À ce jour, les bilans saluent le succès de ce rassemblement historique des forces progressistes dans l’État canadien. Plus de 5 000 personnes ont participé à 500 ateliers qui se sont tenus au cours des quatre jours du Forum. Pour Naomi Klein, il s’agit du plus vaste rassemblement progressiste au Canada depuis le Sommet des peuples de Québec en 2001. Une avancée majeure de ce rassemblement pancanadien est la présence autochtone, provenant de plusieurs nations et régions au Canada.
Une conclusion qui concentre le tir sur le gouvernement Harper
L’Assemblée de convergence des mouvements sociaux a conclu le Forum en mettant en relief l’importance d’agir sans délai contre le gouvernement conservateur et ses politiques. La déclaration se présente comme un Appel à l’action et annonce, qu’à court terme,
Nous devons propulser l’actuelle convergence des mouvements sociaux vers un rôle actif, non-partisan, et mener une campagne combattive contre les conservateurs. (…)
Notre appel est large et s’adresse à toute la population et aux autres mouvements, un appel à travailler ensemble pour battre les conservateurs. (Déclaration de l’assemblée des mouvements sociaux, Forum social des peuples, août 2014)
Un des objectifs du FSP 2014 était de mettre en branle une mobilisation capable de proposer des alternatives aux politiques néolibérales. S’il a jeté les bases à une meilleure coordination des mouvements à l’échelle du Canada en vue de développer une alternative globale au néolibéralisme, il a aussi exprimé une énorme volonté d’en découdre avec le gouvernement de Stephen Harper.
Défaire le parti conservateur ?
Cette volonté s’est exprimée à travers la déclaration finale à la faveur, notamment, de la forte présence syndicale, même si elle ne peut évidemment pas s’y réduire. L’ensemble des organisations de travailleuses et de travailleurs au Canada se propose d’œuvrer pour chasser ce gouvernement du pouvoir. Il s’agit d’un enjeu qui mobilisera l’essentiel de leur action politique au niveau fédéral dans la prochaine période.
Certains soutiennent qu’il serait plus important de définir une orientation globale aux politiques néolibérales et non pas seulement de tenter de réduire le plan d’action à la perspective électorale. On répugne aussi à voter libéral ou néodémocrate et on pointe la faiblesse de l’alternative pour assurer la défaite des conservateurs. En fait, on attend peu de changement d’une telle alternance. On peut comprendre ce point de vue quand on entend les réserves de Justin Trudeau ou de Thomas Mulcair qui déclarait récemment ne pas vouloir remettre en question les baisses d’impôt qu’Harper se prépare à faire avant les élections.
Pour les organisations syndicales, de la confédération des syndicats nationaux (CSN) à la Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec (FTQ) à toutes les organisations affiliées au Congrès du travail du Canada (CTC), la question ne se pose pas de cette manière. Il s’agit de mettre en échec le principal acteur du démantèlement de l’État social et des reculs de la société civile au Canada. Il s’agit aussi d’indiquer, aux autres partis politiques, la direction dans laquelle le mouvement syndical souhaite voir se développer les politiques gouvernementales.
Un tel programme d’action ne sera pas sans conséquence. S’il échoue, la riposte risque d’être sévère. Toutefois, comme l’ont soutenu Cid Ryan, président de la Fédération du travail de l’Ontario (FTO), et Serge Cadieux, secrétaire général de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) lors d’un atelier durant le FSP, une élection majoritaire d’un gouvernement conservateur annonce une remise en cause plus importante encore du rôle démocratique non seulement des ONG, mais aussi des syndicats, comme organisme de défense. Le projet de loi sur le financement des syndicats fait partie intégrante de la campagne des conservateurs. Ainsi, concluent-ils, une action vigoureuse doit être mise en place pour empêcher la réélection d’un gouvernement conservateur l’an prochain. Le mouvement social doit agir contre la réélection du gouvernement Harper.
Une campagne qui doit se déployer sur toute l’année
C’est la FTO, avec l’appui des principaux syndicats canadiens et du Congrès du travail du Canada (CTC), qui sera à l’avant-scène de cette importante campagne dont le but est d’influencer le vote dans les comtés les plus fragiles des conservateurs, peu importe qui pourrait être élu. Le nombre de comtés qui permet au gouvernement du Parti conservateur d’obtenir une majorité de sièges demeure réduit. Il s’agit donc de cibler ceux qui peuvent faire une différence et l’Ontario en présente un grand nombre.
