Édition du 19 novembre 2024

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Crise économique

Il est minuit dans l’économie mondiale

Au début de la crise, fin 2007, le pronostic n’était pas bon. Mais la gravité de l’événement fut dissimulée par une terminologie inoffensive  : on a parlé de récession, ce qui invitait immédiatement à envisager la manière dont se ferait la reprise. Le débat fut centré sur une discussion quant à la forme de cette reprise. On a notamment parlé d’une possible récession en forme de W  : une première chute, suivie d’une reprise et ultérieurement d’une autre. Aujourd’hui, ce processus est bel et bien en cours. Et n’oublions pas  : les rechutes sont pires.

Les principaux pôles de croissance de l’économie mondiale sont en difficulté, nous nous trouvons devant un long processus de stagnation et d’inégalité croissantes.

Première grande crise capitaliste en Chine

La Chine va affronter sa première crise capitaliste sévère. On la présentait habituellement comme un modèle réussi basé sur un fort investissement, sur le changement technologique et la compétitivité. Mais on a peu reconnu les graves problèmes qu’affronte son secteur bancaire. Son important portefeuille résulte d’une politique monétaire et de crédit qui favorise l’endettement excessif et la spéculation immobilière. Les prêts atteignent 3 billions de dollars, ce qui a provoqué la hausse du prix des biens immobiliers. L’investissement en biens stables est saturé et il existe des locaux vides pouvant accueillir 200 millions de personnes.

La bulle immobilière en Chine a déjà atteint des proportions mythiques et lorsque cette bulle explosera, les effets se feront sentir dans le monde entier. La pression sur les coûts salariaux s’intensifie, alors que du côté des investissements, il y a un excès inquiétant de capacité installée (sur-investissement). Aujourd’hui, les rendements qui avaient servi à justifier les investissements d’hier n’atteignent pas le niveau requis pour couvrir les coûts et les charges financières. Les attentes favorables des investisseurs, ces dernières années, ne se sont pas réalisées.

La Chine découvrira que l’essence du capitalisme repose sur deux piliers  : d’une part, la croissance économique, impulsée par la concurrence intercapitaliste ; d’autre part, la tendance à l’instabilité et à la stagnation. On constatera, à Pékin, que les moteurs du dynamisme et de la croissance génèrent en même temps le dysfonctionnement et la crise.

L’Europe sous ajustement structurel

Dans l’Union européenne, la politique d’austérité conduit à la stagnation. Elle ne permettra pas de réactiver l’économie grâce à une supposée réduction des taux d’intérêt. Elle ne permettra pas non plus de susciter la création d’emplois. Elle ne servira même pas à sauver les finances publiques, parce que la recette s’effondrera et l’endettement devra continuer. Dans sa course folle à la maximisation des profits, le capitalisme européen prétend éliminer tout élément de solidarité avec la classe travailleuse, en réduisant les coûts salariaux et en supprimant les droits sur le lieu de travail. Ce fut toujours le rêve des maîtres du capital  : soumettre l’Etat grâce à l’endettement. Pour démanteler les restes de l’Etat social, la soumission politique à la sphère financière est idéale.

En Europe, nous assistons à un chef-d’œuvre de tromperie et de manipulation  : l’effondrement financier s’est transformé en crise de la dette souveraine dans les pays européens, un phénomène qui menace même la survie de la monnaie unique. L’écroulement financier qui s’est produit dans le secteur privé a muté en crise des finances publiques, parce que le coût gigantesque de la crise a été socialisé, alors que les bénéfices sont restés privatisés. C’est un processus d’une grande violence sociale.

Les États-Unis en panne

Aux Etats-Unis, épicentre de la crise, la politique fiscale s’est déjà orientée vers l’austérité. L’affirmation selon laquelle les indicateurs de l’emploi et de l’évolution de l’industrie manufacturière sont décevants est une plaisanterie. Malgré cela, à Washington, personne ne veut entendre parler de stimulants fiscaux pour l’économie, Obama le tout premier  : celui-ci est trop occupé à recueillir des fonds à Wall Street en vue de la prochaine campagne électorale.

En ce qui concerne la politique monétaire, le gilet de sauvetage de la flexibilité quantitative est sur le point de disparaître. La Réserve fédérale ne renouvellera pas l’injection de liquidités en achetant des titres émis par le gouvernement fédéral. De toute manière, en ce moment, les seuls bénéficiaires de cette politique sont les banquiers et les grandes entreprises, qui ont vu un afflux de liquidités dans leur trésorerie.

Depuis longtemps, dans les économies capitalistes, l’Etat a cessé d’être une instance permettant de résoudre les conflits sociaux (y compris celui de la distribution). Mais maintenant le dénominateur commun, c’est la consolidation de l’Etat comme agent du capital financier et comme instrument de domination qui rejette les demandes de la population. Les rêves les plus chers de la classe capitaliste se sont accomplis et une nouvelle étape dans l’histoire du capitalisme a débuté. Cette étape ne sera pas longue et elle devra se résoudre sur le terrain politique.

Alejandro Nadal est professeur et chercheur au Centre d’étude économique du Colegio de Mexico

* La Jornada (15.6.2011). Paru en français en Suisse dans « solidaritéS » n°191 (08/07/2011), p. 13. Traduit de l’espagnol par Hans-Peter Renk. Intertitres de la rédaction.

Alejandro Nadal

Alejandro Nadal est professeur et chercheur au Centre d’étude économique du Colegio de Mexico. Il est économiste et membre du conseil éditorial de SinPermiso.

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