Édition du 17 décembre 2024

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Entente entre la FAE et le Secrétariat du Conseil du trésor

Des chiffres, des pourcentages et des exagérations (Plaidoyer en faveur d’un mode de calcul intègre)

Nous avons assisté, le vendredi 30 avril 2021, à la conférence de presse virtuelle organisée par la FAE portant sur la décision prise par le Conseil fédératif de négociation au sujet de l’entente de principe intervenue entre cette organisation syndicale (qui a affiché, tout au long de la négociation un discours que nous pouvons qualifier de « radical ») et le Secrétariat du Conseil du trésor.

Au menu de la présentation : les résultats des assemblées générales de ses syndicats affiliés qui se sont prononcées sur l’entente de principe. Le résultat est impressionnant : 88% des membres de la FAE ont approuvé l’entente. Il se pose ici une toute petite question : au terme du processus de négociation entre le gouvernement Legault et la FAE, qui peut vraiment afficher un sourire ? Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge ou les membres de la FAE qui s’étaient fait promettre de belles choses par la CAQ et qui revendiquaient des hausses salariales substantielles ?

Rappel

Lors de la campagne électorale de 2018, la CAQ promettait d’abolir les six premiers échelons. La FAE pour sa part revendiquait une nouvelle échelle salariale applicable au 1er avril 2020 comportant 11 échelons et prévoyant un salaire variant entre 56 415$ et 91 894$. Elle demandait également une majoration salariale de 3% par année dès le 1er avril 2020, pour un total de plus de 21% à tous les échelons.

Le résultat de la négociation

Sur le plan salarial seulement l’entente prévoit ceci :

1er avril 2020 = 46 115$ (salaire d’entrée à l’échelon 3) 82 585$ (échelon 17)

31 mars 2023 = 53 018$ (échelon 3) 91 132$ (sommet de l’échelle, nouvel échelon 16) soit respectivement 15 % et 10,3% (incluant les paramètres d’augmentations généraux annoncés à 5%)[1].

Cette entente comporte plusieurs dispositions dont, dans la catégorie « Salaire additionnel au 31 mars 2023 vs. 31 mars 2020 » des pourcentages très élevés plus une clause remorque à ce qui sera négocié avec les autres organisations syndicales des secteurs public et parapublic. La progression salariale semble, à première vue, spectaculaire. Mais, ne nous emballons pas trop vite. Nous le savons, il est facile de faire dire beaucoup de choses aux chiffres. Mentionnons d’entrée de jeu que la FAE a une curieuse de façon de calculer les « augmentations salariales » (sic) supposément consenties par l’État patron. Elle inclut, à tort selon nous, les avancements dans les échelons et les montants forfaitaires. De quoi susciter de l’envie du côté des fédérations des médecins et des médecins spécialistes qui vont peut-être vouloir réclamer des pourcentages identiques à ceux prétendument obtenus par la FAE. Cette pratique d’inclure les progressions d’échelons nous a souvent été servie par l’employeur afin de « camoufler » des gels de salaires. Quoi qu’il en soit et il importe de le préciser, avec ou sans négociation, les enseignantEs en début de carrière auraient vu de toute façon leur salaire progressé de 13,3% en grimpant 3 échelons.

Au réel, les augmentations salariales (augmentation paramétrique + rattrapage avec les autres provinces canadiennes) ne seront pas supérieures à 10,3% pour l’ensemble des membres concernés par cette entente[2]. Ce rétrécissement ou ce dégonflement suppose qu’il faut absolument soustraire, des pourcentages affichés, les montants forfaitaires et les avancements dans les échelons. Le rattrapage réel obtenu par la FAE s’élève à un modeste 5% qui s’applique uniquement à l’échelon supérieur. Elle réclamait beaucoup plus au départ. Ce qu’elle a négocié va tout au plus permettre à ses membres de se rapprocher un peu de la moyenne nationale canadienne. À ce sujet, il faut savoir que le salaire de 91 132 $ ne sera atteint qu’en avril 2022. Ensuite, la moyenne canadienne de 92 000$ est un chiffre qui daterait de 2018, alors qu’il était de 91 830$. Est-il nécessaire de rappeler que les salaires des enseignantEs ont augmenté dans les autres provinces canadiennes depuis et qu’ils vont encore croître jusqu’en 2022-2023 ?

