Ces résultats sont étonnants : le gouvernement libéral, qui n’avait plus l’autorité morale pour gouverner lors de la crise étudiante, s’est lancé dans une campagne électorale en été et, malgré l’insatisfaction généralisée, a tout de même réussi à conserver 50 sièges sur 125, ce qui constitue un véritable tour de force. Mais aussi parce que le parti de l’alternance, le PQ, face à une fenêtre historique, n’a pas réussi à profiter du « printemps érable » pour s’offrir une majorité confortable. Ce texte veut présenter le chantier politique qui s’ouvre désormais devant lui – on dira les cinq éléments nécessaires à la « reconstruction » du Québec – après les mandats désastreux des libéraux de Jean Charest à Québec.
Favoriser la paix sociale et la démocratie
D’abord, presque tous s’entendent pour dire que la gouvernance libérale de Jean Charest, un ancien député conservateur au parlement canadien, a blessé la société québécoise. Son règne, qui présente bien peu de points positifs, sera retenu par l’histoire comme celui de la corruption généralisée mais aussi celui de la crise sociale historique de 2012, le « printemps érable ». Or, propulsé au pouvoir en bonne partie par la grève étudiante, le PQ s’attachera en premier lieu à restaurer la paix sociale. Ce gouvernement proposera de tenir un sommet sur l’éducation et reverra le droit de grève afin d’éviter de nouvelles crises. Car si une partie importante de la population s’est indignée et a marché contre l’improvisation des libéraux, les cadeaux aux amis et la corruption, contre ces libéraux qui jouaient sur les mots en associant la grève démocratique à un simple « boycott » des cours, le PQ doit maintenant tenir compte des demandes étudiantes et faire de la politique autrement. Autrement dit, il doit faire la preuve qu’il respectera l’expression citoyenne et que le Québec n’est pas le paradis des magouilleurs. Voilà pourquoi il proposera, malgré le fait qu’il est minoritaire, des réformes démocratiques afin d’éviter les problèmes de la représentation politique et les abus de pouvoir. Il limitera par exemple les cotisations aux partis politiques, une source importante de corruption sous les libéraux, et reverra probablement la carte électorale ou proposera, c’est encore hypothétique à ce stade-ci, un scrutin proportionnel afin que tous les votes comptent. Gouverner le Québec aujourd’hui ne peut se faire qu’à ce prix.
Combattre la corruption généralisée
Après la restauration du climat social, le chantier du PQ comprend aussi le difficile combat contre la corruption. Car les libéraux de Jean Charest, nous le savons aujourd’hui avec la commission d’enquête sur la corruption dans le milieu de la construction – une commission que les députés libéraux ont refusé pendant trente mois et qu’ils ont, à cause de la grogne populaire, finalement mis sur pieds –, étaient habitués aux abus du système politique et au détournement de fonds. Cette Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction – la Commission Charbonneau – permet de mieux comprendre les pratiques douteuses qui ont court depuis plus d’une décennie dans le petit monde de la construction. On y entend au quotidien le témoignage de personnes qui, se disant encore honnêtes, se sont servi à même les fonds publics, ont corrompu et menacé des fonctionnaires et planifié un système de collusion et de malversation dans l’attribution de contrats publics. Ces représentants politiques, ces entrepreneurs privés, mais aussi ces ingénieurs et autres acteurs de la mafia ont non seulement contrevenu aux lois, mais ils ont aussi contribué à discréditer toutes les sphères politiques. La corruption est devenue, au Québec, un véritable cancer, une maladie rependue partout dont la cure est incertaine : des pratiques douteuses se sont implantées et se sont multipliées à l’intérieur du corps social de telle manière que tous soient, de près ou de loin, touchés par le paiement comptant, exempt de taxes. La politique québécoise exige désormais une véritable oncologie et la commission Charbonneau, qui vient à peine de commencer ses auditions, a déjà porté ses fruits puisque le maire de Montréal, un ancien libéral, Gérard Tremblay, a dû démissionner en raison des confessions entendues lors des audiences, de même pour le maire de Laval, troisième ville du Québec, Gilles Vaillancourt, 23 ans au pouvoir… sans opposition. On le réalise bien : une décennie sans égard aux principes de la démocratie a des effets importants sur une société et le fait d’entendre des témoins expliquer le système de pots-de-vin a déjà poussé des politiciens à vendre leurs maisons et à démissionner !
Pour mémoire : lorsque les libéraux fédéraux étaient au pouvoir au Parlement canadien, à Ottawa, les scandales étaient également choses courantes dans la politique. La Commission Gomery, en 2004, avait eu pour tâche de faire la lumière sur le mode d’opération de certains libéraux qui utilisaient les fonds publics à des fins partisanes, notamment pour défendre le Canada au Québec. Le Parti québécois, qui n’est pas connu pour tricher mais pour assainir la vie politique, devra retenir des leçons de cette nouvelle commission, troublante pour tous les citoyens québécois, qui explique, au petit écran, pourquoi il en coûte environ 30 % plus cher pour construire des ponts et des routes au Québec. Une des premières leçons décisives que nous apprend cette Commission, c’est qu’à trop mettre l’accent sur les corrompus, à célébrer leurs révélations à la télévision, on perd de vue le fonctionnement du système. Ce ne sont pas tant les acteurs individuels – ils ne savent pas ce que signifie les mots honnêteté et corruption – qu’il faut punir, mais un système de contributions aux partis politiques qu’il faut revoir, car lorsqu’un tel système se déploie, ses effets indésirables se développent avec une telle pénétration qu’ils ressemblent aux métastases d’un cancer dans le corps social.