Pour la FTQ toutefois, il suffit de cibler seulement six comtés, principalement dans la région de Québec. Les organisations syndicales dans les autres provinces canadiennes devraient faire de même si l’on en croit le CTC. Les syndicats s’inspirent de l’action du mouvement syndical australien qui a réussi à chasser du pouvoir le parti conservateur au pouvoir en 2007.
Comme les élections sont prévues dans un an environ, une telle campagne devrait se déployer sur toute la prochaine année pour avoir un impact. Il semble que ce soit la perspective retenue par les organisations, étant donné les contraintes de la loi électorale qui empêche un organisme d’agir au plan électoral durant la période électorale.
Dans un tel contexte, les organisations n’auront pas d’autre option que de convaincre sur le fond des enjeux et pas seulement sur la consigne de vote. Un élément majeur dans cette orientation est la mise en branle d’une mobilisation, qui s’ancre dans la perspective développée par l’organisation, mais qui devrait aller au-delà de la mobilisation d’appareil.
Les personnes les plus à même de convaincre sont les collègues de travail, les gens vivant le même quartier ou la même région. Bref, il s’agit non seulement de mobiliser des ressources et de désigner des responsables dans le personnel salarié, il s’agit aussi mobiliser les membres des syndicats du milieu. L’action exige aussi des activités d’éducation des membres pour qu’ils puissent être plus à même de défendre et de promouvoir le contenu du projet social proposé par le mouvement syndical, en opposition à celui des politiques néolibérales des conservateurs.
On peut craindre la vision à courte vue et le peu de cas fait aux impacts à long terme d’une telle campagne sur sa capacité de développer une réelle alternative politique. Il reste qu’elle présente une perspective qui exige des membres qu’ils appuient une action politique autonome de leur organisation et qu’ils prennent parti contre le gouvernement en place. On doit reconnaître une différence fondamentale avec le neutralisme politique affiché par certaines organisations ou avec une pratique qui réduit l’action politique à la consigne de vote.
Une campagne qui doit se concentrer sur les questions de fonds
Plusieurs signalaient qu’il fallait soulever le fond des enjeux, l’impact des politiques néolibérales sur les services publics, sur l’affaiblissement des protections sociales, sur la baisse du pouvoir d’achat comparativement à l’enrichissement des plus riches ? Tout un pan du Forum a tenté de mettre la question de l’énergie et de la lutte contre la logique économique du pétrole et de l’énergie fossile au centre de la bataille contre le gouvernement Harper. On réduit cette approche à la seule question du vote utile. Cette critique passe à côté de la question.
Si on salue le FSP comme un moment pour affirmer une volonté de développer un mouvement d’opposition extraparlementaire aux politiques néolibérales, on doit accueillir avec ouverture. Il s’agit d’une volonté d’agir au niveau politique en amont de la campagne, contre les politiques réactionnaires du gouvernement conservateur et pas seulement durant la campagne électorale par une consigne de vote. Cette approche exige de faire campagne sur le fond des questions.
De la consigne de vote à l’action politique
La politique concrète n’a jamais fait de la pureté du programme son critère premier de discrimination dans toute consigne de vote. Il s’agit bien plus d’identifier la dynamique sociale, d’une part, et la nature du parti soutenu, d’autre part. Or, nous n’en sommes pas là ! Nous en sommes à définir comment convaincre qu’il faille rompre avec un gouvernement tel celui de Harper, indépendamment de la consigne de vote.
Serge Cadieux l’a avoué : lorsque la FTQ a appelé à voter Bloc en 2011 ou pour le PQ de Boisclair en 2007. Les résultats étaient évidemment en dessous des prédictions les plus conservatrices ! Le mouvement syndical se trompera toujours lorsqu’il s’agit de faire l’économie de bâtir un parti bien à lui. Toutefois, il aura toujours raison lorsqu’il s’agit de défaire la droite. Le Front social contre les politiques néolibérales au Canada appelle au soutien de l’action syndicale contre Harper.