Pour certains, cela va de soi. Le capitalisme est un système qui encourage un rapport parasitaire (colonialiste) avec le territoire et entretient les privilèges de quelques uns au grand détriment de la majorité. Pas de réelle protection environnementale possible sans transformation sociale.
Pour les autres : les affaires vont bien. Pas de salut pour la planète à moins que les environnementalistes ne mettent de l’eau dans leur vin et s’allient avec les multinationales, la droite néolibérale, le patronat, les lobbies industriels forestiers, miniers et pétroliers. Chaque petite « victoire » doit bien compter pour quelque chose. Puis acheter, c’est voter, alors ça va, on se calme.
C’est un débat qui crée des malaises, qui divise. On préfère toujours pelleter vers l’avant. Mais vous savez quoi ? Je vais mettre le doigt sur le bobo !
Le seul jeu en ville
Récemment, le premier ministre Philippe Couillard a prétendu que les gens qui s’opposent au budget d’austérité du gouvernement libéral peuvent aussi croire que la Terre est plate et qu’elle tourne autour du Soleil.
Cette assertion illustre à merveille le stade actuel du capitalisme : il n’a plus besoin de se justifier.
Alors que le 20e siècle a été marqué par des luttes entre les idées et les systèmes politiques, la chute du Mur de Berlin en 1989 a consacré la victoire du capitalisme à l’échelle du globe. L’époque où les défenseurs du capitalisme allaient sur la place publique clamer les vertus du libéralisme économique est révolue. Avec le temps, on finit par cesser de prétendre que le choix se pose, on n’a plus besoin de convaincre qui ce soit : c’est le seul jeu en ville.
C’est aussi à partir des années 1980 que le modèle de l’État-providence a commencé à se désintégrer et que les politiques d’austérité, mais aussi les inégalités sociales dans les pays industrialisés, ont commencé à croître.
Selon plusieurs chercheurs, l’idéologie du capitalisme est devenue une hyperidéologie, au sens où elle a transcendé le caractère subjectif d’une idéologie pour devenir totale. En dominant toutes les sphères sociales, économiques, culturelles et même psychologiques, elle ne se distingue plus elle-même et peut, en toute sincérité, se fondre dans le décor et se prétendre neutre, rationnelle et naturelle, alors qu’elle n’a rien de neutre, rationnel ou naturel.
Ce qui fait qu’il est extrêmement rare de trouver sur la place publique, dans les médias, ou même dans les universités, des débats sur le capitalisme avec des personnes qui y sont en faveur et des personnes qui sont contre.
Très rare... sauf dans le champ des luttes environnementales.
Écologie de gauche, de droite et beurk
« Pourquoi est-ce que l’écologie serait seulement une affaire de la gauche ? » est la question que deux blogueurs (http://www.contact.ulaval.ca/article_blogue/lechec-des-environnementalistes/) posaient récemment, dont l’un en réponse à votre hôte.
Ces blogueurs, qui ne semblent pas avoir réfléchi sérieusement à la question, semblent suggérer que l’écologie ne devrait pas être si politisée, que le fait d’y associer des valeurs sociales comme l’entraide et la solidarité est antithétique et juste pas winner pantoute. Au mieux, les auteurs consentent pleinement au capitalisme comme hyperidéologie et ne comprennent pas pour quelle raison quiconque aurait envie de penser « en dehors de la boîte ». Au pire, leur raisonnement suggère que l’accès à un environnement sain devrait être réservé à l’élite qui peut se payer un billet au paradis post-effondrement.
Plus sérieusement, il est vrai que de tous les grands mouvements sociaux, le mouvement environnemental (ou vert, écologiste) se distingue parce qu’il contient une critique inhérente à l’économie capitaliste. Certes, cette critique n’est pas toujours explicite ou même assumée, mais la plupart des groupes et des luttes environnementales depuis les années 1960 confrontent d’une façon ou d’une autre les dimensions et conséquences du système capitaliste : l’extraction des ressources naturelles, le consumérisme, le gaspillage, la pollution, les déchets, etc.
Conséquemment, le concept du développement durable (que j’adore critiquer) est venu s’implanter top-down à partir des années 1980 comme une sorte de « grande réconciliation » des préoccupations environnementales et de l’économie capitaliste. Alors que les groupes écologistes politiques ont continué à promouvoir des alternatives vertes dans une optique grassroots et communautariste (de plus en plus malmenées, profilées, réprimées) les nouvelles organisations « gagnantes » de développement durable comme le WWF (World Wide Fund for Nature) ou le Jour de la Terre sont venues s’inscrire comme les grandes médiatrices du conflit. Elles vendent un capital symbolique à des multinationales come Coke, Shell, H&M, HSBC ou Suncor. Pour citer Steven Guilbeault : « il faut faire des compromis pour avoir un effet sur l’évolution de la société. » On ne juge pas.
En revanche, les grandes compagnies montrent patte blanche. Vous voyez ? Coke aime les pandas, achetez Coke ! Et la population, qui est réduite à l’état de consommateurs, veut acheter (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2118265) des produits qui semblent verts (la plupart ne le sont pas).
Non seulement croit-on pouvoir régler le problème du consumérisme en consommant davantage, mais c’est la seule alternative qui vous est proposée. Le cycle est complet : le capitalisme est sauvé (pour l’instant), il a trouvé dans le développement durable un mode de régulation pour lui permettre de continuer malgré ses contradictions.
Cette tautologie a réussi à désarmer des millions d’environnementalistes qui voulaient pourtant, à la base, que le monde change pour vrai.
Et je précise que je peux sympathiser avec les personnes et organisations qui s’identifient au développement durable. Je conçois que, plus souvent qu’autrement, le cœur est à la bonne place. Mais est-ce suffisant, à l’époque de la crise environnementale globale, de la rareté des ressources, du réchauffement climatique, de l’extinction massive de la biodiversité ?
D’accord, ce n’est pas un sujet facile. Mais si nous voulons vraiment y changer quoi que ce soit, il faudra bien trouver le courage et oser.
Oser sortir de nos zones de confort, oser reconnaître nos privilèges, oser tout remettre en question, à commencer par le capitalisme.