Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Israël : Adieu Bibi ?

Tel-Aviv a fêté l’événement tard dans la nuit, place Rabin, d’une seule voix : « Adieu, Bibi ! » Et, en écho, la presse française titre sur ce cri. Au risque, comme dit le proverbe, de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

Tiré de regards.fr

Le nouveau gouvernement israélien constitue une telle gageure – des islamistes à la droite et à l’extrême droite, en passant par la gauche sioniste et le centre – qu’il menace d’exploser à la première crise et de donner ainsi une nouvelle chance à Benyamin Netanyahou. Ne risque-t-il pas, surtout, de poursuivre pour l’essentiel la politique de ce dernier ?

Mais d’abord une parenthèse française. En 1969, le candidat communiste au premier tour de l’élection présidentielle, Jacques Duclos, obtient plus de 22% des voix : un grand succès – de quoi faire pâlir d’envie l’actuel candidat du Parti communiste – insuffisant toutefois pour parvenir au second tour, où se retrouvent Georges Pompidou et Alain Poher. Et Duclos de lancer : « Blanc bonnet et bonnet blanc ! » La formule, depuis, semble usée jusqu’à la corde, tant elle a servi, souvent à tort. Même à propos de l’ex-président américain et de son successeur…

Ne boudons donc pas notre plaisir. Qu’Israël ferme enfin la page de quinze années de Netanyahou serait un événement des plus heureux pour lui, pour les Palestiniens et pour la paix. Fils et père de ce que la Palestine a subi de plus extrémiste de la part du mouvement sioniste, « Bibi » a radicalisé comme personne la politique de son pays. Il a contribué à armer idéologiquement l’assassin d’Itzhak Rabin, enterré Oslo, colonisé plus que jamais Jérusalem-Est et la Cisjordanie avant de tenter, avec la complicité de Donald Trump, d’annexer la majorité de cette dernière. Il a gravé l’apartheid dans le marbre de la loi constitutionnelle « État-nation du peuple juif » et fait avaler par la Knesset tout un arsenal de lois liberticides. Il a flirté avec tous les dirigeants populistes, notamment en Europe centrale et orientale, même lorsqu’ils affichaient leur négationnisme, voire leur antisémitisme. Cet analphabète ès-histoire estime il est vrai, à l’instar de Faurisson, que « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs [1] »…

Zeev Sternhell nous a mis en garde contre la principale caractéristique de l’ère Netanyahou : « Il pousse en Israël, a-t-il écrit dans Le Monde [2], un racisme proche du nazisme à ses débuts. » Chacun vient de voir comment le chef du Likoud, pour échapper à la justice et tenter de sauver son trône, a déchaîné, depuis les « ratonnades » de la fin avril, la violence raciste de ses alliés kahanistes – ceux d’Israël et ceux des colonies - tel un Ku Klux Klan à l’israélienne. La provocatrice Marche nationaliste des drapeaux, reportée au 15 juin et dont Benny Gantz retour de Washington, a demandé l’interdiction, pourrait mettre à nouveau le feu aux poudres. Au point que Nadav Argaman, le chef du Shin Bet, a lancé une mise en garde publique et solennelle contre les « incitations » qui se multiplient, notamment sur les réseaux sociaux et « pourraient être interprétées par certains groupes ou loups solitaires comme une autorisation donnée à la violence [3] ». D’ailleurs, certains n’ont pas attendu pour menacer le nouveau Premier ministre et les six députés de son parti, Yamina (À droite), qui bénéficient depuis quelques jours d’« anges gardiens »…

Se réjouir que Netanyahou « dégage » n’implique cependant pas la moindre illusion sur ses remplaçants. Naftali Bennett est un homme d’extrême droite, annexionniste de droit divin et ouvertement raciste. N’a-t-il pas lancé, il y a dix ans, à un député arabe « Vous grimpiez encore aux arbres quand un État juif existait déjà [4] » ? On lui doit aussi cet aveu : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie. Et il n’y a aucun problème avec ça. [5] » Désormais ministre de l’Intérieur, son bras droit – et, dit-on, son cerveau – Ayelet Shaked a posé sur une affiche à côté d’un flacon de parfum intitulé « Fascisme ». Ministre des Finances, Avigdor Liberman, le chef du parti russe Israel Beteinou (Israël notre maison) se prononçait pour le transfert (administratif) des Palestiniens d’Israël. Ministre de la Justice, l’ex-likoudnik Gideon Saar, leader de Tikva Hadasha (Nouvel Espoir), a promis, comme ses amis, de ne pas geler la colonisation. Quant à Benny Gantz, maintenu à la Défense, on le sait fier d’avoir en 2014 « renvoyé une partie de la bande de Gaza à l’âge de pierre [6] ».

