En bombardant des villes palestiniennes, faisant chaque fois des centaines de victimes, Israël n’exerce selon ces médias que son droit à la légitime défense. Depuis le 11 septembre 2001, ce genre de discours - pourtant truffé de faussetés - est omniprésent en Occident. Il empêche la compréhension de cette guerre surtout quand on est "physiquement" loin de cette région, comme c’est le cas en Amérique du Nord, et prive le peuple palestinien de la solidarité internationale qu’il mérite et dont il a cruellement besoin. Essayons de décortiquer ce discours et de montrer combien il est réducteur et trompeur.
Une question de colonisation
Il convient d’abord de préciser que ce conflit est l’un des plus vieux problèmes de colonisation non encore résolus, dans le monde. Depuis sa création en 1948, suite au plan de partage de la Palestine décidé par l’ONU, Israël ne cesse de construire des colonies sur des terres palestiniennes, le plus souvent après en avoir chassé les propriétaires. Ensuite, quand on parle de voisins, on parle, ou du moins on sous-entend qu’il s’agit, de deux pays indépendants aux frontières délimitées et respectées de part et d’autre. Or, pour ce conflit, rien n’est plus faux. S’il y a bien des résolutions de l’ONU qui ont dessiné des frontières entre deux futurs États voisins, la réalité sur le terrain est celle de l’existence d’un seul État puissamment armé - l’unique dans la région à détenir l’arme nucléaire - qui bénéficie du soutien inconditionnel des États-Unis, du Canada et de l’OTAN. Cet État piétine les résolutions onusiennes, exerce un blocus total sur la bande de Gaza, organise des check-points partout en Cisjordanie qui est pourtant administrée par l’autorité palestinienne depuis le milieu des années 90. Il ne s’agit donc pas d’un conflit entre voisins qui seraient tous deux souverains sur leurs territoires respectifs et qui auraient des différends, sur le traçage des frontières par exemple mais il est plutôt question d’un État qui grignote chaque jour, par la force, des terres qui appartiennent à un autre peuple.
Le confessionnalisme n’y est pour rien
Si une majorité de la population palestinienne est de religion musulmane, il n’en demeure pas moins qu’il existe des minorités chrétiennes et même juives qui se considèrent comme arabes et palestiniennes à part entière. Le Hamas qui est pouvoir à Gaza est bel et bien une organisation islamiste et il ne s’en cache d’ailleurs pas. Il dit fonder son action au nom de l’Islam. Son projet d’État est réactionnaire et archaïque tout comme les projets du FIS algérien, des Salafistes tunisiens ou égyptiens. Il ne devrait y avoir aucun doute là-dessus. La question est de savoir si l’enjeu dans le conflit israélo-palestinien est la nature du Hamas ou celle du conflit lui-même. Les bénéfices que l’État d’Israël tire du fait de considérer la nature du Hamas dans l’appréciation et le jugement qu’on peut se faire du conflit sont énormes.
Il importe de rappeler que la prise de pouvoir par le Hamas à Gaza et même la création de cette organisation sont postérieures à la réalité de la colonisation et de la résistance du peuple palestinien contre l’entreprise de spoliation de ses terres et de ses droits nationaux. En effet, le Hamas est né en 1987 soit près de 40 ans après le début de la colonisation et de la Naqba (Catastrophe) qui a vu des centaines de milliers de palestiniens chassés de leurs villages et villes. Le Hamas a aussi été fondé près d’un quart de siècle après la création de l’Organisation de libération de la Palestine(OLP), reconnue pendant longtemps comme le représentant légitime du peuple palestinien. L’OLP regroupe plusieurs organisations nationalistes, progressistes et laïques comme le Fatah de Yasser Arafat, le FPLP de Georges Habache et le FDLP de Nayef Hawatmeh. L’OLP et les organisations qui la composent ont dirigé pendant des décennies, chacune selon sa stratégie, la lutte du peuple palestinien pour le recouvrement de ses droits nationaux. Au plus fort de cette lutte - des années 60 aux années 80 - Israël ne reconnaissait même pas l’existence du peuple palestinien et les dirigeants de ces organisations étaient traités de terroristes.
Le FPLP et le FDLP sont encore parmi les plus intransigeantes en ce qui a trait à la défense des aspirations du peuple palestinien. Il peut être intéressant de mentionner ici que Georges Habache et Nayef Hawatmeh sont tous les deux issus de familles chrétiennes. Celle de Habache avait été chassée de la Palestine en 1948. Ces organisations ont longtemps privilégié l’option d’un seul État démocratique où Juifs, Arabes, Non-Juifs et Non-Arabes pourraient vivre ensemble quelque soient leurs croyances. Israël s’est toujours opposé à cette option tout en maintenant sa politique de colonisation dans les territoires palestiniens qui - si elle se poursuit - risque d’imposer à terme un seul pays duquel la majorité de la population palestinienne aura été chassée. Déjà en 2001, sur une population palestinienne totale de plus de 9 millions de personnes, seules 3,7 millions vivaient encore dans les territoires occupés.
