Il fut un temps où Pierre-Karl Péladeau se donnait un vernis culturel d’avant-garde en assumant la présidence de la prestigieuse compagnie de danse du chorégraphe Édouard Lock, La La La Human Steps. Il y a passé une dizaine d’années, jusqu’en 2006. Cela aurait dû être suffisant pour lui permettre de comprendre à quel point la majorité des compagnies artistiques, et celles de création contemporaine encore davantage, ne pourraient pas exister au Québec sans un important financement public. Ce n’est pas dire qu’elles sont financées à 100% par des fonds publics (contrairement d’ailleurs à un certain amphithéâtre destiné à enrichir le milliardaire Péladeau), mais que ce soutien public est une base et un levier essentiels.
Des années et quelques banquiers plus tard, Pierre-Karl Péladeau est derrière Sun News Network et donc derrière Krista Erickson, celle qui menait sur ses ondes, le 1er juin, une « entrevue » controversée avec la grande artiste de la danse Margie Gillis. Celle-ci consistait essentiellement à se moquer de l’artiste et à la clouer au pilori parce qu’elle bénéficie de financement public. L’affaire fait scandale et se hisse au rang des entrevues les plus arrogantes et marquées de l’aveuglement idéologique le plus grossier de l’histoire récente de la télévision canadienne.
Il ne s’agit pas de dire, comme le prétendent certains chroniqueurs, que seules les entrevues complaisantes de promotion avec des artistes ont leur place et qu’il n’est pas possible de questionner ceux-ci sur le financement public de l’art. Il s’agit ici de dénoncer une entrevue qui n’en était pas une, qui visait essentiellement à marteler le discours propagandiste de cette droite qui prétend défendre les contribuables et la « bonne utilisation » de leur argent en laissant croire que les vrais gagnants, les meilleurs de notre société, n’en ont pas besoin. Foutaise. Comme bénéficiaire de fonds publics, le maître de l’empire Québécor n’a pas de leçon à donner à personne.
L’affaire permet ainsi de rappeler que si Pierre-Karl Péladeau avait la moindre once d’intégrité et d’intérêt réel pour l’art, il s’élèverait publiquement pour dénoncer ce traitement fait à une grande artiste et ferait cesser de telles attaques. Après tout, que ferait-il s’il s’agissait d’Édouard Lock ou de Louise Lecavalier ? Ceux-ci n’auraient peut-être pas mis les pieds dans un tel guêpier mais suivant la logique de miss Erickson, ils se comparent à Margie Gillis.
Catherine Caron