Les modifications programmatiques proposées témoignent d’une évidente inflexion nationaliste, pour le meilleur et pour le pire, et surtout d’un net tournant social-libéral qu’a déjà la ligne politique de la direction mais pas encore le programme. Quant aux changements statutaires, ils accentuent la centralisation et le glissement de la direction réelle vers l’aile parlementaire. Si elles en ont la volonté, les personnes (et collectifs) anticapitalistes et même simplement démocrates auront l’opportunité d’amender ces propositions. C’est cet exercice que fait le présent texte avec quelques commentaires de mise en contexte.
Défense sans armée, avec armée... ou tout simplement populaire et internationaliste
Pour le bloc 1 (sécurité et défense nationales), les propositions manquent d’internationalisme. Pour les propositions sans option A ou B et en excluant la proposition sur l’agence de renseignement, je suggère les ajouts suivants :
9.2.4 a) ...aura comme objectif global de contribuer à préserver la paix mondiale et à mettre fin aux conflits armés tout en ne remettant pas en cause les luttes pour la démocratie et pour la justice sociale. Dans ce cadre, cette politique assurera le respect […]
b) cherchera à réaliser ses objectifsi. en multipliant les liens avec les peuples du monde par l’ouverture de nos frontières en particulier aux personnes réfugiées. Cette ouverture s’élargira aux études post-secondaires, aux mêmes conditions ou mieux que pour la population nationale, par la promotion des études et des voyages éducatifs hors Québec et chez les peuples autochtones et inuit. S’y ajoutera la promotion, sans exploitation ni oppression, de projets de collaboration de toutes sortes avec les peuples hors Québec et ceux autochtones et inuit. […]
9.2.5 a) Celles-ci [institutions et organisations] comprendront des institutions étatiques incluant:i. une agence de coopération internationale en charge de la promotion des échanges étudiants et des projets decollaboration hors Québec et avec les peuples autochtones et inuit. […]
Les options A et B [pays sans ou avec armée] comportent une déficience internationaliste particulièrement prononcée pour l’option B qui opte pour la « neutralité » entre l’impérialisme et ses victimes le combattant. L’option B est déficiente en ce qui regarde le caractère populaire, tout comme la proposition à propos de l’« agence de renseignement et de contre-espionnage ». L’option A verse dans le dogmatisme non-violent qu’il ne faut pas confondre avec la priorité politique à accorder à la non-violence dans un monde d’armes de plus en plus destructrices et sophistiquées.
Comme une agence de renseignement et de contre-espionnage est un mal nécessaire dans le monde tel qu’il est, il en va de même pour une police armée vis-à-vis la paix nationale et une armée pour la paix internationale. Pour la gauche luttant pour un monde de liberté, d’égalité, de solidarité et d’harmonie avec la nature, la contradiction est ailleurs. Le danger est que ces agence, police et armée développent un « esprit de corps » vis-à-vis la société et son gouvernement, grâce à leur contrôle de l’envahissante information sécuritaire et de l’armement de plus en plus létal, précis et intelligent, ce qui permet à ces institutions chantage et, à la limite, domination et interventionnisme. Ces améliorations technologiques bénéficiant avant tout aux forces capitalistes de plus en plus autoritaires et violentes plaident pour privilégier la résistance massive démocratique et non violente mais sans exclusive idéologique en ce qui concerne le recours aux armes.
Je déduis de cette critique les propositions alternatives suivantes :
Agence de renseignement et de contre-espionnage :9.2.5, alinéa a), item VII. [...] dont les activités seront supervisées par un Comité d’audit et de réglementation conjointement parlementaire et citoyen disposant d’un pouvoir d’information et de convocation sans entraves et devant faire un rapport annuel et public. Cette ouverture, plus efficace que la culture du secret, permettra la vigilance et la mobilisation populaire pour contrer le banditisme surtout col blanc, le terrorisme, le sabotage et l’espionnage.
