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Asie/Proche-Orient

Guerre en Ukraine : les Israéliens refusent de voir les parallèles entre leur occupation et celle de Poutine

L’onde de choc de la guerre entre la Russie et l’Ukraine a rapidement atteint Israël et révélé certaines vérités embarrassantes, tout en confrontant les Israéliens au défi de voir leur pays tel qu’il est réellement, bien loin de ce qu’ils aiment imaginer.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Publié le 28 mars 2022
Gideon Levy

Cela a commencé par la déclaration du ministre des Affaires étrangères Yair Lapid, peu après le début de la guerre, selon laquelle l’invasion de la Russie était « une grave violation de l’ordre international ». En d’autres circonstances, ces propos auraient presque pu prêter à sourire et souligner l’incapacité de longue date d’Israël à voir ses propres attributs moins attrayants, tel un chameau qui ne voit pas sa propre bosse.

La Russie bafoue gravement l’ordre international. Mais qu’en est-il d’Israël ? Quel autre pays a transgressé l’ordre international de manière aussi flagrante et arrogante depuis tant d’années ? Existe-t-il une seule décision des grandes institutions internationales concernant ses affaires qu’Israël n’a pas ignorée ou effrontément enfreinte ?

En quoi l’invasion du Liban par Israël en 1982 ou l’occupation militaire qui s’est ensuivie diffèrent-elles de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? En quoi les fréquentes incursions d’Israël à Gaza, qui sèment la mort et la destruction, diffèrent-elles de l’invasion de la Crimée par la Russie ? Et outre sa durée, en quoi l’occupation de la Cisjordanie par Israël depuis cinq décennies, dont la fin n’est toujours pas à l’horizon, diffère-t-elle de la récente occupation de l’Ukraine par la Russie ?

Si cette ressemblance est étonnante, il est encore plus étonnant de voir de nombreux Israéliens la nier et la refuser. La Russie comme Israël justifient leurs invasions en invoquant la « légitime défense », une idée fausse dans les deux cas.

L’un comme l’autre considère le territoire occupé comme la terre de ses ancêtres, comme une partie de son patrimoine qui lui appartient de droit. L’Ukraine est le berceau de la russité, la Cisjordanie celui du judaïsme (bien sûr, cela n’a aucun rapport avec un quelconque droit de souveraineté). L’un comme l’autre tente également de nier l’existence des autres peuples présents, les Ukrainiens et les Palestiniens.

De même, les modes d’action sont effroyablement similaires : une invasion armée violente comme solution à des problèmes réels ou imaginaires. Les Russes prétendent avoir envahi l’Ukraine pour mettre fin à un « génocide », « dénazifier » le régime et démilitariser le pays. Les Israéliens ont proclamé des objectifs d’une similarité consternante avant d’envahir Gaza et le Liban : légitime défense, remplacement d’un régime « terroriste » et démilitarisation.

La Russie et Israël considèrent tous deux que leur avantage militaire les autorise à se comporter de la sorte. L’un comme l’autre promet de ne s’en prendre qu’à des cibles militaires, et pourtant, l’un comme l’autre tue des civils innocents, parfois sans reconnaître la distinction. Leurs armées sont presque aussi violentes l’une que l’autre, même si, ces derniers jours, l’armée russe semble aller encore plus loin que l’armée israélienne dans sa cruauté et dans la perpétration de crimes de guerre présumés contre une population civile innocente – ce qui n’est qu’une maigre consolation.

Israël commet ses crimes de guerre et bafoue le droit international depuis bien longtemps, sans qu’une fin soit visible à l’horizon. Il ne se passe pas un jour sans qu’Israël ne commette des violations flagrantes du droit international, qu’il s’agisse de l’entreprise de colonisation, du transfert de prisonniers sur le territoire de l’occupant, du détournement des ressources naturelles dans les territoires occupés ou encore du système de punition collective.

Les violations criminelles sont devenues une routine quotidienne sous l’occupation israélienne, qu’il s’agisse des détentions sans procès, des meurtres de civils innocents, de l’absence de poursuites contre les auteurs israéliens d’actes criminels ou du déni des droits fondamentaux des Palestiniens.

Quelle est donc la différence ? Elle réside uniquement dans le jugement du reste du monde, ce qui révèle un principe de deux poids, deux mesures et un climat d’hypocrisie.

Après seulement quelques jours d’occupation de la Crimée en 2014, l’Europe annonçait déjà des sanctions contre la Russie. Une semaine après l’invasion actuelle de l’Ukraine, le monde appliquait à l’unisson des sanctions d’une sévérité sans précédent contre Moscou.

Pendant ce temps, une occupation vieille de plus d’un demi-siècle rencontre l’indifférence et l’inaction du monde. Enfant chéri de l’Europe et des États-Unis, Israël est autorisé à faire ce que la Russie n’a pas le droit de faire.

Personne n’ose punir Israël. Alors que la Cour pénale internationale tergiverse depuis des années quant à une éventuelle enquête sur les crimes de guerre commis par Israël, elle a déjà commencé à enquêter sur l’invasion russe de l’Ukraine. De quoi s’agit-il, sinon d’une éthique internationale à deux vitesses ?

Un silence international

Le monde sait tout cela et garde le silence. Mais ce qui est tout aussi sidérant que le silence mondial, c’est que de nombreux Israéliens ne voient pas la réalité sous cet angle. Les mécanismes de lavage de cerveau et d’endoctrinement en place depuis des décennies ainsi que la dynamique de répression ont donné lieu à un état de déni total au sein de la société israélienne.

Lorsqu’un adolescent ukrainien lance un cocktail Molotov sur un char russe, les Israéliens y voient un acte héroïque digne d’être encouragé. Lorsqu’un adolescent palestinien poussé par les mêmes motivations et justifications fait de même, les soldats israéliens l’abattent et le public israélien le voit comme un terroriste. Peu d’Israéliens reconnaissent la similarité accablante entre ces deux actes tout aussi légitimes de résistance contre une occupation.

L’Ukrainien est un héros, le Palestinien un terroriste. La Russie est un envahisseur et un occupant cruel, tandis qu’Israël libère des territoires et récupère la terre de ses ancêtres, sans plus de contexte.

Pourtant, il y a peut-être un peu d’espoir qui se cache ici. Peut-être que lorsque cette maudite guerre russe en Ukraine sera terminée, le monde reconnaîtra qu’il n’y a aucune différence entre une occupation et une autre et osera tirer les conclusions qui s’imposent.

En supposant que les sanctions que le monde a courageusement imposées à la Russie s’avèrent efficaces et forcent Moscou à renoncer à ses rêves expansionnistes, peut-être le monde comprendra-t-il alors que c’est ainsi qu’il faut résister à toute occupation, qui plus est à une occupation qui dure déjà depuis plus d’un demi-siècle et menace la paix mondiale.

Peut-être le monde comprendra-t-il enfin que le seul moyen de mettre fin à l’occupation israélienne passe par SWIFT, le réseau bancaire international, sans lequel aucun pays ne peut continuer d’agir à sa guise et d’ignorer la réaction de la communauté internationale.

Gideon Levy

Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal israélien Haaretz. Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997 et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Son dernier livre, The Punishment of Gaza, a été publié par Verso en 2010.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

https://www.aurdip.org/guerre-en-ukraine-les-israeliens.html

Gideon Levy

Journal Haaretz, Israël

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