Bref, ce nouveau gouvernement penche nettement à droite, très à droite, même si l’éviction de « Bibi » reconstruit aux nouveaux ministres – provisoirement, en tout cas – une virginité propice à toutes les manœuvres… Certains de ses membres se réclament même volontiers du mouvement qui, depuis l’été dernier, a rassemblé des foules, massives mais hétéroclites, car unies par une seule volonté : en finir avec Netanyahou.

Deux bémols cependant

Le quatuor détenteur du vrai pouvoir – Bennett, Lapid, Saar et Liberman – devra tenir compte de la présence au sein de la coalition des islamistes de Ra’am, auquel il a déjà dû faire de nombreuses promesses, et de la « gauche sioniste » (travaillistes et Meretz), sans lesquels il ne dispose pas de majorité. Sans oublier la Liste unie, dont les votes pourraient s’avérer parfois décisifs. Reste à vérifier si les islamistes et la gauche sioniste oseront s’opposer frontalement aux « têtes » du cabinet, à supposer qu’ils le veuillent vraiment, au risque de faire capoter la combinazione et de permettre ainsi le retour de… Netanyahou.

Seconde nuance : ce gouvernement sera moins soumis au chantage des partis ultra-orthodoxes qui n’en font pas partie, situation rarissime dans l’histoire d’Israël depuis 1977, mais conforme au souhait de 64% des Israéliens [7]. Du coup, les « laïques » – que sont non seulement Nitzan Horowitz et Merav Michaeli, mais aussi Yaïr Lapid et Avigdor Liberman – pourraient inciter la coalition à commencer à prendre en compte l’aspiration désormais majoritaire à une prise de distance de l’État vis-à-vis de la Synagogue. De là à instaurer un mariage et un divorce civils, à autoriser les transports publics le samedi et à réduire le financement des ultra-orthodoxes...

La nouvelle équipe pourra-t-elle donner un coup d’arrêt à l’évolution autoritaire du régime ? Quid de la loi « État-nation du peuple juif » et de l’apartheid qu’elle officialise ? Quid de l’arsenal liberticide voté par la Knesset ? Quid des menaces contre le statut et les compétences de la Cour suprême ? Vu le rapport des forces global et au sein même de la coalition, un véritable renversement de tendance supposerait toutefois une mobilisation populaire pour la préservation de ce qui reste de démocratie, après quinze années de règne de « Bibi ».

Comment pourrait-on, sinon, envisager une rupture d’ensemble franche et nette avec les caps choisis par les gouvernements antérieurs ? Quatre élections successives ont confirmé que, si une (courte) majorité d’Israéliens ne voulait plus de Netanyahou, une (large) majorité se situait toujours à droite, à l’extrême droite et dans le camp ultra-orthodoxe : au total 72 députés sur 120. Ajoutons que, sur la question palestinienne, ni la « gauche » sioniste – excepté Meretz – ni les centristes n’affichent de perspective claire, rejetant certes l’annexion mais sans pour autant prôner la création d’un véritable État palestinien.

Reste une interrogation majeure. La constitution de ce gouvernement apparaît en fait comme la réplique du tremblement de terre qu’a représenté la défaite de Donald Trump. C’est sans doute parce qu’il était orphelin de son complice états-unien que Netanyahou a fini par perdre la partie… pour l’instant. Le quatuor sera sans doute plus enclin que ce dernier à s’arranger avec l’administration Biden – et réciproquement [8]. D’autant que celle-ci semble savoir ce qu’elle veut : contenir la montée en puissance de la Chine, donc trouver un compromis sur le nucléaire iranien et, dans le même esprit, calmer le jeu israélo-palestinien. L’heure n’est toutefois pas à une grande initiative américaine de paix.