Option C : Une politique de défense démocratique et populaire :Une politique sécuritaire et militaire de gauche doit à la fois restreindre et populariser. Restreindre au maximum les professionnels du renseignement, les porteurs d’armes y compris au sein de la police et l’ampleur de l’armée. Tous ces professionnels doivent être ultimement dirigés par des personnes civiles élues et adossées à des comités de contrôle composés de personnes élues et de celles citoyennes militant dans des organisations critiques des politiques sécuritaire et militaire. Ces comités doivent faire un rapport annuel à débattre et à voter par le parlement.
Populariser la vigilance pour contrer le banditisme surtout col blanc, le terrorisme, le sabotage et l’espionnage. Populariser la protection et la défense civile contre les catastrophes et au besoin contre une invasion militaire en privilégiant des moyens de résistance non violents et mobilisant l’ensemble de la population sans toutefois exclure la milice armée. Cette popularisation se fera par des comités régionaux et locaux élus en coordination avec les MRC et les municipalités et avec le soutien des institutions nationales pertinentes.
Il n’y a pas de sécurité nationale sans sécurité mondiale particulièrement sans paix mondiale. Le Québec rendra disponible un corps de volontaires observateurs et accompagnateurs à la demande de parties impliquées garantissant leur sécurité en autant que ça ne soit pas au détriment de la lutte contre l’exploitation et l’oppression. Pour aider au progrès des luttes pour les droits démocratiques, nationaux et sociaux, le Québec pourrait faire bénéficier des organisations politiques ou sociales de soutien civil et armé, y compris en personnel, ce qui nécessiterait un débat et un vote parlementaire spécifique.
Une nouvelle et souhaitable stratégie indépendantiste de facto mais qui reste au milieu du gué
Les propositions pour le bloc 2 (transition vers l’indépendance), auxquelles je suis complètement favorable en autant qu’on mette clairement cartes sur table, modifient fondamentalement notre stratégie indépendantiste donc notre stratégie tout court. On pourrait appeler ça de la démocratie par la porte arrière. Celle-ci n’est plus de facto axée sur l’assemblée constituante, qui devient la tâche constitutionnelle de notre stratégie, à faire au moment du processus ou même après la réalisation de l’indépendance. Cette stratégie de la constituante, étant donné la vive réaction tout à fait prévisible des fédéralistes, du « love-in » à Octobre 70 en passant par la loi de la clarté, était suicidaire tant elle relevait de la naïveté du respect des institutions par les fédéralistes.
Sous couvert de transition, la nouvelle stratégie de facto est une élection référendaire qui ne peut pas être une simple élection électoraliste, ou même une « révolution des urnes », ce qui mènerait à une capitulation en rase-campagne à la Syriza. Une telle élection, pour vaincre dans les urnes puis contre le fédéralisme néolibéral et extractiviste, doit s’appuyer sur une immense mobilisation de la rue avant, pendant et après les élections dont celles de Hong Kong et de l’Algérie (ou du Québec de 1972) donnent l’idée. Mais si cette stratégie de facto en reste là, à mi-chemin, elle aboutira à la même défaite qu’en Catalogne dont elle s’inspire.
Manque à cette stratégie l’attrait d’un crédible et concret pilier socio-économique au projet de société indépendantiste lequel ne peut être ni un indigeste programme de cent pages ni une plateforme conjoncturelle à la mode populiste reposant sur quelques revendications pointues qui pognent. (Mais cet aspect n’est pas l’objet des modifications au programme.) Il n’en reste pas moins que ce pilier socio-économique ne peut pas être l’extractivisme du « Livre qui fait dire oui » sur lequel s’est compromis le parti quand il a intégré Option nationale comme collectif. Il faudrait plutôt considérer que ce pilier soit une société éco-féministe du prendre soin des gens et éco-autochtone du prendre soin de la terre-mère, laquelle société n’a rien à voir avec le projet capitalisme vert du dit Plan de transition du parti. Le même danger guette les sans précédentes mobilisations prolongées de Hong Kong et de l’Algérie à qui il manque ce même pilier socio-économique soutenu par une direction politique crédible ayant une ascendance populaire suffisante. Pensons au résultat ambigu du Soudan où l’armée « partage » le pouvoir avec les forces démocratiques tout en conservant les ministères contrôlant armée et police en plus « temporairement » de la présidence.
