Mercredi 16 septembre 2009
Paru dans TEAN n°21 du 17 septembre 2009
La vague de suicides qui s’abat sur le personnel de France Télécom depuis dix-huit mois ne doit rien au hasard. D’ailleurs, pour l’essentiel, les salariés qui en sont les victimes, mettent directement en cause l’entreprise comme responsable de leur acte désespéré.
La direction n’a rien su faire d’autre depuis des mois que répondre par des propositions de « gestion » du stress, alors même que ses méthodes managériales recréaient le mal à l’infini. Ce mal-être des salariés a été analysé, décrypté, décrit dans des articles, des ouvrages, par des scientifiques, des syndicalistes, des chercheurs, des journalistes.
Le personnel de France Télécom est soumis à une pression quotidienne insupportable. Les réorganisations sont incessantes, se traduisant le plus souvent par des mutations forcées, parfois à des kilomètres de chez soi, mais aussi par une aggravation des conditions de travail : on peut ainsi supprimer la moitié des postes d’un service sans modifier la charge de travail.
Les salariés peuvent aussi être victimes d’un changement brutal et déqualifiant de métier. Tel expert en haut débit se voit proposer un poste d’installation au domicile des clients. Il peut aussi s’agir d’un changement brutal d’habitudes, d’équipe, de responsable, toutes choses qui nécessitent une adaptation tous azimut aussi rapide que difficile à assumer.
On ne compte plus les fermetures de sites, les suppressions de postes, les pressions à la mobilité hors de l’entreprise. Certaines activités sont délocalisées dans le groupe en Inde, en Slovaquie, en Roumanie, où les coûts sont plus bas. Les recruteurs de l’entreprise font leur « marché » sur une bourse à l’emploi interne, choisissant parmi ceux qui ont perdu leur poste. La gestion par le stress déstabilise, dévalorise, infantilise, surcharge.
Certains vont jusqu’au suicide, - en nette augmentation : 23 en un an et demi –, beaucoup tombent en dépression, se bourrent d’anxiolytiques, n’ont plus goût à leur métier, sont dégoûtés des « valeurs » qu’on voudrait leur imposer.
Ceci n’est pas le résultat des agissements de quelques sadiques, ni de l’application bête et disciplinée par quelques chefaillons d’ordres reçus d’en haut. C’est l’orientation prise par France Télécom suite à l’ouverture du capital en 1997, et à sa privatisation totale en 2003. Le nouveau dieu s’appelle « marché financier ». Pour lui plaire, il faut toujours gagner plus d’argent et réduire les « coûts ». Ce qui « coûte » toujours trop cher pour lui, c’est le personnel. Les effectifs ont pourtant fondu depuis 1997, passant de 145 000 à 80 000 sur la maison mère. Les salaires ont beaucoup moins augmenté que les dividendes. L’objectif est de réduire les coûts en se débarrassant d’une partie du personnel, en le poussant dehors, obligeant ceux qui restent à travailler toujours plus, pour toujours aussi peu d’argent.
De nombreuses entreprises vivent les mêmes contraintes et bien des salariés se reconnaissent en écoutant la détresse de ceux de France Télécom enfin médiatisée. L’histoire de France Télécom a ceci de plus, que l’essentiel du personnel a été recruté dans les années 1970-1980, dans l’administration des PTT, à l’époque où l’État lançait une grande campagne d’équipement de tous les foyers. Cela a formé une génération d’agents solidaires, ayant une culture de service public aux abonnés (et non aux clients).
Aujourd’hui, les valeurs sont inversées et sont difficiles à partager. Quand, de surcroît, la fierté du métier qualifié est violemment mise à mal par la direction, le ras-le-bol devient total.
Quand les capitalistes ont décidé que les profits fabuleux des télécommunications ne devaient pas leur échapper plus longtemps, ils ont imposé la privatisation de l’ensemble des entreprises en Europe. La droite, comme la gauche qui a elle-même procédé à la première ouverture du capital, ont mis en œuvre ces politiques destructrices.
Le nombre de suicides devenant un peu trop voyant, le gouvernement gesticule pour gronder la direction de France Télécom. Quelle hypocrisie ! Alors oui, il faut se débarrasser de cette direction qui n’a cessé de nier le problème posé par sa politique. Mais pour changer radicalement d’orientation et en finir avec la loi de l’actionnaire et du profit !
Correspondant