Source :https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-604-x/2020001/tbl/tblc3.1-fra.htm.

Consulté le 5 mai 2021.

Un milliard : vraiment ?

Selon un éditorialiste du quotidien La Presse, Alexandre Sirois, « Au total, on parle d’une bonification de plus d’un milliard de dollars sur trois ans. » Que comporte précisément cette « bonification » ? Détaillons. Il y a dans ce montant « astronomique » deux montants forfaitaires (qui ne correspondent pas à des augmentations salariales) et l’augmentation salariale paramétrique offerte à touTEs les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic (mais pas acceptée par les autres). L’argent « neuf » (ou « additionnel nouveau ») que le gouvernement va verser uniquement aux enseignantEs pour les rapprocher (nous disons bien rapprocher) de la moyenne canadienne de 2018 correspond à des centaines de millions de dollars que les deux parties contractantes doivent indiquer avec précision[3]. Ce sera sur la base de ce chiffre et uniquement de celui-là qu’il nous sera possible de juger s’il y a de quoi pavoiser et de parler d’une augmentation réellement « historique ».

Il s’est écrit un certain nombre de choses au sujet de cette entente. Lia Lévesque, journaliste à La Presse Canadienne, a rédigé un texte qui s’accompagne d’un titre dithyrambique et inégalable : « Entente entérinée à la FAE : « du gigantesque, du jamais vu », dit le président ». Le président de la FAE, Sylvain Mallette, y est même allé du commentaire qui suit : « Ça va marquer l’histoire de la profession enseignante ». Tout cela reste, selon nous, à démontrer sur le plan de l’histoire de la rémunération de la profession enseignante, car il fut un temps où les enseignantEs du Québec étaient les mieux rémunéréEs de leur profession au Canada. Ce qui était le cas en 1982.

Rappelons également que l’entente de 2002, qui incluait l’équité salariale, la fusion des échelles et la reconnaissance de 100% de la tâche, avait donné lieu à un ajustement de près de 18% pour les enseignantEs avec un baccalauréat de 4 ans (cette entente incluait tristement un gel des salaires des enseignantEs de la classe 20, soit celles et ceux qui détenaient un doctorat). Alors, l’entente entre le Secrétariat du Conseil du trésor et la FAE nous met-elle réellement en présence de quelque chose qui relève « du jamais vu » ?

Nous posons cette question, car au fur et à mesure que seront connues les données canadiennes pour les années allant au-delà de 2018, il se peut que nous constations toujours l’existence d’un écart important dans la rémunération des enseignantEs du Québec par rapport à leurs collègues des autres provinces canadiennes. Et puisqu’il en sera ainsi, il est permis de soulever l’interrogation suivante : que diront les dirigeantEs de la FAE quand elles et ils déposeront leurs demandes salariales en octobre 2022 ? Se pourrait-il qu’elles et qu’ils réclament à nouveau un rattrapage avec certainEs de leurs collègues des autres provinces et territoires du Canada ?

Conclusion

Nous pouvons dire que cette entente permet à certaines personnes de redresser un peu la tête et au gouvernement d’afficher un énorme sourire en se disant que son cadre monétaire est respecté. Ensuite, cela n’autorise pas un éditorialiste de prétendre ceci : « Quand les bottines des caquistes suivent les babines ». Pour vous en convaincre, je vous invite à aller discuter avec les personnes qui sont présentement à l’échelon 17 et qui n’auront droit au total qu’à une augmentation de 5% sur trois ans + l’équivalent d’un autre 5% (en guise de rattrapage). Dans leur cas, la « progression salariale totale » n’est, tout compte fait, que de 10,3%. Nous sommes donc très loin des montants initialement revendiqués par la FAE. Pour ce qui est des promesses de la CAQ, constatons que les 6 premiers échelons n’ont pas été « abolis ».