Ce qui frappe dans ces mobilisations, c’est la combinaison de leur énorme dimension — souvent des millions de personnes — et leur persévérance — durant des mois et pendant de longues heures et parfois jours sous la chaleur et souvent sous les coups de la police. Comme ce sont des pays ou entités politiques qui n’ont jamais connu ou seulement sporadiquement/partiellement connu les « joies » de la démocratie parlementaire typiquement capitaliste, cette perspective unifie la grande majorité de la population. Elles sont à comprendre dans le sillage des soulèvements commencés en 2011 tout en n’en tirant la grande leçon du refus de l’emploi de la violence même pour répondre à la provocatrice violence du pouvoir. Ces grandes mobilisations sont à soutenir clairement et explicitement par tous les démocrates de ce monde, ce que n’a pas encore fait Québec solidaire, en y ajoutant les importantes mobilisations des peuples opprimés de Puerto Rico, et du Cachemire qui se révèle au monde comme une nouvelle Palestine persécutés par le même type de régimes proto-fascistes. Il faut se souvenir que le nécessaire renversement du capital comprend la lutte pour la démocratie et est drôlement facilité par de préalables victoires démocratiques qui permettent aux organisations ouvrières et populaires d’avoir légalement pignon sur rue y compris le droit de grève et de manifester.
Une régressive et néolibérale écotaxe supplante une indépendance anti-extractiviste de « prendre soin »
Le bloc 3 (écofiscalité) est une capitulation totale aux forces du marché c’est-à-dire à la domination des transnationales. (Je tiens à préciser que comme membre du comité thématique sur l’environnement je me suis opposé bec et ongles à ce sabordage de notre programme même si pour des raisons de santé je n’étais pas à la réunion où le vote formel « unanime » a eu lieu.) L’écofiscalité est l’équivalent d’une régressive taxe indirecte, une espèce de taxe de vente enrobée d’écologisme pour fin d’acceptabilité sociale quelles que soient ces atténuations régionales, sectorielles et selon les revenus. À la fin, elle doit surtout servir à financer le Plan de transition aux dépens des dites « classes moyennes », sinon des classes pauvres, à moins d’une écofiscalité élevée pour que la partie redistributive soit importante. Les classes moyennes les moins nanties, surtout celles vivant en banlieues et en régions – le terreau des « gilets jaunes » – finiront par y voir clair.
Il ne faut pas se laisser tromper par le débat canadien entre la droite centriste, pro taxe carbone, et la droite dure, anti taxe carbone. Toutes les deux sont pro-marché avec ou sans entraves. Elles sont d’abord pour la croissance et l’accumulation du capital. Toutes les deux sont opposées à un plan musclé d’urgence climatique à la hauteur, et au-delà, d’une planification de temps de guerre. Pourtant les deux tiers des québécoises et québécois sont d’accord que « l’urgence climatique requiert que nos gouvernements adoptent une réponse de temps de guerre ». Quand les intérêts vitaux du patronat sont en jeu, il est le premier à renoncer à la prééminence des forces du marché. Quand c’est l’existence d’une humanité civilisée qui est en jeu, l’humanité anti-capitaliste doit l’imiter mais cette fois sur la base d’une planification démocratique et d’une mobilisation permanente du 99% pour contrer le capital, surtout pétrolier et financier, et pour la construction d’alternatives de bas en haut.