Certes, depuis plus de quatre mois, l’administration Biden défait consciencieusement ce que l’administration Trump avait fait : elle rouvre le consulat américain à Jérusalem-Est et la Mission de Palestine à Washington, revient à l’UNRWA avec 235 millions de dollars, réaffirme le caractère « illégal » des colonies et des annexions, présente la « normalisation » en cours comme ne se substituant pas à la nécessaire négociation israélo-palestinienne, etc. Mais, au beau milieu de la guerre de Netanyahou pour sauver son « trône » en bombardant sauvagement Gaza, la Maison Blanche a fait profil si bas...

Dominique Vidal

Notes

[1] L’Express, 21 janvier 2015. Selon Netanyahou, c’est le mufti de Jérusalem qui aurait « soufflé » la Shoah au Führer lors de leur rencontre du 28 novembre 1941. Sauf qu’à cette date, l’envahisseur nazi avait déjà exterminé des centaines de milliers de Juifs soviétiques et que les chambres à gaz étaient prêtes à fonctionner...

[2] 18 février 2018.

[3] Haaretz, 5 juin 2021.

[4] Cf. Sylvain Cypel, « Naftali Bennett, le triomphe du nationalisme mystique juif », Orient XXI, 8 juin 2021.

[5] L’Express, 30 juillet 2013.

[6] L’Observateur, 18 septembre 2019.

[7] Cf. le douzième « Index sur l’État et la religion en Israël », publié en septembre 2020 par le site « Hiddush-Pour la liberté religieuse et l’égalité ».

[8] Netanyahou accuse déjà ses challengers d’être incapables de résister à la pression américaine sur le nucléaire iranien : cf. The Jerusalem Post, 6 juin 2021.

Dominique Vidal

Né en 1950, Dominique Vidal a étudié la philosophie et l’histoire. Journaliste depuis 1968, professionnel depuis 1973, il a notamment travaillé dans les rédactions des hebdomadaires "France Nouvelle" et "Révolution", puis du quotidien "La Croix". Après avoir coordonné les activités internationales du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), il a fait partie, de 1995 à 2010, de l’équipe permanente du "Monde diplomatique", dont il a en particulier créé le réseau d’éditions internationales et coordonné les Atlas. Spécialisé dans les questions internationales et notamment le Proche-Orient, il vient de publier "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron" (Libertalia, 2018). Auparavant, il avait sorti "Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949" (Éditions de l’Atelier, 2007, avec une postface de Sébastien Boussois) ; "Israël, une société bousculée. Vingt-cinq années de reportage" (Editions du Cygne, 2007) ; et "Le Mal-être juif" (Agone, 2003). Dominique Vidal a écrit en collaboration avec Alain Gresh : "Les 100 Clés du Proche-Orient" (dernière édition avec Emmanuelle Pauly chez Fayard, 2011) ; ; "Palestine 47 : un partage avorté" (dernière édition chez André Versaille, 2007) ; "Golfe : clefs pour une guerre annoncée" (Le Monde Éditions, 1991) ; et "Proche-Orient : une guerre de cent ans" (Messidor, 1984). Depuis 2010, il dirige avec Bertrand Badie l’annuel collectif "L’état du monde", chez La Découverte. Le dernier en date, paru en 2018, s’intitule "Le Retour des populisme". Autres ouvrages : "L’Opinion, ça se travaille… Les médias, l’OTAN et la guerre du Kosovo" (Agone, Marseille, dernière édition 2015 avec Serge Halimi, Henri Maler et Mathias Reymond) ; "Le Proche-Orient, les banlieues et nous" ( Éditions de l’Atelier, 2006 avec Leila Shahid, Michel Warschawski et Isabelle Avran) ; "Le Mal-être arabe. Enfants de la colonisation" (Agone, 2005 avec Karim Bourtel) ; "Les historiens allemands relisent la Shoah" (Complexe, 2002) ; " Promenades historiques dans Paris" (Liana Levi, 1991 et 1994, avec Christine Queralt) ; "Portraits de China Town, le ghetto imaginaire" (Autrement, 1987, avec Éric Venturini). Chez Sindbad/Actes Sud, Dominique Vidal a coordonné "Palestine-Israël : un Etat, deux Etats ?" (2011) et "Palestine : le jeu des puissants" (2014). Chez Demopolis, il vient de diriger "Les Nationalistes à l’assaut de l’Europe".

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