États-Désunis : révolution citoyenne ou convergence des précaires ?
Une chose m’a tout de suite marqué dès le début des manifestations pour réclamer justice pour Georges Floyd, c’est la manière dont les manifestant·e·s désignent le courant politique de Trump : nationalisme. Et en 3 ans, le tweet-président aura réussi à redémontrer que le nationalisme est marqué en son cœur par le suprémacisme, qu’il soit de race et/ou de culture (souvent coloniale).
Chose certaine, la jeunesse multiculturaliste américaine s’est révoltée contre les discriminations systémiques, quelles qu’elles soient. Et on assiste à une convergence des précaires : précarités raciale, économique et sanitaire, se renforçant les unes les autres. Espérons que ce mouvement de population inusité permettra de faire battre Trump et les Républicains dans 5 mois, tout en obligeant Biden à gauchiser son programme.
La France : l’impunité commandée
En France, c’est pitoyable. L’aveuglement universaliste est tel que « la question raciale, c’est toujours l’ailleurs : les États-Unis, l’Afrique du Sud ou le Brésil » [1]. En même temps, ce pays qui interdit les statistiques ethniques, ne peut par conséquent voir le racisme ni le scandale sanitaire en termes de Covid-19, comme aux États-Unis et à Montréal, qui touchent les minorités ethniques sur son territoire.
On dirait que plus le contrat social est assimilationniste, plus il y a déni des discriminations systémiques, et donc aussi des violences policières racistes. Et ce malgré les rapports institutionnels [2]. Pour que le ministre concerné ne daigne réagir au racisme policier, et parler d’agir contre, il aura fallu découvrir la teneur de conversations entre certain·e·s membres des forces de l’ordre sur des groupes Facebook privés [3]. Révélations qui se poursuivent [4].
En France, malgré les condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme, malgré les 2 mort·e·s et 2300 blessé·e·s (23 éborgné·e·s, 5 mains arrachées) parmi les gilets jaunes, malgré les émeutes de 2005 suite à la mort de Ziyed et Bouna fuyant la police, malgré la noyade de Steve Maia Caniço suite au gazage de la police nantaise, malgré l’étouffement d’Adama Traoré lors de son arrestations, malgré le tabassage de Gabriel (14 ans) il y a quelques jours, malgré toutes ces bavures qui restent impunies depuis des décennies… on vous dit qu’il n’y a pas de problème [systémique] de violences policières !
Alors comme aux États-Unis, il faut que l’opposition persiste [5], que des artistes s’indignent [6], pour que la Macronie daigne bouger [7]. Mais comment condamner une violence policière commandée par le gouvernement actuel pour survivre à la crise des gilets jaunes ? Le logiciel républicain reste le même : pas de racisme et de violences policières systémiques en France : il y a des racistes et des policier·e·s violent·e·s, qu’il s’agira de sanctionner voire de faire condamner en justice… Ce qui n’empêchera pas pour autant les racistes condamnés de promouvoir leur ethno-nationalisme à la télévision [8].
Le Québec : l’excuse du « moins pire »
Au Québec, ce serait moins pire qu’en France, et moins pire qu’aux États-Unis. Pourtant, nous avons aussi nos rapports [9] et nos témoignages de personnes racisées et de policiers [10]. Mais la conversation sur le racisme et les discriminations systémiques restent difficiles voire refusées. On l’a vu avec Slav et Kanata. On l’a vu avec le refus d’une commission parlementaire sur les discriminations systémiques demandées depuis des années. On le voit avec le 1er ministre.
Et ces dénis répétés n’épargnent pas la Gauche, du moins, une certaine Gauche : la Gauche nationaliste, que je qualifierais de Gauche « oui, mais ». Oui les propos de la députée sur les Chinois étaient problématiques, mais on n’a pas de préjugés… Oui les réprobations médiatiques à propos d’une blague, qui touchent une des membres voilées sont les mêmes que celles qui touchent une des députées, mais on condamne la première. Oui les déclarations de Parizeau au soir du référendum étaient racistes et structurantes pour la suite du monde politique québécois, mais on n’en parle pas (ou on préfère les euphémismes).
