Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Faut-il se battre pour une réforme du mode de scrutin ?

La question du mode de scrutin revient à l’avant de la scène de façon régulière au Canada et au Québec. Les résultats distordus des dernières élections québécoises ont déclenché une vague d’appels à se débarrasser du mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour, utilisé à travers le Canada, pour adopter un mode plus proportionnel. Comment les marxistes abordent-ils la question de la réforme électorale ?

Tiré de La riposte

Vague caquiste

Il faut dire que les résultats de cette élection au Québec ont fait ressortir à gros traits les faiblesses du mode de scrutin actuellement en vigueur au Canada, y compris au Québec, c’est-à-dire le mode uninominal à un tour.

Dans ce système électoral, les électeurs ne votent que pour un seul candidat dans leur circonscription. Dans chaque circonscription, le candidat ayant reçu le plus grand nombre de votes l’emporte. Le parti ayant fait élire une majorité de candidats est appelé à formé le gouvernement. Dans le cas où aucun parti n’est majoritaire, un gouvernement minoritaire arrive habituellement à tenir pour une année ou deux, un gouvernement de coalition est possible.

Si certains soulignent la simplicité du système, d’autres dénoncent qu’il permette de faire élire un gouvernement majoritaire avec une minorité des voix exprimées.

Par exemple, lors des élections du 3 octobre dernier au Québec, la Coalition avenir Québec (CAQ) a été réélue avec 41% des voix exprimées, mais a obtenu 72% des sièges. Le Parti libéral du Québec (PLQ) a obtenu 21 sièges, avec 14,37% des voix, alors que le Parti québécois en a obtenu seulement trois même s’il a recueilli une plus grande proportion du vote (14,61%). Le Parti conservateur (PCQ) n’a même pas obtenu de siège, malgré qu’il ait reçu presque autant de votes (12,91%). Québec solidaire (QS) a deux fois moins de députés que le PLQ, malgré qu’il ait reçu plus de votes (15,43%).

Dans la foulée, l’idée de réformer le mode de scrutin a été soulevée sur toutes les tribunes. De la droite à la gauche du spectre politique mainstream, il semble y avoir un large consensus que le système électoral ne fonctionne pas. Le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, qui flirte avec l’extrême-droite, s’entend là-dessus avec Manon Massé du parti de gauche QS, qui a affirmé : « C’est l’élection de la distorsion. Plus que jamais, on voit comment le mode de scrutin est brisé au Québec. »

Nombreux sont ceux qui ont soulevé le caractère antidémocratique d’une élection où 41% des électeurs choisissent 72% des députés. C’est encore pire lorsqu’on tient compte du fait que le taux de participation a été de 66%, ce qui signifie que le gouvernement actuel a plutôt été élu par 27% des électeurs inscrits. De plus, comme on le dit souvent, dans notre système parlementaire de type britannique, avec discipline de parti, un gouvernement majoritaire est pratiquement une dictature élue pour quatre ans.

De plus, le système uninominal à un tour encourage le soi-disant «  vote stratégique » et décourage les électeurs de « voter selon leur conscience ». C’est-à-dire que les électeurs auront tendance à voter pour un parti qu’ils n’appuient pas vraiment, mais qui a des chances de l’emporter dans leur circonscription, dans le but de bloquer un parti qu’ils aiment encore moins. Cela avantage les gros partis de l’establishment et nuit aux petits partis, souvent de gauche. À l’échelle fédérale, le Parti libéral fait son pain et son beurre des votes déposés pour bloquer le Parti conservateur.

Toutes sortes de modèles électoraux sont proposés pour remplacer l’actuel, mais ils incluent généralement l’idée d’un scrutin proportionnel, c’est-à-dire où le nombre de sièges gagné par chaque parti est réparti en fonction du pourcentage des voix recueillies. C’est le cas notamment du Mouvement démocratie nouvelle, qui a lancé une campagne publicitaire dans les derniers jours en faveur d’une réforme électorale.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’idée d’une réforme du mode de scrutin est mise de l’avant.

Des référendums ont eu lieu, sans succès, en Colombie-Britannique en 2005 et en 2009, en Ontario en 2007 et en 2005 à l’Île-du-Prince-Édouard. Une proposition de système mixte avec compensation proportionnelle l’a emporté à majorité lors d’un autre référendum à l’Île-du-Prince-Édouard en 2016, mais le gouvernement libéral de Wade MacLauchlan a refusé d’en appliquer le résultat, prétextant le faible taux de participation de 36%.

Lors de la campagne électorale québécois précédente, en 2018, la CAQ s’était engagée, avec QS et le PQ, à adopter une réforme si elle était élue. Une fois au pouvoir, elle avait déposé un projet de loi proposant un mode de scrutin mixte avec compensation régionale, mais elle l’avait laissé languir dans les limbes parlementaires avant de finir par l’abandonner. François Legault avait ainsi brisé sa promesse de ne pas « faire comme Justin Trudeau ». En effet, une fois arrivé au pouvoir, Justin Trudeau lui aussi avait abandonné sa promesse faite lors de la campagne de 2015 de réformer le mode de scrutin.

