Édition du 18 février 2025

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Canada

Hydro Manitoba en Afrique

Voilà une tache économique et sociale que peu de manitobains-es soupçonnent. Un grand titre de la presse nigériane se lisait comme suit récemment : « Le Sénat a adopté une résolution sur les pratiques malsaines d’Hydro Manitoba Limité ». Un autre précisait : « (Hydro) Manitoba poursuivi pour avoir outrepassé son contrat ».

Yves Engler, counterpunch.org, 16 février 2016, Traduction, Alexandra Cyr

Largement à l’insu de ses propriétaires, Hydro Manitoba International (HMI) a soulevé une controverse importante dans le pays africain le plus populeux. Au cours des dernières années, la presse nigériane a publié des centaines d’articles à propos du soutient diplomatique dont bénéficiait HMI, de ses conflits avec les autorités locales et de ses disputes autour de son contrat de quatre ans pour la gestion de Transmission Company Nigeria(TCN). La compagnie de consultants d’Ottawa, CPCS Transcom avait été mandatée pour superviser, entre autre, la privatisation du réseau électrique du Nigéria. À ce titre elle a passé un contrat avec HMI pour qu’elle gère TCN, la seule partie de la compagnie Power Holding Company of Nigeria qui devait demeurer publique.

Un analyste nigérian du secteur de l’électricité de son pays soulignait à quel point il est contradictoire de voir une compagnie publique dans son pays faciliter ce qui serait illégal chez-elle. En effet, la loi constituante d’HMI prévoit que pour décider de la privatisation d’Hydro Manitoba, il faut passer par un référendum. Tunji Ariyomo, président de la table énergie, infrastructures et technologies, du groupe de réflexion Nigeria’s NDI, souligne : « C’est un peu ironique de voir que pendant que HMI demeure une compagnie totalement détenue par le gouvernement au Canada avec une protection législative contre la privatisation, elle annonce qu’un de ses objectifs majeurs est de réorganiser TCN afin que ses fonctions de distributeur d’énergie et de gestion globale du système soient séparées ».

Les travailleurs-euses de TCN se sont opposé aux plans d’HMI tout comme certains membres du gouvernement et la majorité de la population. Les syndicats du secteur de l’électricité ont exigé que toutes les questions les concernant soient réglées avant qu’HMI ne prenne le contrôle de TCN. En août 2012, ils ont interdit l’entrée à la direction et au ministre Bart Nnaji au siège social de la compagnie. C’est l’intervention de douzaines de militaires armés qui les ont dispersés. Le journal Daily Independant rapportait : « les travailleurs ont été passés à tabac mais ont refusé de reculer. Ils ont crée un environnement d’enfer pour la firme canadienne ».

HMI a reçu 24 millions de dollars pour son contrat de gestion de TCN. Cela a créé des conflits au gouvernement et au ministère de l’énergie. Alors que le ministre de l’énergie était pour, le journal Daily Trust rapportait que : « de puissants intérêts dans le ministère se disaient peu impressionnés par les ententes sur le transfert de la gestion des centrales à la firme canadienne ». Ils questionnaient les impacts sur le transfert de connaissances, sur la création d’emplois, et exprimaient ouvertement leur peur que l’organisation d’un monopole de la distribution de l’électricité pour tout le pays ne favorise de la collusion.

Plusieurs mois après qu’HMI n’ait pris le contrôle de TCN, le Président du Nigéria, Goodluck Jonathan, a annulé son contrat. Alors que les syndiqués-es continuaient à protester, qu’une partie des membres du gouvernement s’opposaient aux projets d’HMI, le directeur général du Bureau of Public Procurement, M. Emeka Eze, révélait des irrégularités dans le processus de sélection d’HMI. Selon le quotidien This Day, M.Eze a écrit au Président : « en faveur de l’annulation du contrat (avec HMI) parce que l’attribution n’avait pas été soumise au processus prévu au Public Procurement Act pour le choix des donneurs de services ».

Les autorités canadiennes ont condamné cette annulation. Le journal Abuja Leadership, dans un article intitulé : « Comment le gouvernement canadien a forcé le Président Jonathan a faire demi tour », rapportait que le Haut commissaire canadien, Chris Cooter avait contacté le ministre des finances, le vice président et le Président pour leur signifier que : « le gouvernement canadien n’était pas content de la décision et qu’il pourrait s’abstenir de supporter le Nigéria dans d’autres secteurs à cause du traitement infligé au Manitoba ». M. Cooter a même laissé entendre que cette décision aurait un impact sur les investissements canadiens : « Le message que je transmet au Canada est que le Nigéria est (maintenant) ouvert aux affaires et que le contrat avec HMI le prouve ».

Le lobby canadien a gagné et quelques jours plus tard, HMI recouvrait son contrat.
Huit mois après le rétablissement du contrat (de HMI), le directeur du conseil de surveillance de TCN a démissionné en guise de protestation. M. Hamman Tukur a accusé HMI de style autoritaire et a dénoncé la nomination, par la compagnie, d’un nouveau directeur au conseil d’administration de TCN. Seul le gouvernement a la prérogative de procéder à ces nominations. M. Tukur a déclaré à un intervieweur : « Pouvez-vous imaginer cela ? Quelqu’un venant du Manitoba dans le lointain Canada nomme un directeur chef de l’exécutif à TCN propriété du gouvernement nigérian ». En décembre, le directeur exécutif nigérian de TCN a aussi démissionné au cours d’un différent sur la question du niveau d’autorité dévolu à HMI.

M. Tukur a critiqué son gouvernement pour avoir permis à HMI d’usurper la part d’autorité qui lui revenait. Mais le gouvernement nigérian était sous forte pression de la part de la Banque mondiale et d’autres gouvernements étrangers pour qu’il privatise son réseau d’électricité ce qui a mené à des protestations contre les hausses spectaculaires de son prix, qui ont suivi. Que dirait la population du Manitoba si une entreprise nigériane venait procéder à la privatisation de leur service public ?

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