Dans cette entente, qui certes contribuera à améliorer la situation de certains des membres de la FAE, les gains obtenus sont beaucoup plus modestes que le discours affiché par M. Mallette. Derrière les chiffres, il y a des pourcentages qui sont gonflés de manière exagérée, ce qui correspond soit à un discours qui induit volontairement en erreur, soit à une évaluation excessive imputable à je ne sais quoi au juste. On comprend dans les circonstances pour quoi la FAE a exigé une clause remorque. Elle veut elle aussi avoir droit aux gains, sans avoir à livrer le combat et à payer le prix de la grève. Se pourrait-il que cela s’appelle vouloir le beurre et l’argent du beurre ?

N’ayons pas peur de le dire, nous méritons plus de transparence de la part de certains dirigeants syndicaux et surtout qu’ils cessent de reprendre à leur compte cette façon tordue et malhonnête de calculer de l’État patron. Depuis quand est-ce qu’un avancement dans un échelon et le versement d’un montant forfaitaire méritent-ils d’être considérés au même titre qu’une augmentation paramétrique ? Cela commence à devenir, depuis 2015, une tendance lourde auprès de certains syndicalistes qui affichent, en période de négociation, un discours de « syndicalisme de combat » et qui, au moment d’avoir à déclarer un conflit ouvert avec l’État, concluent à la va-vite et signent un peu au rabais avec les représentantEs du Secrétriat du Conseil du trésor. Et dire que tout cela a commencé par un appel solennel à « tout changer ». Tout cela fini par une poignée de dollars avec en prime une clause remorque en laissant les autres seulEs au front !

Il est bien entendu qu’un processus de négociation suppose qu’en cours de route les parties négociantes mettent de l’eau dans leur vin et qu’elles s’engagent dans la voie du délestage de leurs positions ou revendications initiales et se montrent capables de s’inscrire dans un processus de compromis en effectuant des concessions. Mais justement qui a fait le plus de concessions ici ? Le gouvernement Legault ou la FAE ? Il me semble que l’abandon de certaines revendications salariales a été beaucoup plus nombreux du côté de la FAE que du côté gouvernemental et c’est ce qui expliquera peut-être un peu pourquoi, dans 18 mois, cette organisation syndicale recyclera ou réutilisera une partie de son discours qu’elle a affiché durant la présente ronde de négociation. Il se peut que dans les mémoires on se dise à ce moment : « Il me semble que cela a été réglé au coût d’un milliard la dernière fois » !

Qui amorcera la prochaine ronde de négociation avec un sourire aux lèvres ?

Yvan Perrier

9 mai 2021

20h30

yvan_perrier@hotmail.com

Sources :

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/565848/la-fae-lance-une-tournee-des-regions-du-quebec. Consulté le 5 mai 2021.

https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/2021-05-05/enseignants/quand-les-bottines-des-caquistes-suivent-les-babines.php?fbclid=IwAR1CPjBQLfrJ4-aZpLP2BHghrWidt-7HizySgocADr0wZh_VE0qta9WvYyQ. Consulté le 5 mai 2021.

https://www.latribune.ca/actualites/le-fil-groupe-capitales-medias/entente-enterinee-a-la-fae-du-gigantesque-du-jamais-vu-dit-le-president-c9736834dd5a592cbe6980a938e53c50. Consulté le 7 mai 2021.

[1] Source : Section 3 – Impacts individuels des échelles proposées pour chaque échelon . FAE, L’Entente de principe, Cahier 2 de 2. Avril 2021, p. 10. Note aux lectrices et aux lecteurs : Les données qui apparaissent aux pages 7, 9 et 10 du Cahier de consultation présenté aux membres de la FAE ne concordent pas toujours.

[2] Exception faite de l’échelon 3 où il semble s’annoncer une augmentation de 13,7%, si nous comprenons bien les tableaux de la FAE.

[3] Une fois la négociation conclue avec les autres organisations syndicales, à l’extérieur des millions qui seront accordées aux salariéEs syndiquéEs à titre d’augmentation paramétrique, se pourrait-il que le coût du rattrapage salarial avec les enseignantEs s’élève à 220 millions récurrents environ ?

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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