Le dialogue débute avec les deux phrases interrogatives suivantes :
« Socrate (225a) [—] Qu’est-ce que l’avidité ? En quoi consiste-t-elle et qui sont les gens avides ?
Disciple [—] Ce sont, me semble-t-il, ceux qui estiment pouvoir tirer avantage de choses qui ne sont en rien estimables.
Socrate [—] Et, à ton avis, est-ce en se rendant compte que ces choses ne sont en rien estimables, ou en l’ignorant ? Si en effet c’est en l’ignorant, les gens avides sont des imbéciles. »
On aura compris que dans cet ouvrage apocryphe, Socrate échange avec un disciple anonyme sur le thème de l’avidité. « En quoi consiste-t-elle » et surtout qu’est-ce que « l’homme avide » ? Le disciple anonyme avance quatre définitions de l’homme avide, définitions qui semblent à première vue intéressantes. Ces définitions seront par contre l’une après l’autre réfutée par nul autre que Socrate.
Les quatre tentatives de définitions de « l’homme avide »
Il y a au départ celui qui croit « pouvoir tirer avantage de choses qui ne sont en rien estimables » (225a). Socrate s’inscrit en faux face à cet argument en soutenant que ce genre d’être, qui s’imagine trouver un gain à même une chose aucunement estimable, est non pas un homme avide, mais correspond plutôt à un « imbécile » (225a). Dans un deuxième temps, l’homme avide est celui qui « (recherche) le bien » (227a). Si tel est le cas, « c’est tout le monde qui apparaît être avide » (227c), car tous les hommes sont réputés par définition comme étant à la recherche du bien (227c-d). Dans un troisième temps, l’homme avide est celui qui se lance à la recherche d’un avantage qui rapporte un bien « dont les honnêtes gens n’osent pas tirer un avantage » (227d). Cet argument est également rejeté en raison du fait que la personne qui s’imagine arriver à tirer un gain d’une chose dont personne ne cherche à tirer avantage peut à la fois être bonne et mauvaise. La personne ici est à la recherche d’un avantage à partir de sa définition personnelle de l’honnête ou du malhonnête. En dernier lieu, le disciple anonyme propose qu’est un « avantage » toute possession acquise « en ne dépensant rien ou en dépensant moins pour recevoir plus » (231a et c). Cette dernière proposition de définition confond, selon Socrate, « valeur » et « quantité » (231d), ce qui l’amène à la récuser elle aussi.
Au fond, est avide celui ou celle qui manifeste un désir ardent et immodéré pour quelque chose. En prenant deux cas ou figures antithétiques, l’avare se distingue du prodigue par son obsession à tout conserver et à accumuler de façon à éviter un sentiment de perte ou d’effet ruine (exagéré en ce sens qu’il ne manquera point), tandis que le prodigue tend à tout dépenser avec excessivité, car son sentiment le pousse à maximiser ses expériences de la vie, à vouloir tout essayer, souvent de manière à être accompagné d’autres personnes ; en ce sens, l’avare ne songe qu’à lui-même, alors qu’autrui devient une source de perte, tandis que le prodigue songe certes aussi à lui-même, mais dans l’espoir d’être apprécié puisqu’autrui devient une source de gain pour les expériences humaines possibles d’être vécues en commun. Même dans les cas extrêmes, l’avidité apparaît, à la fois dans les possessions pécuniaires et dans ses dépenses excessives représentant une recherche de sensations et d’appréciation. Ainsi, Socrate a raison de critiquer les quatre définitions de son interlocuteur, car il est faux de dire que pour l’avide sa recherche de contentement repose sur des « choses aucunement estimables » (qui juge inestimable l’argent de nos jours ?), et s’il n’est pas tout à fait comme tout le monde dans sa recherche « du bien », c’est en raison de son excessivité qui le classe à part, sans pour autant supposer non plus son besoin de « tirer avantage d’un bien que les honnêtes gens éviteront » et, finalement, même si la dernière définition pourrait servir à qualifier l’avare de personne qui souhaite « ne rien dépenser ou encore dépenser moins pour recevoir davantage », il n’en est rien pour le prodigue tout aussi excessif.
Pour conclure
En définitive, aucune des quatre définitions proposées par le disciple anonyme ne trouve grâce aux yeux de Socrate. Se pose ici une question, à savoir : est-ce que l’homme aurait la caractéristique d’être par définition « avide » ? La réponse suggérée dans ce dialogue est la suivante : à partir du moment où aucun homme ne peut dire qu’il n’aime pas le gain, « tous les hommes sont avides et malhonnêtes » (232c). Il s’agit là d’une caractéristique que nous aurions, tristement, en commun.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
19 août 2022
yvan_perrier@hotmail.com
Références
Brisson, Luc (Dir.). 2020. Platon oeuvres complètes. Paris : Flammarion, p. 511-521.
Dixsaut, Monique. 1998. « Platon ». Dans Dictionnaire des philosophes. Paris : Encyclopaedia Universalis/Albin Michel.
Sans auteur. 2014. Écrits attribués à Platon. Traduction et présentation par Luc Brisson. Paris : GF Flammarion, p. 223-247.
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