Plus qu’une méthode régressive de financement, l’écotaxe déroule le tapis au capitalisme dit vert, un oxymoron s’il en est un, y compris pour sa gargantuesque et apprenti-sorcier géo-ingénierie que le programme ne rejetterait plus. Ce recul proposé ferait de notre priorité écologique une farce monumentale qui provoquerait un immense éclat de rire de tout le patronat et de sa représentation politique. La nature profonde de notre parti en serait chamboulée. Au contraire, l’heure est venue d’enfin se doter d’un plan de transition de plein emploi écologique pour édifier une société éco-féministe de prendre soin des gens et éco-autochtone de prendre soin de la terre-mère. Comment le financer ? Par une mobilisation de toute l’épargne nationale aux dépens de la Finance, ce que permettra la réalisation de l’indépendance nationale, y compris une profonde réforme fiscale qui imposera le capital sous toutes ses formes, profits, capitalisation, revenus élevés, fortune, héritage et consommation de luxe qui est généralement énergivore.
Arrêter le rouleau-compresseur de la centralisation et responsabiliser la militance
Mes propositions d’amendements aux modifications aux statuts s’appuient sur la nécessité de lutter contre la centralisation électoraliste et sur la maximisation de la participation de la militance à la vie du parti que ce soit l’élaboration programmatique ou la stratégie parlementaire et au-delà. Ci-bas, je retiens seulement les modifications où j’ai apporté des amendements lesquels sont en MAJUSCULES.
6.2 Rôle et responsabilités des associations de circonscriptions [Ajout à la fin de l’article :] Les associations ont la responsabilité DE LA COORDINATION DE LEURS PRIORITÉS DE TRAVAIL dans la circonscription EN COLLABORATION avec la députation solidaire de leur circonscription.
12.2. Composition du Comité de coordination national (CCN) : rôles et fonctions : Le Comité de coordination national est composé de quatorze (14) personnes, dont au moins sept (7) femmes [Ajout :], LES PORTE-PAROLE SONT ÉLU-E-S POUR UN MAXIMUM DE 4 MANDATS OU 8 ANS. LES AUTRES MEMBRES SONT ÉLU-E-S POUR UN MAXIMUM DE 3 MANDATS OU 6 ANS.
12.2.2 : AUCUNE RESPONSABILITÉ NOUVELLE AU MANDAT DE LA PRÉSIDENCE DU PARTI13.1 Encadrement du travail parlementaire
13.1.1 Le Conseil national détermine les priorités de travail nationales de l’aile parlementaire en lien avec les priorités du parti.13.1.2 : L’aile parlementaire doit faire rapport à chaque CN et Congrès ET CE RAPPORT DOIT ÊTRE DÉBATTU ET FAIRE L’OBJET D’UN VOTE. 13.1.3 Le CONSEIL NATIONAL forme un comité de stratégie responsable de la supervision du travail parlementaire et de sa coordination avec l’ensemble des activités du parti. LES MEMBRES VOTANTS DE CE COMITÉ DOIVENT ÊTRE DES ÉLU-E-S PAR LE CONSEIL NATIONAL AUX DEUX ANS, Y COMPRIS SA/SON RESPONSABLE.
17.2 Ajouter aux modifications proposées, e) ACCORDER À LA COMMISSION POLITIQUE ET À SES COMITÉS THÉMATIQUES LES RESSOURCES HUMAINES ET FINANCIÈRES NÉCESSAIRES À LA RÉALISATION DE LEURS MANDATS.
17.2.3 Ajout aux modifications proposées : LES ASSOCIATIONS RÉGIONALES ÉLIRONT UN-E REPRÉSENTANT-E POUR CHAQUE COMITÉ THÉMATIQUE ET POURRONT CONSTITUER DES COMITÉS THÉMATIQUES RÉGIONAUX SELON LEURS PROPRES RÈGLES.