Il faut dire qu’il est très peu probable qu’un gouvernement accepte de plein gré de réformer le mode de scrutin. Si un parti gagne une majorité, c’est presque invariablement parce que le système uninominal à un tour l’a porté au pouvoir. Comme le faisait remarquer la journaliste Chantal Hébert lors de la dernière soirée électorale québécoise, le chef de parti au pouvoir qui tenterait de faire passer une réforme électorale aurait bien de la misère à expliquer à ses députés qu’il leur demande d’adopter une loi qui fera qu’un tiers d’entre-eux perdront leur siège lors des prochaines élections.

Jouer avec les paramètres

Il ne fait pas de doute que le système électoral actuel n’est pas démocratique. Mais est-ce que ça veut dire qu’on devrait soutenir ces appels à la réforme électorale ?

À première vue, l’appel à une réforme peut sembler séduisant : plus de démocratie, pourquoi pas ? Les marxistes sont les premiers à se battre pour une vraie démocratie, à s’opposer aux attaques sur les droits démocratiques et à lutter pour toute réforme qui peut améliorer la capacité des travailleurs à s’organiser, à s’exprimer et à prendre part à la politique.

Or, il n’est pas aussi évident que certains l’avancent que les autres modes de scrutins sont meilleurs, particulièrement du point de vue des intérêts de la classe ouvrière.

Par exemple, le principal argument avancé contre le système uninominal à un tour est qu’il mène à une division des votes entre plusieurs partis, ce qui permet à un parti minoritaire en nombre de voix de se faufiler et de prendre la majorité des sièges.

Nombreux sont ceux qui ont souligné qu’avec 13% des voix, le Parti conservateur du Québec devrait être représenté à l’Assemblée nationale, ce qu’un système proportionnel permettrait. Il serait difficile de trouver un argument moins convaincant en faveur de la proportionnelle ! Un parlement où une vingtaine de députés caquistes auraient été remplacés par une vingtaine de députés péquistes et conservateurs n’aurait pas été meilleur pour les travailleurs du Québec.

En pratique, il importe peu de savoir si le gouvernement bourgeois sera composé d’un seul parti majoritaire comme dans le système canadien, ou s’il sera formé d’une coalition de différents partis bourgeois comme en Italie ou en Israël. Le résultat est le même pour les travailleurs : un gouvernement qui attaque leurs conditions de vie et leurs droits.

Sans compter que les systèmes proportionnels ont des désavantages. Notamment, ils défavorisent l’expression des voix radicales dissidentes dans les partis ouvriers réformistes comme le NPD ou le Parti travailliste britannique. En effet, les sièges sont répartis proportionnellement selon une liste établie par la bureaucratie du parti. Cela donne une emprise beaucoup plus forte aux bureaucraties conservatrices des partis réformistes sur les candidats. Il est facile pour elles de s’assurer qu’aucun candidat trop à gauche ne se retrouve sur leurs listes.

À l’inverse, dans le système uninominal à un tour, les candidats présentés par chaque parti sont élus lors de courses à l’investiture par circonscription dans lesquelles les membres de la base du parti votent pour leur candidat. Bien que les bureaucraties des partis réformistes interviennent pour essayer de contrôler les résultats de ces élections, cela ouvre des craques dans lesquelles peuvent s’insérer des candidatures de gauche qui permettent à l’aile gauche de ces partis de s’exprimer. Cela s’est vu récemment avec les candidatures de socialistes comme Jessa McLean dans le NPD ontarien et Rosalie Bélanger-Rioux dans Québec solidaire. Dans le même ordre d’idées, cela permet en théorie de garder les députés responsables devant les membres de leurs circonscriptions, en donnant à ces derniers le droit d’initier un vote de destitution, ce que ne permettent pas les listes établies par la bureaucratie. Sur ce plan, le système uninominal à un tour est légèrement préférable à un système proportionnel.

Quant aux systèmes préférentiels, c’est-à-dire où les électeurs choisissent non pas en mettant un X à côté de leur choix, mais en numérotant les candidats en ordre de préférence, ils ont aussi leurs faiblesses. Notamment, étant donné qu’il arrive très rarement qu’un candidat emporte une majorité absolue de votes comme premier choix, ce sont généralement les deuxièmes choix qui sont déterminants. Comme l’explique un article de La Presse, le système préférentiel « force les partis à adopter un discours modéré, plus rassembleur, afin d’être le deuxième choix des électeurs lorsqu’ils ne sont pas le premier ». Cela a pour effet de favoriser les candidats et les partis plus « inoffensifs » et « modérés ». C’est donc un système qui avantage les politiciens centristes et libéraux et qui protège le statu quo.

Réforme ou révolution ?

On pourrait encore discuter longtemps des mérites et inconvénients de chaque mode de scrutin. Mais en fin de compte, comme révolutionnaires, nous avons mieux à faire que de nous préoccuper des paramètres par lesquels nous choisissons aux quatre ans quel membre de la classe dirigeante va « fouler aux pieds » les travailleurs au parlement, pour paraphraser Marx.