Reprendre en main l’économie nationale
Le chantier du PQ comporte un volet économique car le règne des libéraux a été marqué par la privatisation des services publics. Sous la gouverne libérale a commencé la privatisation des soins de santé et du système d’éducation, d’où la grève étudiante du printemps 2012. Le gouvernement libéral, en modifiant également les règles encadrant les investissements de la Caisse de dépôt et placements du Québec (CDPQ) afin de la rendre plus performante, est aussi responsable de la perte de plus de 40 milliards de dollars en 2008. C’est encore ce gouvernement qui a choisi, malgré les marches populaires, de développer l’industrie du gaz de schiste, qui est critiquée partout dans le monde. Sous prétexte de développer le nord, il a préparé le Plan Nord qui sert plus à brader les ressources naturelles québécoises qu’à les exploiter intelligemment. Il comptait y parvenir en laissant piller le sous-sol sans demander de redevances équitables. Il a permis la négociation des contrats, notamment entre Hydro-Québec et des compagnies privées, qui n’auraient presque rien rapporté à la population. Dans ce contexte, le chantier économique est énorme : le PQ devra non seulement revoir tous ces contrats, mais réorienter aussi le développement du nord québécois afin de rendre des comptes, non pas aux amis et aux compagnies privées étrangères, mais à la population du Québec. Pourra-t-il forcer les compagnies à verser de plus fortes redevances si le prix du minerai, par exemple, est à la baisse ? Tout cela, sans compter qu’il doit aussi pallier – c’était le cadeau des libéraux au nouveau gouvernement – au manque à gagner de 1 milliard 600 millions de dollars laissés dans le budget par les libéraux à leur départ !
Défendre la langue commune : le français
Or, sans surprise, le dernier recensement fédéral montre un déclin du français à Montréal, comme dans l’ensemble du Québec, alors que l’anglais progresse partout. Un habitant sur deux résidant sur l’île de Montréal ne parle pas le français couramment. La langue française disparaît lentement au Québec, ce qui est du « déjà vu », car après chaque passage libéral, il convient de protéger et de promouvoir le français qui a été abandonné au nom des intérêts individuels. Il faut, pour parler comme Pierre Vadeboncoeur, combattre l’ « écrasement » et la disparition de la solidarité. La gouvernance libérale, et c’est connu, a pour habitude de défendre les intérêts privés et d’abandonner la langue commune au nom de son affiliation à la fédération canadienne. Cette situation, qui se comprend bien quand on sait que certaines compagnies américaines refusent de se plier aux lois linguistiques, est alarmante. L’anglais apparaît comme l’un des fantômes qui revient hanter périodiquement le peuple québécois dans l’écriture de son histoire, voilà pourquoi le PQ songe désormais à imposer le français dès les garderies afin que tous soient intégrés dans la langue de la majorité. Il limitera les « écoles passerelles », écoles qui, sous le règne libéral, permettaient à certains anglophones d’échapper aux dispositions de la loi 101 (la loi qui fait du français la langue commune), et cherchera à contrôler les écoles religieuses qui ne respectent pas les devis d’enseignement du Ministère de l’éducation.
Mettre sur pied un projet politique « propre » : un pays neuf
Si l’une des caractéristiques de la politique est de promouvoir la cohésion sociale de tous, le Parti québécois sera le porteur d’un projet politique commun à long terme. Contre le court terme et la politique improvisée qui avantage les amis, nous pensons ici à la corruption qui est apparue comme le modèle privilégié des libéraux, le Parti québécois défendra l’avenir. Il s’agira de faire en temps opportun du Québec un pays parce que les problèmes ne se règlent pas dans la fédération canadienne. Pauline Marois a débuté le ballet diplomatique, en octobre en France, afin que les francophones, en Europe et ailleurs, en apprennent plus sur le Québec et ses immenses possibilités. Après le passage cancérigène des libéraux au fédéral et au provincial, la souveraineté apparaît comme la seule avenue pour développer, grâce à des institutions plus démocratiques, le Québec actuel. Dans un monde complexe, c’est-à-dire un monde en interdépendance dans lequel il est devenu très difficile de décider de son destin économico-politique, cette souveraineté assurera le lien organique entre les régions et les villes, mais aussi le rapport du Québec aux autres ensembles politiques.
Le pari de Pauline Marois, minoritaire à Québec, reste énorme : négocier un budget avec les autres partis afin de conserver son mince pouvoir et assurer quelques réformes. Il nous reste à espérer, nous de notre côté, que la population comprendra l’urgence de faire de la politique autrement pour redonner au peuple une démocratie qui s’intéressera enfin à la majorité et à son avenir.
Dominic Desroches
Département de philosophie / Ahuntsic
Chroniqueur à la revue web Sens Public
Centre de recherche en éthique publique et gouvernance / Université Saint Paul