Les principaux chefs d’État du G20 se sont avérés incapables de proposer du concret pour s’attaquer à la spéculation et aux abris fiscaux. L’ampleur et l’étendue de la corruption montrent bien qu’il ne s’agit pas de pommes pourries, mais d’un phénomène généralisé qui touche l’oligarchie économique et politique qui dirige la société capitaliste.
Le haut personnel politique, les industriels, les financiers, les grands magnats de la presse forment une oligarchie tissée très serrée dont les membres se cooptent mutuellement dans différents conseils d’administration et qui se consolide par les petits et grands services et les multiples renvois d’ascenseurs. Avec la mise en place du modèle néolibéral du capitalisme, cette oligarchie a fait reculer les acquis sociaux et démocratiques qui avaient été arrachés de hautes luttes. Elle s’est affairée à concentrer de plus en plus de richesses entre ses mains et à appauvrir la majorité de la population. Elle a cherché à déréglementer et à privatiser les services publics pour offrir de nouvelles occasions d’investir à ses membres. Elle s’est attaquée aux droits des organisations syndicales et populaires et a favorisé la désyndicalisation. Elle est parvenue à réduire la démocratie comme une peau de chagrin. Sa cupidité s’est de plus en plus manifestée sans gêne et sans bornes et de façon de plus en plus apparente.
L’oligarchie essaie de se disculper et de se déculpabiliser...
Avec la crise globale, la légitimité du capitalisme a commencé a être remise sérieusement en question. Pour mieux défendre ses intérêts et cacher les accointances de classe les plus diverses, l’oligarchie a cherché à attribuer les aspects les plus scandaleux de ses accaparements à des individus peu scrupuleux. Elle a valorisé les sanctions frappant des comportements prétendument déviants. C’est ainsi qu’elle a offert en pâture aux médias, les Bernard Madoff et autres Lacroix et a dénoncé ces personnes perverties par l’appât du gain.
Aujourd’hui, on lance les policiers aux trousses de certains entrepreneurs en construction mafieux et des maires particulièrement véreux dont on promet qu’ils seront poursuivis et jetés en prison. Ce sont là les brebis galeuses soumises au sacrifice, pour permettre à l’oligarchie de continuer à s’enrichir à l’abri de la culture du secret : secret industriel, secret commercial, secret bancaire, secret ministériel... L’oligarchie économique et politique peut ainsi continuer à s’attaquer au bien commun, à favoriser la privatisation des services, à baisser à répétition les impôts des plus riches.
Non contente de ces opérations antipopulaires qui lui permettent de s’enrichir, l’oligarchie politique, s’en remettant encore une fois à une approche individualiste, a mobilisé l’éthique pour tenter de donner une nouvelle légitimité à des institutions particulièrement amochées aux yeux d’une population atterrée devant un tel sans-gêne. Il s’agit encore une fois de se laver les mains de sa responsabilité devant les désastres causés par ses stratégies d’accumulation de richesses dans des mains de moins en moins nombreuses.
Les classes populaires veulent faire un grand ménage
La population du Québec veut d’une enquête publique à plus de 80%. Le comportement de l’oligarchie lui semble de plus en plus odieux. Leur cupidité ne semble pas avoir de bornes. Dans le dossier de l’exploitation des gaz de schiste, la population dans sa majorité demande un moratoire. Elle demande la tenue d’une évaluation environnementale élargie. Le gouvernement Charest refuse comme il refuse l’enquête publique. Il refuse de réinvestir dans l’éducation. Il refuse de mettre fin à la privatisation des pans entiers des services de santé. Et il refuse de taxer les hauts revenus... Il refuse d’arrêter le démantèlement de services publics. Pas étonnant qu’une pétition demandant la démission de Charest reçoive plus de 250 000 signatures en quelques jours. Mais, le peuple québécois se heurte aux limites de la démocratie représentative définie par la constitution canadienne qui concentre les pouvoirs politiques dans les mains du premier ministre, garant de la défense de l’oligarchie économique et politique et qui règne en maître sur leur destin.