En effet, l’idée de réforme électorale oublie un petit problème : ce n’est pas que le mode de scrutin actuel qui est anti-démocratique, c’est tout le système parlementaire bourgeois. Toutes sortes d’autres modes de scrutin sont utilisés dans le monde : uninominal majoritaire à deux tours, vote à second tour instantané, proportionnel plurinominal, vote unique transférable, système mixte, etc. Mais tous les pays capitalistes, quel que soit leur mode de scrutin, ont une chose en commun : les intérêts des travailleurs n’y sont pas représentés au parlement.

Dans tous les pays, quel que soit la façon d’élire le gouvernement, celui-ci est dirigé dans l’intérêt de la classe dirigeante capitaliste. « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière », comme l’affirme le Manifeste du Parti communiste.

Depuis ses débuts, le parlementarisme a été créé pour gérer entre gentlemen les affaires communes de la classe dirigeante. Les élections ont longtemps été l’affaire privée des possédants ; ce n’est qu’après de chaudes luttes que les travailleurs ont gagné le suffrage universel.

Le suffrage universel n’a pas été accordé de gaieté de cœur aux travailleurs, et encore seulement à la condition qu’il ne permette pas de remettre en question l’ordre établi capitaliste. Si il le permettait, la classe dirigeante s’en débarrasserait rapidement, comme cela s’est vu à de nombreuses reprises dans l’histoire, qu’on pense aux nombreux coups d’États contre des leaders démocratiquement élus en Amérique latine, ou encore au coup d’État constitutionnel contre le gouvernement travailliste australien en 1975. Mais plus généralement qu’autrement, les partis qui tentent de gérer les choses le moindrement dans l’intérêt des travailleurs sont plutôt contraints à abandonner leurs politiques de gauche par la pression économique et sociale de la classe dirigeante, comme on l’a vu avec le gouvernement de Syriza en Grèce en 2015 ou encore celui du NPD de Bob Rae en Ontario dans les années 90.

Ce n’est donc pas en changeant les règles du jeu parlementaire capitaliste que nous gagnerons des améliorations pour les travailleurs. Il nous faut dire franchement que lutter pour une telle réforme est une perte de temps et d’efforts, et sert souvent de distraction de la part de partis bourgeois ou encore de la bureaucratie du mouvement ouvrier et des partis de gauche. Le PQ, par exemple, s’est mis à faire du bruit au sujet du mode de scrutin après ses récentes défaites électorales, bien que le parti n’ait rien fait pour le changer lors de ses passages au pouvoir. La direction de Québec solidaire, au sortir de cette élection, a fait grand cas du mode de scrutin, pour souligner que dans un système proportionnel, le parti aurait eu cinq députés de plus. Comme si la stagnation du parti était due au mode de scrutin, et non au virage vers la « modération » (lire : vers la droite) de la direction du parti dans les dernières années, qui a permis au Parti québécois de se faufiler à la gauche de QS pendant la campagne.

D’ailleurs, les arguments en faveur de la réforme du mode de scrutin sont
vides de toutes considérations de classe. Par exemple, Sol Zanetti de QS, à
la fin d’une publication Facebook en faveur d’un mode de scrutin
proportionnel mixte, suggérait à tout le monde, « Quelle que soit votre
allégeance politique », de devenir membre du Mouvement démocratie nouvelle
(la campagne pour une réforme du mode de scrutin mentionnée plus haut). Ce
genre de message trahit une vision du monde où la politique est un gentil
débat d’idées où tout le monde a également intérêt à voir toutes les
tendances politiques s’exprimer, et non une lutte entre classes ayant des
intérêts matériels irréconciliables et ayant chacune leurs méthodes de
lutte propres.

Historiquement, les travailleurs ont gagné des réformes importantes non par
des méthodes parlementaires, mais par les méthodes de la lutte des classes,
celles qui misent sur leurs forces : les grèves, les occupations, les
manifestations de masse. Ce sont des mouvements de masse qui ont forcé les
gouvernements de toutes sortes de partis à instaurer des programmes
sociaux, de meilleurs salaires et conditions de travail ou autres
concessions aux travailleurs. Le parlement peut servir de tribune d’où
faire entendre les idées socialistes, mais il ne faut jamais perdre de vue
qu’il s’agit d’un terrain de lutte secondaire.

Si nous sommes sérieux à vouloir une meilleure démocratie, nous ne pouvons
nous arrêter à tenter de modifier les règles d’un jeu truqué. Sous le
capitalisme, quel que soit le mode de scrutin, la démocratie s’arrête là où
commencent les milieux de travail, où les patrons règnent en maîtres. Au
lieu de se perdre dans une discussion sur le mode de scrutin, nous devons
lutter pour une révolution socialiste capable d’amener une véritable
démocratie : une démocratie ouvrière basée dans tous les milieux de
travail, qui planifierait l’économie de façon démocratique. Voilà une lutte
qui en vaut vraiment la peine.

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