L’irruption du Hamas
L’arrivée sanglante du Hamas sur la scène, comme acteur important, de ce conflit est intervenue dans un contexte particulier. Nous sommes en 1993, les deux parties israéliennes et palestiniennes, viennent de signer des accords d’Oslo : une première ! Les discussions directes avaient été rendues possibles grâce à l’Intifada, connue aussi sous le nom de "guerre de pierres", qui avait ému le monde entier et provoqué la sympathie de l’opinion publique à l’échelle planétaire envers les Palestiniens suite aux diffusions d’images d’antagonistes aux forces disproportionnées : d’un côté les blindés et les avions israéliens et de l’autre une jeunesse palestinienne qui n’avait comme armes que des cailloux et une farouche détermination à lutter contre l’occupant.
Les accords signés entre le gouvernement israélien dirigé par Yitzhak Rabin et l’OLP de feu Yasser Arafat sous l’égide des États-Unis, se sont illustrés par une déclaration de principes portant sur l’instauration d’une autonomie palestinienne de 5 ans, dans les territoires occupés, et d’un cadre de dialogue entre les deux parties pour faire avancer le processus de paix. C’est dire qu’on était encore loin de l’État palestinien indépendant. Pourtant la droite israélienne s’y était opposée et en 1995, Rabin fut assassiné par un jeune militant d’extrême droite israélienne.
Du côté palestinien, le Hamas allait s’illustrer, dès 1993 et jusqu’au milieu des années 2000, par une série d’attentats suicides qui feront de nombreuses victimes civiles israéliennes et beaucoup de tort à la cause palestinienne au niveau international en lapidant la sympathie gagnée avec l’Intifada. Dans les territoires occupés, l’autonomie palestinienne n’est qu’un leurre. La situation de la population ne s’améliore pas, bien au contraire. À quoi bon de gérer un territoire si l’occupant est toujours là, qu’il multiplie les check-points, continue de construire de nouvelles colonies ! Cette autonomie ne servira qu’à favoriser l’apparition d’une bureaucratie palestinienne largement corrompue qui s’est donnée un appareil policier pour empêcher la révolte d’une population maintenue dans la misère et le dénuement.
C’est dans ce contexte de discrédit progressif de l’autorité palestinienne formée par le Fatah, que le Hamas prend de l’ampleur notamment à Gaza et que la droite israélienne revient au pouvoir. Les attentats du 11 septembre 2001 aux USA vont constituer un tournant majeur dans le traitement médiatique de ce conflit en Occident. Ariel Sharon devient premier ministre en 2001, il enferme Yasser Arafat dans son quartier général de Ramallah jusqu’aux derniers mois de sa vie en 2004, l’empêchant ainsi d’avoir une quelconque prise sur une réalité faite d’une désillusion de son peuple vis à vis de la stratégie, de compromis, de l’autorité palestinienne pour parvenir à la réalisation de l’aspiration à un État indépendant. Ariel Sharon, le sanguinaire de Sabra et Chatila, concocte un plan de désengagement israélien de la bande de Gaza et y démantèle quelques colonies en présentant ce geste comme une preuve de sa bonne volonté pour parvenir à la paix. Au même moment, Israël poursuit ses projets de constructions de nouveaux ensembles immobiliers en Cisjordanie.
Ariel Sharon choisit donc de quitter une petite bande de 360 km2 - plus petite que l’ile de Montréal - faiblement peuplée par les colons israéliens et où le Hamas gagne en popularité, et accentue, en parallèle, la colonisation en Cisjordanie où le Fatah - son partenaire de dialogue - est majoritaire et où dénombre plus de 300 000 colons israéliens. Il n’en fallait pas plus pour préparer une victoire du Hamas aux élections législatives qui devient majoritaire à Gaza. Israël n’avait besoin de rien de plus pour présenter dès lors le conflit comme une lutte contre le terrorisme et ses campagnes de bombardements et de destructions de villes et de villages palestiniens, en riposte aux tirs de roquettes artisanales, comme de la légitime défense. Ce faisant, il démontre qu’il n’a encore jamais été en faveur d’une solution juste au conflit qui passe par la reconnaissance des droits du peuple palestinien à édifier un État indépendant et viable et dont la capitale serait Jérusalem. Le Hamas quant lui n’aura pas aidé son peuple à avancer dans sa lutte pour recouvrer ses droits, ni par les attentats suicides ni par les tirs de roquettes qui se sont avérés comme du pain béni pour l’État colonial israélien.
Rabah Moulla