Une seule pensée me vint à l’esprit : la chef Theresa Spence a faim. En fait, ce n’était pas une pensée. C’était un sentiment. La sensation de la faim. Allongée dans ma chambre noire, je me représentais le chef de la Première nation d’Attawapiskat couchée sur un tas de couvertures dans son tipi en face de la Colline du Parlement, débutant sa quatorzième journée de sa grève de la faim.
J’ai bien sûr suivi la contestation de la chef Spence et sa demande de rencontrer le premier ministre Stephen Harper pour discuter du sort de son peuple et de sa démolition des droits issus de traités par la loi omnibus. J’avais peur pour elle. Je l’avais appuyée. J’avais contribué à faire circuler les pétitions. Mais maintenant, avant que les filtres de la lumière et de la raison [the distancing filters of light and reason] aient eu la chance de faire effet, je la sentais. La détermination derrière sa faim. La radicalité de choisir cette période de l’année, un temps de satiété — des estomacs, des oiseaux, des bas — pour dire : j’ai faim. Mon peuple a faim. Tant de gens sont affamés et sans abri. Vos nouvelles lois ne feront que conduire à plus de misère. Peut-on en parler en tant qu’êtres humains ?
Allongée, j’ai imaginé une autre détermination — celle du Premier ministre Harper se disant : « Je ne vais pas la rencontrer. Je ne lui céderai pas. Je ne vais pas être obligé de faire quoi que ce soit. »
M. Harper peut fléchir, par peur des retombées politiques de laisser cette grande leader mourir. J’espère sincèrement qu’il le fera. Je veux que la chef Spence mange. Mais je n’oublierai pas de sitôt cette opposition entre ces deux sortes très différentes de détermination, une sorte bouchée, fermée, l’autre toute grande ouverte, exprimant la douleur du monde.
Mais la faim de la chef Spence ne parle pas seulement à M. Harper. Elle parle aussi à chacun et chacune d’entre nous, en nous disant que le temps de râler et de gémir est terminé. C’est maintenant le temps d’agir, de se montrer fort et inflexible pour les gens, les lieux et les principes que nous aimons.
Ce message est un don puissant. Tout autant que le mouvement « Idle No More » (Finie la léthargie) — une appellation qui est à la fois un engagement ferme pour l’avenir et en même temps une gentille autocritique du passé. Nous sommes restés les bras croisés, mais c’est fini.
La plus grande bénédiction, cependant, c’est la souveraineté autochtone. Ce sont les vastes étendus de ce pays qui n’ont jamais été cédées par la guerre ou par des traités. Ce sont les traités signés et encore reconnus par nos tribunaux. Si les Canadiens ont une chance d’arrêter les plans de M. Harper de ravager la planète, ce sera parce que ces droits juridiquement contraignants — soutenus par des mouvements de masse, des contestations judiciaires et l’action directe — se dresseront sur son chemin. Tous les Canadiens devraient offrir leurs plus sincères remerciements à nos frères et à nos soeurs aborigènes qui ont protégé leurs droits territoriaux pour toutes ces générations, refusant de les céder pour un seul versement final, peu importe à quel point ces dollars étaient nécessaires. Ce sont ces droits que M. Harper tente d’éteindre maintenant.
Au cours de cette saison de la lumière et de magie, quelque chose de magique se répand. Il y a des danses en rond autour ses magasins gorgés de dollars. Il y a des tambours noyant la musique d’ambiance des centres commerciaux. Il y a des plumes d’aigle qui volent la vedette aux faux pères Noël. Ces peuples dont les terres ont été volées par nos ancêtres et dont ils ont tenté d’éradiquer la culture, se lèvent, affamés de justice. Les racines canadiennes réapparaissent. Et ces racines nous rendront tous plus forts.
* Auteur et activiste, Naomi Klein est l’auteur de No Logo, La stratégie du choc, et d’un livre à paraître sur la politique de changement climatique.