Alors je regarde autour de moi, question de voir un peu où l’on en est. Estrie, juin 2020. Trois mois que la crise du Covid sévit – ou plutôt la catastrophe du Covid, comme je l’écrivais plus tôt, en expliquant que l’on ne s’en remet pas de la même manière, qu’une catastrophe porte en elle une puissance transformatrice.
Je me posais aussi la question de savoir si nous allions être capable de saisir l’opportunité de se redéfinir.
Des balbutiements initiaux aux rattrapages efficaces de type gestion de crise, il y a eu des manques et des réussites bien évidemment, mais aussi, et de plus en plus, des incohérences et des découvertes choquantes – ou disons plutôt des mises à nu, car nous doutions, pour le moins, de ce qui se passait réellement.
Je pleurais alors déjà notre incapacité à comprendre ce que nous avions à comprendre.
J’aimerais que l’on m’explique ce que je constate aujourd’hui. Autour de moi, des ados désabusés, d’autres enchantés par l’absence soudaine de filet ; tous, cellulaires en poche, réseaux sociaux allumés. Des adultes désoeuvrés (un cinquième presque serait en chômage), un peu perdus devant l’horizon devenu plus flou. Et d’autres plogués 24/7 avec un télétravail sécurisant : un horaire encore plus productif et des heures supplémentaires devenues nébuleuses, des objectifs pinés sur le frigo par-dessus les dessins, une nouvelle routine sourde aux demandes des enfants qui passent furtivement derrière la caméra de la visioconférence.
Il y a donc aussi ces enfants à la maison, placés devant des écrans « intelligents », qui les élèvent. Et ceux de retour à l’école, une école en mode garderie, en mode anxiogène aussi, archi-contrôlé. N’oublions pas (encore) nos aînés, ceux bien portants, muselés malgré eux et pointés du doigt, et ces autres recroquevillés, en attente de déchéance. Bref, je regarde notre société aujourd’hui, et ce que je vois ne me plait pas. Ce que j’entends non plus, « mettez vos masques, gardez vos distances, suivez les flèches ». Mes sens n’ont donc pas été épargnés. Il y a cette odeur d’alcogel qui flotte. Il y a la trace d’un arrière-goût amer qui reste collée aux murs suintants. Désinfectons notre monde.
J’aimerais que l’on m’explique comment nous en sommes rendus là, à partir d’un virus qui a tout fait planter. Était-il déjà là ce mal-être, sous-jacent, languissant, attendant patiemment le bon moment d’éclore ? Cette insuffisance d’humanité, tous ces gens, de plus en plus nombreux, qui se côtoient de plus en plus proches, sans plus se voir. Il semblerait que nous ayons un peu oublié les autres. Que nous ayons rompu le contrat social qui nous liait tous ensemble. Que le relationnel ait pris le bord au détriment d’autres priorités plus urgentes, plus confortables, plus nécessaires. Que dans notre monde pourtant mondialisé, nous n’ayons retenu que la rondeur parfaite de notre petit nombril, le reste servant à consommer.
Soyons honnêtes. Nous autres, adultes dans la force de l’âge, masse travaillante, on les a tous parkés pour aller gagner notre blé, question d’être bien organisés, productifs, payants. Les kids à la garderie et à l’école, les vieux dans les résidences. Faut payer le sofa Montauk à crédit, le SUV de ma blonde, le nouveau salon extérieur sur la terrasse, les vacances dans le Sud l’hiver pis en Gaspésie l’été, le linge à la mode à chaque saison pis les souliers trendy qui fittent avec, les iphones 11 et 12 et bientôt 15 de toute la famille, le wifi et Netflix, les ptis cafés avec les copines, la bière vite fait avec les chums après la job, le vin quotidien sur la table pis les restos la fin de semaine, et le midi aussi de temps en temps, souvent. Tout ça pour garder la tête au-dessus de l’eau, faire comme tout le monde, pour coper, pour pas avoir l’air fou surtout, pour être plus smat que le voisin finalement.
Alors quand je regarde tout ça, et qu’il faut maintenant que j’émette une opinion, je nous trouve niais. Niaiseux même. Egoïstes surtout. Et vides.
Et si on va récolter ce qu’on a semé, alors fuyons à toutes jambes. Mais ça en est paralysant de frayeur, j’en conviens. Parce que on les a tous parkés. Parce qu’on ne peut pas éviter la récolte qui s’en vient.
Et c’est déjà le retour à l’Économie avant la Santé, imaginons ce qui va suivre.
On l’a perdu, notre talent de vivre. J’en parlais plus tôt. On vit comme des automates, en mode conso. Mais dites-moi, elle est où notre vraie richesse ? Il est où le bonheur ?
Ce sera aux dirigeants élus de rétablir la donne, de redéfinir notre monde, avec une perspective nouvelle. Mais pour ça, il faut d’abord se regarder, réfléchir 2 minutes et réajuster le tir. Puis, idéalement, s’exprimer, ensemble, comme force de changement pour aider nos gouvernements à prendre les bonnes décisions. Parce que là, ça craint.
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