Tirer au clair les intérêts et les stratégies de l’oligarchie
La commission d’enquête est nécessaire, car elle ouvrira des brèches sur les secrets de l’oligarchie. Elle délégitimera sa spoliation du bien public. Elle tirera au clair les moyens de leurs rapines. Elle est nécessaire et on doit dénoncer le refus du gouvernement Charest de la bloquer. Mais, ses recommandations seront confiées à cette même oligarchie. Elle sera même encadrée par elle. Elle se verra déterminer les cadres qu’elle devra respecter.
C’est pourquoi il est également nécessaire que les classes ouvrières et populaires du Québec deviennent l’acteur direct de la fin de la culture du secret. En s’appuyant sur ses organisations, elles doivent dresser un tableau des diverses accointances des politiciens et des affairistes dans les milieux de travail, d’études et de résidences qui décrivent les réseaux serrés de services réciproques. Les organisations sociales pourraient ainsi remettre en question la légitimité du pouvoir de cette oligarchie, la rendre plus prudente, la rejeter sur la défensive en la mettant sur surveillance et en décriant le caractère antidémocratique du régime de faveur mutuel qu’elle entretient qui assure son enrichissement et sa domination.
Elles pourraient ainsi démontrer que c’est cette oligarchie qui fait preuve d’avidité et de rapacité et non les organisations syndicales, populaires, féministes et jeunes qui défendent le bien commun lorsqu’elles se mobilisent pour la gratuité scolaire, contre la privatisation du système de santé et contre les inégalités économiques que l’oligarchie s’efforce de renforcer pour son seul et unique profit.
Instaurer des institutions qui font une place à une démocratie active
"L’élection est par nature un mécanisme de sélection d’une aristocratie élective, la noblesse d’état comme disait Bourdieu qui gouverne pour ses intérêts propres et pour ceux des couches privilégiées dont elle est issue. ... La compétition électorale fait par sa nature jouer un "principe de distinction, qui aboutit presque toujours à l’élection d’individus appartenant aux catégories privilégiées de la population, les fortunés et les cultivés." [1]. Combien y a-t-il d’ouvriers, d’ouvrières ou d’employé-e-s dans la députation à l’Assemblée nationale alors que ces classes constituent la majorité de la population ? Il faut absolument mettre en place des mécanismes institutionnels pour empêcher que les représentant-e-s échappent au contrôle des représentés. Il faut inventer une réelle démocratie active.
Pour ce faire, en plus de revoir radicalement les règles de financement des partis politiques, il faut bloquer la circulation continue entre responsabilités politiques et responsabilités économiques comme les exemples se sont multipliés dernièrement dans le passage de hauts responsables gouvernementaux vers les secteurs de l’industrie de gaz de schiste... Il faut limiter le pouvoir d’influence des intérêts économiques privés sur l’électorat en permettant que les pouvoirs publics, sans exercer le moindre contrôle sur les contenus diffusés, stimulent l’émergence de médias associatifs issus de la société civile pour permettre une information libre et pluraliste. Il faut surtout pour que la souveraineté populaire ne soit plus un vain mot, remettre en cause la concentration du pouvoir dans les mains du premier ministre, assurer la primauté du parlement sur l’exécutif et donner au peuple un pouvoir de rappel sur les élu-e-s à tous les niveaux. Il faut également en finir avec la reproduction de la domination masculine en assurant la parité hommes -femmes dans la représentation politique tout en s’assurant que les catégories sociales populaires ne soient pas exclues de la représentation politique comme c’est le cas présentement.
La démocratie de la vie politique est à ce prix. On ne peut se contenter de se débarrasser des pommes pourries comme nous y invitent les Libéraux si on veut instaurer un fonctionnement démocratique de cette société. Il faut bel et bien changer les règles du jeu.
(*) Voilà le titre du prochain livre d’Hervé Kempf qui sera publié au début de 2011 aux éditions du Seuil.