Le Cahier de propositions dit « ...que seuls les sujets qui ont été adoptés lors du CN seront traités au présent Congrès. Tous les amendements ou les nouvelles propositions qui ne seront pas en lien avec ces sujets seront référés au comité des statuts pour être potentiellement traités au Congrès de 2021. » Une revue générale des statuts ne sera possible qu’au congrès de l’automne 2021 que le Conseil national du printemps 2021 aura filtré. Pour donner une voix plus forte au parti de la rue en fonction de ces deux instances de 2021, il serait bon que les deux réseaux militants, intersyndical et écologiste, disposent à ce moment-là d’un droit de représentation ce qui suppose de traiter la chose maintenant.
En sachant qu’un congrès peut passer outre à une décision d’un Conseil national et en supposant que les deux réseaux militants veuillent très fort un droit de représentation, on pourrait tenter de mettre la chose à l’ordre du jour. Il me semble que proposer une représentation des réseaux militants égale à celle des associations de circonscriptions est plus que raisonnable comme représentation du parti de la rue en se rappelant qu’il n’y en a que deux face à des dizaines d’associations de circonscription. Les grands rendez-vous de la militance Solidaire avec le mouvement social à la veille de la grande négociation du secteur public, un rendez-vous récurent imposé par la grande grève générale de 1972 auquel la classe patronale québécoise n’a pu échapper depuis lors, le renforcement du parti de la rue, en particulier du réseau intersyndical de Québec solidaire, s’impose, tellement la reconstitution du Front commun fait problème. On ne peut pas tomber dans le fatalisme devant le danger d’américanisation-privatisation de nos services publics. L’audience nouvelle de notre parti invite à une pro-activité en termes d’éducation politique générale et aussi à un soutien de notre Réseau intersyndical certainement en mesure de rassembler nos nombreux membres syndiqués dans le secteur public tant pour faire l’analyse de la situation afin de définir un plan d’intervention.
La capitulation de 2015-2016 a résulté en une séparation du mouvement syndical du secteur public en deux grandes entités, vite dit : les « employées de soutien » et les « employéEs spécialiséEs » au détriment du leadership de la CSN réputée la plus combative des centrales syndicales. Le parti ne peut se laver les mains de ce qui devrait être la lutte sociale majeure du mandat Legault. L’organisation du Front commun n’est pas, bien sûr, de la responsabilité du parti. Mais l’éducation politique de nos membres et de notre électorat et du grand public, certainement. Ce serait à notre parti, sans tarder, de démontrer le caractère éco-féministe du Front commun. Non seulement comme secteur de travail clef pour les femmes et comme lieu indispensable de la reproduction sociale collectivisée réduisant d’autant l’esclavage domestique. Mais aussi comme service public écologique d’une part peu énergivore sauf en énergie humaine, d’autre part créateur de riches liens sociaux anti-productivistes et qui font reculer d’autant la solitude pavant la voie au consumérisme compensatoire. C’est à ce niveau que le Réseau militant écologiste du parti pourrait au sein du mouvement climatique et anti-hydrocarbure inviter à l’appui pro-actif envers le Front commun.
