15 octobre | tiré du site du CADTM | Photo : Ben Bernanke
https://www.cadtm.org/Interview-de-Michael-Roberts-sur-le-Nobel-d-economie
Quelle est votre réaction en tant qu’économiste marxiste au choix du prix Nobel d’économie à Ben Bernanke ?
Le soi-disant prix Nobel d’économie n’en est pas vraiment un. Il s’agit d’un prix décerné par la banque centrale suédoise, la Riksbank, afin d’améliorer l’image de l’économie auprès du public. Toutefois, cette récompense lucrative (886 000 dollars) n’atteint pas cet objectif, car les travaux de tous les lauréats entrent dans la catégorie des analyses non pertinentes et obscures ou dans celle des analyses délibérément idéologiques visant à promouvoir le consensus économique dominant selon lequel les économies de marché sont parfaites tant qu’elles ne sont pas perturbées.
Les lauréats de cette année, Ben Bernanke, ancien directeur de la Réserve fédérale, et deux autres économistes, Douglas Diamond et Philip Dybvig, appartiennent à ces deux catégories. Bernanke remporte le prix parce qu’il a apparemment sauvé le système bancaire de l’effondrement total pendant le crash financier mondial. Pourtant, de nombreuses banques et établissements de crédit hypothécaire ont fait faillite et les principales économies n’ont pas retrouvé leur croissance tendancielle antérieure. Diamond et Dybvig ont développé une thèse selon laquelle les banques pourraient faire faillite si les déposants perdaient confiance en elles et s’il y avait une ruée sur les banques – ce qui n’est guère une révélation. Sur la base de ces critères, John Maynard Keynes n’aurait jamais reçu le prix, et encore moins Marx.
Pendant des années, les politiques d’assouplissement quantitatif (QE – Quantitative Easing) ont fait peser un risque très important sur l’économie mondiale, en créant de nombreuses bulles. Aujourd’hui, les taux d’intérêt augmentent et il semble que les menaces qui pèsent sur l’économie mondiale deviennent une réalité et ne sont pas sans conséquences ?
L’assouplissement quantitatif a été conçu pour sauver le secteur bancaire de l’effondrement pendant le krach financier mondial, puis pour stimuler la croissance économique grâce à des taux d’intérêt plus bas et à d’énormes injections de crédit. Mais le carburant du crédit a juste été utilisé par les banques et les entreprises pour spéculer sur les actifs financiers et l’immobilier. Les prix de ces biens se sont envolés au profit des riches, tandis que les salaires réels du plus grand nombre stagnaient. Aujourd’hui, face au choc d’une inflation croissante, les banques centrales ont inversé leur politique en optant pour un resserrement quantitatif (QT). Mais une fois encore, le QT ne parviendra pas à réduire l’inflation et le coût de la vie ; au contraire, il provoquera un effondrement des actifs financiers et entraînera l’économie réelle dans la récession.
Les médias généralistes parlent de banques privées protégées par les banques centrales parce qu’elles se sont soumises à la réglementation qui leur était demandée, est-ce sérieux de parler de banques régulées ?
Il n’est pas sérieux de parler de régulation parce que la régulation telle qu’elle est pratiquée n’a jamais fonctionné pour empêcher les banques et autres institutions financières de s’engager dans des spéculations risquées, des fraudes flagrantes et des évasions fiscales pour leurs clients sur une base régulière. En outre, des secteurs entiers de l’industrie financière ne sont même pas réglementés, comme les fonds spéculatifs, les fonds de capital-investissement et d’autres domaines du « shadow banking ». Cette régulation ne permettra pas d’éviter de nouvelles paniques financières. Ce qu’il faut, c’est la propriété publique des grandes banques et des institutions financières, afin qu’elles soient gérées comme un service public et non comme des instruments de spéculation. Il faut également mettre un terme aux énormes primes que les banquiers de haut niveau reçoivent pour gérer ce que Warren Buffet a appelé un jour les « armes financières de destruction massive ».
Dans votre dernier billet de blog, vous parlez du renforcement du dollar suite aux hausses de taux d’intérêt et des menaces pour les pays dits pauvres, pouvez-vous nous expliquer par quel mécanisme un dollar fort entraîne des risques pour les pays pauvres ?
Le dollar américain est la monnaie hégémonique dans laquelle s’effectuent la plupart des échanges commerciaux et financiers. Il devient donc une valeur refuge pour ceux qui détiennent des liquidités au niveau international en temps de crise. Cela signifie que le dollar prend de la valeur par rapport aux autres monnaies. Presque toutes les monnaies des pays pauvres ont fortement chuté par rapport au dollar. Pire encore, une grande partie des prêts et des obligations émis par les pays pauvres sont libellés en dollars parce que les investisseurs étrangers l’exigent. Avec la montée en flèche des taux d’intérêt, le coût du service de la dette en dollars pour de nombreux pays augmente rapidement. Certains pays ont déjà été contraints de ne pas rembourser leur dette (Zambie, Sri Lanka, Pakistan) et d’autres vont suivre. Ils seront contraints de demander l’aide du FMI au prix d’une réduction des dépenses publiques en matière de services et de protection sociale et d’une augmentation de la dette.
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