Revenons quelques mois en arrière : la campagne présidentielle bat son plein au Costa Rica, la plus vieille démocratie d’Amérique Latine. D’un côté Fabricio Alvarado, 43 ans, pasteur et chanteur évangélique, radicalement opposé au mariage homosexuel, arrivé en tête au 1er tour, après sa campagne « por la familia » (pour la famille). Et de l’autre, Carlos Alvarado, 38 ans, ancien journaliste et rockeur à ses heures, devenu ministre du travail, favorable aux unions de même sexe, arrivé second au 1er tour en qualifiant son rival de « menace fondamentaliste ».
Il y a un an, aucun des deux ne semblaient avoir une chance d’être élu. Et puis, début janvier, coup de théâtre ! La Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme change la donne et se prononce en faveur du mariage homosexuel. Et d’un seul coup, le sujet devient LE thème de campagne. Les deux Alvarado s’en emparent, éclipsent les autres candidats rapidement et se retrouvent face à face. Et c’est le trentenaire, partisan du mariage, qui l’a emporté, haut la main avec 61% des voix !
Cela ouvre donc la voie à la légalisation du mariage homosexuel au Costa Rica. Et cela n’a finalement rien de surprenant en Amérique Latine... Vous assimilez l’Amérique Latine à un continent conservateur et religieux ? En fait, c’est le continent où les droits sont en train de devenir, le continent où les droits homosexuels sont en train d’être reconnus légalement le plus rapidement. Le mariage entre personnes de même sexe y est déjà légalisé dans 4 pays : en Argentine depuis 8 ans (2010), au Brésil et en Uruguay depuis 2013 et en Colombie depuis 2016. À cette liste il faut ajouter le Mexique, où l’union de même sexe est légale dans la moitié du pays, tolérée dans l’autre moitié ; et le Chili et l’Équateur, où existe l’équivalent d’un contrat d’union civile. Par-dessus le marché, la Cour interaméricaine des droits de l’homme vient d’ouvrir la voie à la légalisation dans 12 autres pays du continent.
Poussée évangéliste et fracture sociale
Cette évolution cache toutefois un paradoxe : en Amérique Latine, les droits des homosexuels progressent plus vite que ceux des femmes. Le meilleur exemple, c’est l’accès à l’avortement, encore très difficile au Chili et plus encore en Argentine. D’ailleurs, au Costa Rica, le nouveau président est pour le mariage homo, mais… contre l’avortement.
Il ne faut pas perdre de vue que l’Amérique Latine, c’est aussi une terre de religion. C’est surtout le continent de la grande rivalité entre catholiques et protestants évangéliques néo-pentecôtistes. Les premiers restent majoritaires, environ 400 millions de pratiquants, mais leur poids diminue sans cesse : 90% de la population il y a 50 ans, 70% aujourd’hui. Les seconds, à l’inverse, ne cessent de progresser en investissant l’espace médiatique et politique : ils sont désormais plus de 100 millions, 20% des latino-américains. Et un essor considérable en Colombie, au Brésil (par exemple le maire de Rio de Janiero, Marcello Cri-vella est un évangéliste réfractaire qui a coupé les subventions à divers groupes LGBT dont la Gay Pride qui en recevait depuis 22 ans), et plus encore au Guatemala où ils sont désormais aussi nombreux que les Catholiques.
Là encore, le cas du Costa Rica est révélateur : le pays est majoritairement catholique, mais c’est un pasteur évangélique qui s’est retrouvé sur la scène politique, avec l’appui de l’Église romaine. Ce scrutin est donc très révélateur de la fracture sociale entre mouvements religieux (plutôt implantés en zone rurale) et partis progressistes (plus forts dans les villes). Cette ligne de fracture va provoquer des soubresauts pour longtemps, et pas seulement en Amérique Latine.
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