Édition du 25 mars 2025

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Asie/Proche-Orient

Israël : les yeux plus grands que la panse

La classe politique israélienne tourne à droite toutes et accentue à vitesse grand V la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est au nez et à la barbe de son protecteur américain, à qui elle fait l’injure au surplus de continuer à entretenir des relations commerciales suivies avec Moscou.

Quel sans-gêne ! Tout au plus le cabinet Netanyahou a-t-il consenti à reporter de quelques mois la construction d’un important complexe de logements en Cisjordanie.
En Israël même, ce qu’on a nommé le camp de la paix semble en pleine débandade. Seules quelques voix dénoncent encore l’expansionnisme effréné de leur gouvernement, établissant par ailleurs, tout comme d’autres commentateurs occidentaux, un lien entre la négation du droit à l’autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes et la crise politique que traverse le pays.

Selon les derniers sondages, une majorité de Palestiniens, désabusée, ne croit plus guère à la l’établissement d’un État bien à elle, existant côte à côte avec l’État hébreu. Le découragement les a gagnés, mais il ne s’agit peut-être que d’un phénomène conjoncturel, donc temporaire.

On s’apprête à commémorer le triste anniversaire de la naqba, ce déplacement forcé de plusieurs centaines de milliers de ce qu’on appelait pas encore les Palestiniens et Palestiniennes en 1947-1948. Ils fuyaient les affrontements entre sionistes et combattants arabes, mais en espérant retourner chez eux, une fois les sionistes rejetés à la mer. Comme on sait, cet espoir tout à fait légitime se révéla vain ; seule une petite minorité de fuyards fut autorisée à revenir dans sa patrie par les nouvelles autorités israéliennes, et ce grâce à des pressions internationales. Leurs descendants forment aujourd’hui la minorité arabo-israélienne, soit environ 20% de la population de ce pays.

La plupart des autres entamèrent alors une interminable période d’exil dans des camps de réfugiés au Liban, en Syrie, en Jordanie, à Gaza et même en Cisjordanie que l’armée israélienne n’avait pas conquise (ce qui ne se produira qu’en 1967). À partir de 1964, avec la fondation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), les mouvements de résistance palestiniens se regroupèrent pour s’organiser sur le plan militaire et reconquérir ce qu’ils regardaient toujours comme leur pays sous le thème du droit au retour. Il en résulta d’interminables affrontements entre l’armée israélienne et les maquisards palestiniens durant la seconde moitié des années 1960, les années 1970 et une partie de la décennie suivante.

À partir de la première intifada (celle "des pierres") de 1987 à 1993, l’essentiel de la lutte palestinienne se transporta en Cisjordanie même, suivie par une insurrection armée, cette fois, de 2000 à 2005, très durement réprimée par l’armée israélienne et ce avec l’accord implicite ou explicite de plusieurs gouvernements occidentaux, notamment américain, l’indéfectible soutien de l’État hébreu.

De toute évidence, le présent cabinet israélien d’extrême-droite veut compléter à tout prix le processus d’appropriation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Il y multiplie les colonies de peuplement juives et ne cesse d’agrandir les autres. Nous sommes en présence de la plus forte poussée colonisatrice en Palestine depuis 1967. A-t-elle des chances de réussir ?
Oui et non, plutôt non que oui en fait. Presque trois millions de Palestiniens et Palestiniennes y vivent, soit comme paysans, villageois ou réfugiés dans des camps. Jérusalem-Est demeure toujours à majorité palestinienne, en dépit de la colonisation juive. En mettant les choses au pire pour les Palestiniens dans ce dernier cas, ils y formeront toujours une importante minorité, mais le pire n’est pas certain.

Pareil pour l’ensemble de la Cisjordanie. En dépit des vexations quotidiennes que l’armée israélienne fait subir à ses habitants d’origine arabe et de l’agressivité des colons juifs à leur endroit, on ne note pas de départ massif, comme en 1947-1948. Ce qui avait réussi aux sionistes en 1947-1948 a peu de chances de se répéter, malgré des départs individuels assez nombreux. L’ensemble de la population palestinienne s’accroche tant bien que mal à son lieu de résidence.

En 2020, le nombre de colons israéliens en Cisjordanie s’élevait à 440,000 et à Jérusalem-Est, il se montait à 230,000, pour un total de 705,000 en territoire palestinien. Il est douteux, voire impossible à ces colons de renverser la majorité palestinienne. D’ailleurs, le gouvernement Netanyahou ne s’illusionne sans doute pas là-dessus : sa stratégie consiste à envahir le maximum de territoire et à refouler les habitants palestiniens dans le plus d’enclaves possible.

On remarque sur le terrain une relative imbrication de colonies israéliennes et de zones de peuplement palestiniennes. Si les Palestiniens ne parviennent pas à chasser les colons israéliens, la présence de ceux-ci n’entraîne pourtant pas la disparition des villages et villes palestiniennes.

Les Palestiniens disposent de quelques modestes atouts : l’Autorité palestinienne, mise sur pied en décembre 1993 à la suite des Accords d’Oslo, même avec des pouvoirs très limités, contrôle environ 40% de la Cisjordanie (les zones A et B), le reste du territoire devant en principe faire l’objet de négociations entre les deux parties. En attendant, l’armée israélienne y règne en maître et protège les les colonies de peuplement juives.

Il faut aussi mentionner la bande de Gaza, contrôlée par le gouvernement du Hamas et soumise à un dur blocus israélien. On doit tenir compte aussi des réfugiés palestiniens des camps situés dans les pays voisins et dont le sort reste en suspens. Ce n’est pas parce qu’ils vivent à l’étranger qu’ils ne comptent pas.

Pour résumer, si les Palestiniens ne peuvent secouer le joug israélien, Israël ne peut éliminer la population palestinienne, un rêve que son extrême-droite ne prend même plus la peine de dissimuler. La situation est bloquée.

Pour trouver une solution à cette impasse, il faudrait que les classes politiques occidentales rendent conditionnel leur soutien à Israël au respect par son gouvernementdu droit à l’autodétermination des Palestiniens en adoptant des avertissements de mesures de rétorsion si Tel-Aviv refuse d’obtempérer. Tout le reste n’est que du vent.

On observe plutôt une stratégie américano-israélienne de "tordage de bras" prolongé à l’endroit des Palestiniens et Palestiniennes dans l’espoir sournois de les avoir à l’usure.
Toutefois, on observe un courant pro-palestinien activiste en Occident, même s’il est encore modeste en termes numériques et de résultats : BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) mis sur pied en 2005. Il horripile les classes politiques occidentales, surtout l’américaine et la canadienne. Un autre atout pour les Palestiniens.

Qu’on le veuille ou non, Palestiniens et Israéliens sont et seront toujours contraints de vivre côte à côte. Le tout est de savoir dans quel climat politique. Si rien ne change dans un avenir prévisible, Israéliens et Israéliennes sont condamnés à vivre dans la peur en dépit des efforts de leur gouvernement pour "normaliser" les choses (le développement du tourisme par exemple).

Par un curieux retour des choses, les sionistes n’ont réussi à n’établir qu’un ghetto nouveau genre au Proche-Orient, doré et "relooké" au détriment de la population d’origine.
Si le nationalisme israélien y trouve son compte, qu’en est-il de la démocratie ?

Jean-François Delisle

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