L’emprise du nationalisme et du bon-ententisme
L’éducation politique du parti n’est pas toujours à la hauteur ni au rendez-vous. Cet été, le maire d’Oka en banlieue de Montréal, où a eu lieu il y a une trentaine d’années l’affrontement militaire entre les Kanien’kehá ka, la Sûreté du Québec et l’armée canadienne, n’y sont pas allés par quatre chemins, à tel point qu’il a fini par s’excuser récemment. Même l’ambigu éditorialiste Myles du nationaliste Le Devoir, sans employer le terme « raciste » n’a pas ménagé le maire d’Oka : « L’escalade verbale du maire Quevillon, qui prédit une deuxième crise d’Oka si les terres sont cédées, fait craindre aux Mohawks de subir les stigmates de la crise de 1990 [...] Le maire craint, sans ordre d’importance particulier, l’encerclement d’Oka, la disparition de sa ville, la chute de la valeur des propriétés et la cohabitation difficile avec un peuple qu’il associe à l’exploitation des commerces illicites de vente de cigarettes, de marijuana, ainsi qu’à l’enfouissement illégal et à la pollution du territoire. Il ne veut pas vivre avec « ça », le ça en question étant une caricature grossière de ses voisins. Pas surprenant que les élus provinciaux et fédéraux aient invité le maire Quevillon à mettre de l’eau dans son vin et à aborder les enjeux certes délicats et épineux du partage du territoire et de la cohabitation à l’aune du respect et du dialogue. » J’estime très grave le refus de dénoncer le racisme du maire d’Oka de la part de la direction du parti d’autant plus que cet incident fait les manchettes. C’est un signe fort que le parti est significativement pénétré par le nationalisme qui n’est pas seulement un nationalisme de l’opprimé.
Non seulement la porte-parole a-t-elle fait une tournée de certaines nations autochtones et inuit sans dénoncer les propos racistes du maire d’Oka mais le parti dénonce la politique d’immigration « économique » de la CAQ sans dire un mot à propos des seuils. La CAQ dit 40,000 vers un peu plus que 50,000. Le Conseil du patronat dit 60,000 pour contrer l’actuelle pénurie de main d’œuvre... à leurs conditions néolibérales de travail, tellement que le taux d’activité est moindre aujourd’hui qu’avant la crise de 2008 malgré un taux de chômage beaucoup plus bas qu’alors. Une politique de gauche en ces temps de crise des réfugiéEs due à ce mélange délétère de crise climatique, de guerre et de néolibéralisme exacerbé au Sud, signifie une politique de portes ouvertes sur fond de politique de plein emploi requise par une politique de rapide transition anti-GES et pro-biodiversité vers une économie éco-féministe et éco-autochtone du « prendre soin ».
Le parti participe fièrement au défilé de Fierté Montréal mais c’est motus et bouche cousue à propos de la présence du Premier ministre dénoncée par une partie de la militance LBGTQ+. Le parti est resté coi sur la défaite, au cœur de l’été, des travailleurs de l’aluminerie ABI propriété de Rio Tinto et de ALCOA. Dans cette affaire, le parti, bien qu’il l’ait d’abord dénoncé, a finalement cessé d’exiger que le gouvernement modifie le contrat entre Hydro-Québec et ABI lui permettant en cas de lock-out de ne pas payer l’important bloc d’électricité qui lui était réservé. Méchant avantage à la compagnie au point de départ qui lui permet un lock-out à bon marché. Il semble que les lois spéciales soient réservées aux syndicats et que les contrats entre entreprises et gouvernements soient des vaches sacrées que la direction de Québec solidaire tient à respecter.
Un parti « sérieux » pour des gens « sérieux » et qui manipule la jeunesse motivée
Loin d’être une suite de bavures, ces oublis et insuffisances reflètent une ligne politique consistante. De dire le porte-parole homme et stratège du parti : « Plus que jamais, il nous faut avoir des débats sur notre programme, sur notre plate-forme électorale en ayant en tête que notre ambition est de gouverner le Québec [...] ça change la nature des débats et ça impose un sérieux... ». Je ne savais pas que notre programme et notre dernière plateforme manquaient de sérieux. Beau pied de nez à la militance du parti. Ou est-ce que ça signifie qu’il faut plaire aux gens « sérieux » qui défendent le capital et mettre de l’eau dans notre vin ? Pourtant l’urgence climatique exige une grande radicalité. La campagne ultra prioritaire du parti, Ultimatum 2020 pour l’urgence climatique, a l’air radicale sans l’être. Le parti laisse la CAQ gouvernementale déployer son plan écologique que ce parti n’avait pas au départ sans déployer le sien qu’il a (mais qui relève du capitalisme vert). Les revendications clefs de cette campagne rejettent la marginale exploration et exploitation du gaz et du pétrole au Québec mais ne disent rien à propos du rejet du très réel et gigantesque projet de gazoduc et du port méthanier du Saguenay.
