Édition du 17 décembre 2024

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Planète

Glyphosate : Emmanuel Macron, président des lobbys agroindustriels ?

La transition écologique attendra : Emmanuel Macron a confirmé que le glyphosate ne serait pas interdit et éliminé du pays d’ici à trois ans comme il s’y était pourtant engagé. Une fois de plus, face aux lobbys, il recule et contredit les députés LREM qui affirmaient qu’il n’y avait pas besoin de légiférer pour interdire. Les lobbys ont encore gagné. Contre notre santé et contre la planète.

Tiré du blogue de l’auteur.

Ce jeudi 24 janvier, lors d’un débat dans la Drôme, Emmanuel Macron a enterré son engagement de novembre 2017 visant à interdire le glyphosate « au plus tard dans trois ans ». Par deux fois déjà à l’Assemblée nationale, les députés avaient rejeté, à la demande du gouvernement et de la majorité LREM, des amendements visant à interdire le glyphosate d’ici à 2021. Cette fois, c’est en plein « Débat national », et alors que la transition écologique fait officiellement partie des sujets en débat, qu’Emmanuel Macron recule à nouveau : il n’y aura ni interdiction, ni fin de l’utilisation du glyphosate en France d’ici à 2021.

Pire, Emmanuel Macron a repris les arguments des lobbys de l’agrochimie pour justifier un tel recul, mettant en doute les effets du glyphosate sur la santé : « il n’y aucun rapport indépendant ou pas indépendant qui a montré que c’était mortel » a-t-il affirmé, mettant au même niveau des rapports et expertises publiés et/ou financés et/ou inspirés par Monsanto – qui livre une vraie désinformation sur le glyphosate – et les rapports indépendants d’experts scientifiques préconisant de ne plus utiliser cette molécule. Ce faisant, le Président de la République s’assoit à nouveau sur le principe de précaution qu’il a déjà critiqué à plusieurs reprises.

Engagement non tenu

Le diagnostic écrit dans une tribune publiée en mai 2018 est plus que d’actualité :

« Dès que les enjeux deviennent sérieux, dès qu’il s’agit de prendre des décisions qui vont toucher à la puissance des lobbies, aux pouvoirs et droits acquis des multinationales ou aux règles qui organisent l’économie mondiale, Emmanuel Macron et son gouvernement tergiversent, reportent à plus tard ou limitent leurs ambitions en se conformant aux exigences des acteurs économiques et financiers. »

Rappelons ici que les propositions visant à interdire l’usage de drones pour épandre des pesticides, à créer des zones de protection autour des habitations, à rendre l’industrie des pesticides plus transparente, ou à créer un fonds d’indemnisation pour les victimes avaient également toutes été rejetées par les députés, à la demande du gouvernement. Les industriels ont reçu parfaitement le message : il leur suffit d’affirmer qu’il n’y a pas d’alternative au glyphosate, en dépit de la réalité et du bon sens, pour obtenir des délais et/ou de futures exemptions.La FNSEA, accro au glyphosate, se frotte les mains.

Les ministres et députés LREM qui affirmaient qu’il n’y avait pas besoin de légiférer pour interdire sont aujourd’hui complices de ce renoncement en bonne et due forme. Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, n’affirmait-il pas que « l’engagement clair » du président Macron ne resterait pas lettre morte ? « Ce sera fait » même si ce n’est pas « inscrit dans la loi », avait-il assuré, demandant de faire « un peu confiance » et d’arrêter de « penser que la contrainte, la sanction, sont les seuls moyens de conduire des politiques publiques efficaces », proposant que la sortie du glyphosate « se mène en partenariat avec les industriels ».

Quelques mois plus tard, le démenti est formel : en absence de réglementation ferme, ce sont les lobbys de l’agrochimie qui gagnent à la fin.

Le ministère de l’écologie n’est-il plus qu’une succursale du CAC40 ?

Une telle stratégie n’est pas si étonnante à la vue des trajectoires d’Emmanuel Macron, de son gouvernement et de sa majorité : l’assemblée nationale de 2017 est l’une des plus « pro-business » de l’histoire du pays. L’une des plus réticentes à réguler et contrôler les milieux d’affaires et l’une des plus enclines à encourager les engagements volontaires du secteur privé. La majorité se comporte comme si la puissance publique pouvait se limiter à produire du discours tout en refusant d’introduire de nouvelles normes et réglementations.

En démissionnant avec fracas, le 28 août dernier, Nicolas Hulot déplorait la présence et le rôle nocif des lobbys au sein même « des cercles de pouvoir ». « Il faut à un moment ou un autre poser ce problème sur la table parce que c’est un problème de démocratie : qui a le pouvoir, qui gouverne ? » demandait Nicolas Hulot, en direct sur France Inter lors de sa démission. « Les lobbys sont là », précisait-il, pour indiquer que leur puissance au sein même de l’appareil d’Etat était une des raisons le poussant à démissionner, enlisant l’action gouvernementale dans une stratégie des petits pas absolument inadaptée et insoutenable.

Moins de deux mois plus tard, Emmanuel Macron nommait la directrice de la communication et des Affaires publiques de Danone, Emmanuelle Wargon, comme secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique. L’ex-lobbyste en chef du géant de l’agroalimentaire français rejoignait ainsi Elisabeth Borne, ex cadre de Eiffage et Brune Poirson qui a travaillé pour Veolia. Osé. Refusant d’écarter les OGM ou l’huile de palme lorsqu’elle était dans le privé, elle a également contribué à édulcorer l’étiquetage Nutri-score et a mené de multiples actions de lobbying de Danone au cours des Etats généraux sur l’alimentation. La nomination d’Emmanuelle Wargon illustre le poids nouveau qu’ont pris les lobbys économiques et industriels. Ce n’est plus de l’extérieur qu’ils agissent : c’est de l’intérieur que l’Etat est colonisé par les intérêts privés.

Président des riches, Emmanuel Macron n’est-il que le président des lobbys ?

L’épisode du glyphosate n’est d’ailleurs pas le premier où Emmanuel Macron et son gouvernement reculent face aux lobbies industriels : malgré la loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures en France, Total peut prolonger ses recherches de pétrole offshore au large de la Guyane et plusieurs exemptions ont été votées pour garantir les intérêts des industriels au-delà de 2040 ; le lobby nucléaire a obtenu de Nicolas Hulot qu’il saborde les objectifs de transition énergétique fixés par la loi de 2015 ; l’exécutif a entériné le CETA, cet accord de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et le Canada, alors qu’il avait été jugé comme non climato-compatible par les experts nommés par Emmanuel Macron lui-même.

On le voit. La non interdiction du glyphosate n’est donc pas une anomalie : elle illustre la politique d’un gouvernement qui a décidé de subordonner la transition écologique et agricole aux intérêts économiques des industriels et de l’agroindustrie. Au détriment de notre santé et de la planète.

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.

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