Québec solidaire est en pleine crise d’adolescence. Le modèle de rassemblement des gauchistes est en train de se déliter au profit de l’entrisme nationaleux qui a formidablement bien pensé et coordonné sa prise de pouvoir. Les comités de coordination des associations montréalaises se sont renouvelés. En pleine crise étatsunienne sur les questions raciales, les personnes racisées issues du sérail solidaire, défendent la ligne du parti parlementaire, quitte à violemment attaquer les membres du Collectif antiraciste décolonial : ce seraient des personnes toxiques pour « le parti », qu’il convient de diaboliser. QS est un parti stalinien maintenant ? QS est irréprochable, donc « le parti » d’abord ? Si vous n’êtes pas content·e·s, allez voir ailleurs ?
QS vient de régresser de 10 ans. Tout ça parce que les enfants de papa Lévesque et de maman Parizeau pensent réussir là où leurs parents ont échoué : des néo-péquistes avec la constituante en plus, mais cette fois-ci, Maka Kotto est latino. À ce rythme-là, non seulement le Québec n’aura pas son pays, mais il aura une province de merde, à droite toute. Car la Gauche nationaliste ne gagnera jamais seule, si elle ne fait aucune concession.
La question nationale… ou la question multiculturelle ?
Canada 1 – Québec 0. Trudeau 1 – Legault 0. Multiculturalisme 1 – Nationalisme 0. En 2020, la question nationale québécoise sclérose tout le champ politique au point de faire éclater la base d’un parti patiemment construit depuis plus d’une décennie. La question nationale ne finit jamais de mourir, tourne en rond. Et le nationalisme québécois s’ouvre et se referme. Même le « civique » s’enferme dans ses mythologies auto-réalisatrices [11].
Pourtant, c’est l’Amérique et l’Europe multiculturalistes qui semblent mieux armées pour reconnaitre leurs ordres sociaux racistes, et non l’Amérique et l’Europe nationalistes. Je crois que le multiculturalisme a déjà gagné le cœur et la raison de la majorité des progressistes, des personnes migrantes et des nouvelles générations. Les beaux discours n’y feront rien.
Alors il est peut-être temps de se demander dans quelle nation multiculturelle nous sommes, et quelle Nation politique nous voulons. Il faut régler cette question nationale une bonne fois pour toute, en sortant des logiques absolutistes et messianiques : le séparatisme sinon rien, le fédéralisme sinon rien. Et pour cela, le peuple québécois devrait se prononcer sur toutes les compétences fédérales et partagées restantes. Êtes-vous pour la souveraineté du Québec en matière : (1) constitutionnelle, (2) monétaire, (3) de défense, (4) institutionnelle, (5) sanitaire, (6) territoriale, etc.
Ainsi, calmement et après débats, on pourrait tracer la carte de la souveraineté nationale québécoise du XXIème siècle. Sortir de la catharsis et de la fragilité [12], tout en permettant, sait-on jamais, une véritable indépendance à tous les niveaux sur un territoire qu’on aurait déterminé auparavant avec les autochtones. Et on pourrait imaginer un processus à la néo-calédonienne, avec trois référendums successifs espacés d’une année chacun. Ce qui n’empêche pas pour autant de tourner le dos au projet constituant : pourquoi ne pas carrément redéfinir l’organisation politique de la société tous les 20 ans par un moment constituant automatique ?
[1] http://www.regards.fr/idees-culture/article/tribune-partout-le-feu ?
[6] https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020
[9] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1334763/montreal-police-spvm-profilage-discrimination-rapport
[12] https://www.pressegauche.org/La-fragilite-quebecoise-traumatisme-ou-nevrose
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