santé, l’éducation et l’aide sociale notamment.
Cette réduction de la dette est très différente de celle obtenue par l’Argentine en 2005 et 2010 suite aux négociations avec ses créanciers privés. Pour parvenir à une réduction de 70% de sa dette publique contractée auprès d’entités privées, l’Argentine a remis à 93% de ses créanciers des nouveaux titres de la dette d’une valeur moindre mais sans annuler les anciens rachetés par les fonds vautours.
Ces derniers ont acquis une partie de ces anciens titres de la dette à très bas prix dans le but de contraindre l’Argentine, par la voie judiciaire, à les rembourser au prix fort : c’est-à-dire le montant initial des dettes (évaluées à leur valeur nominale), augmentées d’intérêts, de pénalités et de divers frais de justice. Ces fonds vautours ne s’y sont pas trompés puisque deux d’entre eux - NML Capital et Aurelius - ont obtenu un jugement favorable aux États-Unis qui leur donne le droit d’être remboursés à hauteur de 1,3 milliard de dollars, soit une plus-value de 1600%.
L’Équateur a, quant à lui, opté pour une autre stratégie. S’appuyant sur les conclusions de l’audit démontrant la part illégitime de la dette, le gouvernement équatorien, refusant de négocier avec ses créanciers, a racheté 91 % de sa dette à seulement 30% de sa valeur initiale. Dans ces conditions, il était impossible pour les créanciers comme les fonds vautours de saisir la justice, aux États-Unis ou ailleurs, pour poursuivre l’Équateur. L’État équatorien détenant dès lors plus de 75 % des titres, la clause d’action collective empêchait les créanciers n’ayant pas vendu leurs titres au gouvernement de le poursuivre en justice.
Si l’Argentine veut tirer les leçons de ses erreurs passées, elle a intérêt à :
– Mettre immédiatement en place la Commission d’audit prévue par la Loi 26984 récemment adoptée. Déterminer la méthodologie de fonctionnement et impliquer les mouvements sociaux et les experts qui mènent depuis des années des recherches sur l’illégitimité de la dette publique.
– Suspendre le paiement de sa dette afin de réaliser, avec une participation citoyenne active, un audit intégral de celle-ci. Au terme de l’audit, l’Argentine devrait répudier la part de la dette identifiée comme illégitime, odieuse et illégale.
Utiliser la sentence Olmos1 rendue par la Cour suprême argentine le 13 juillet 2000. Ce jugement a identifié 477 délits dans la formation de la dette argentine qui acommencé à gonfler pendant la dictature (1976-1983) et a poursuivi sa croissance lors des gouvernements civils de Raúl Alfonsin et plus encore de Carlos Menem. Ce jugement met également en cause le FMI : « De 1976 à 1983, la politique d’endettement et de prêts a été totalement arbitraire. Cela implique le personnel et les conseils d’administration des institutions publiques et privées. L’existence d’un lien explicite entre la dette extérieure, le flux de capitaux étrangers à court terme, les taux d’intérêt élevés sur le marché intérieur et le sacrifice correspondant du budget national depuis 1976 n’ont pas pu passer inaperçus aux autorités du FMI qui supervisaient les négociations économiques à cette période. »
Appliquer la doctrine Calvo qui pose qu’en cas de conflit avec des investisseurs étrangers dont les créanciers, ce sont les juridictions nationales qui sont compétentes pour régler le différend. Cette doctrine qui était d’application dans la plupart des pays d’Amérique latine a été écartée depuis l’offensive néo-libérale au profit de juridictions étrangères, comme celle des États-Unis, particulièrement protectrices des droits des investisseurs et des créanciers. Soulignons que depuis la dictature militaire de 1976, l’Argentine confère systématiquement à la justice étasunienne la compétence de trancher ses litiges, renonçant ainsi à une part essentielle de sa souveraineté.
Quitter immédiatement le tribunal de la Banque mondiale siégeant à Washington, le CIRDI (Centre international de règlement des différends liés à l’investissement), comme l’ont fait le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur. Le CIRDI n’est pas un tribunal international, c’est un organisme international qui constitue des tribunaux arbitraux « ad hoc », c’est-à-dire créés à l’occasion de chaque litige, qui ne tiennent pas compte des droits humains et sont l’outil juridique préféré des « investisseurs » privés contre les États.
Selon le CADTM, seule la mobilisation populaire permettra que ces mesures soient effectivement prises par le gouvernement argentin. Le réseau CADTM soutient tous les mouvements sociaux en Argentine qui luttent contre la dictature des créanciers.
1- Lire la sentence Olmos sur http://www.cadtm.org/IMG/rtf/sentencia_olmos.rtf