Ultimatum 2020 a pour but apparent de faire apparaître le parti comme un parti-mouvement climatique mais aux dépens de la construction du mouvement réel. Son but réel est de garder au chaud jusqu’en 2020 cette nouvelle militance attirée par notre parti puis de la mobiliser en vue des élections de 2022. La méthodologie des ordres aux deux semaines se fait sans consultation et encore moins décision démocratique pour au moins l’orientation générale de leur contenu. Je ne doute pas que cette jeunesse inexpérimentée et confiante dans le parti soit rassurée par cette méthodologie. Mais elle n’apprend ni la démocratie ni l’autonomie et encore moins à développer sa pensée critique. Tout cet électoralisme se rehausse du tape-à-l’œil de l’invitation Solidaire de Greta Thunberg, qui sera présente à la manifestation climatique de Montréal le 27 septembre, à l’Assemblée nationale. La jeunesse nouvellement politisée par la question climatique se satisfait pour l’instant de ce populisme de gauche mais viendra un temps où il faudra trancher les enjeux controversés qui révèlent où logent réellement les partis.
Une contestation interne à souligner mais qui reste hésitante et limitée quoique…
Faut-il se surprendre qu’éclate au sein de la militance liée aux mouvements sociaux une crise questionnant la démocratie interne dont le fondement, non reconnue cependant par cette militance, aie un électoralisme reposant sur un Plan de transition de type capitalisme vert et une stratégie indépendantiste à base d’extractivisme tous deux jamais débattus et jamais votés au sein du parti. Pour l’instant le groupe « Solidaires pour la démocratie interne » prône surtout des solutions d’ordre administratif (plus de formation politique, meilleur accès à l’information, plus de débats, d’implication et de prise de décisions des membres) mais aussi à « développer le parti de la rue ». Le diagnostic très percutant sous forme de témoignages écrits et oraux n’a pas été synthétisé ni rendu public au sein de la militance.
C’est à se demander si le débat sortira de l’enceinte chaude du groupe pour être porté chez la militance du parti, par exemple dans le Facebook « Réflexions stratégiques » (860 membres comparé à 130 de celui du groupe) ou, par exemple, sous forme de tract à distribuer au congrès ou dans les assemblées pré-congrès de circonscriptions ? Y aller avec une liste de solutions sans cette étape préalable est mettre la charrue avant les bœufs et suscitera de l’incompréhension d’autant plus que la direction du parti a le vent dans les voiles. Sans compter que l’analyse politique de ce diagnostic trop vite escamoté aurait dû précéder la liste de solutions.
Mais voilà qu’en dernière heure le Réseau militant écologiste sort enfin de ses gonds avec une critique vitriolique de la campagne Ultimatum 2020 et surtout la porte chez la militance via les réseaux sociaux privés liés au parti. Dommage que cette critique ne s’élargisse pas au contenu du Plan de transition qu’on veut toujours publiciser sans reconnaître son caractère capitaliste vert. « Faire connaître au cours de la campagne 20/20, le plan de transition écologique transformateur que nous voulons, amenant à dépasser le capitalisme » est une contradiction dans les termes. Le Réseau prône tout de même une discussion du plan dans le parti et au-delà, discussion qui n’a jamais eu lieu. On aurait aimé que le Réseau ait le courage politique d’étendre sa critique jusqu’au projet de société et non compter sur des tiers pour le faire. Il n’en reste pas moins que cette invitation au débat pour réorienter fondamentalement la campagne clef du parti vers les mouvements sociaux renoue avec l’espoir de ramener le parti à l’anticapitalisme.
Marc Bonhomme,
11 septembre 2019
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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