Édition du 19 novembre 2024

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Afrique

En Libye, la guerre aux migrants et la compétition entre l’Italie et la France

Les « civils » de la milice qui agirait en Libye contre les migrants aurait été formée avec l’aide des services secrets italiens qui depuis très longtemps opèrent sur ce territoire pour protéger les installations de l’ENI-Agip, la multinationale italienne du pétrole.

Tiré du blogue de l’auteur.

Il n’est pas simple comprendre la superposition des faits qui se passent en Libye, à savoir ce qui relève de la guerre aux migrants, ce qui relève de la compétition entre l’Italie et la France et d’autres puissances et encore ce qui relève de la concurrence déchaînée en Italie entre la pseudo-gauche au gouvernement et la droite sur qui est le plus prohibitionniste sur les migrations, compétition qui alimente la “distraction de masse” utile pour cacher les véritables insécurités.

Peu de médias parlent de cette superposition et seulement quelques-uns racontent les derniers épisodes concernant la guerre aux migrants dont l’opinion publique dominante semble se réjouir compte-tenu de la considérable diminution des arrivées en Italie (par ailleurs toujours très limitées depuis 2014).

Comme le rapporte Carine Fouteau [1], cette forte diminution serait due à l’action semble-t-il très efficace d’une milice créée à cet effet. L’existence de ce groupe, qui opère surtout à Sabratah, le lieu libyen d’où jusqu’à présent partaient la plupart des migrants vers l’Italie [2], a été révélée par deux reporters de l’agence Reuters, Aidan Lewis et Steve Scherer. Selon les témoins parlant sous couvert d’anonymat, cette milice serait composée de plusieurs centaines de « civils, policiers et gens de l’armée » et agirait avec efficacité (« very strong campaign ») suivant les directives d’un « ancien boss de la mafia », connu par ceux qui suivent de près les activités de la contrebande de pétrole et les trafics de migrants.

Les « civils » de cette milice seraient des contractors et la milice aurait été formée avec l’aide des services secrets italiens qui depuis très longtemps opèrent en Libye tout d’abord pour protéger les installations de l’ENI-Agip (la multinationale italienne du pétrole) parfois à travers d’intermédiaires distribuant des armements pour éviter des attaques contre les intérêts italiens en Libye (ce que font les services secrets de tous les pays y compris la France). Cette milice disposerait aussi d’un centre de détention pour les migrants rapatriés en Libye ou repris par des contrebandiers qui ainsi échangent ce « service » contre leur liberté de trafic. Selon les témoins cités par les reporters de Reuters, la milice qui a pris le nom de « 48e Brigade » afin d’être reconnue comme partie prenante des forces armées et policières libyennes, cherche à obtenir la légitimité et le soutien financier de Tripoli, des États européens et même de l’ONU en tant que principale et efficace force apte à barrer les migrations vers l’Italie et l’Europe. Aux questions posées par les journalistes Reuters, un fonctionnaire du ministère de l’intérieur chargé de la « lutte contre la migration illégale » n’a pas voulu répondre.

Tout le monde se félicite de la forte réduction des arrivés d’immigrés en Italie et implicitement de l’efficacité de cette milice. Un journaliste du Corriere della Sera, Lorenzo Cremonesi, a lui aussi reçu un refus net de commentaire de la part d’un autre fonctionnaire du ministère de l’intérieur italien tandis que les chefs des garde-côtes libyens fêtent ce supposé succès et s’en vantent pour dire à l’Italie, à l’Union européenne et à l’ONU : « Si vous ne nous donnez pas l’argent et les moyens promis, on fera repartir les migrants. » Un autre journaliste du quotidien de droite, il Foglio, affirme que la milice anti-migrant « 48e brigade » serait composée de « contrebandiers » jouant les policiers pour rafler les financements promis par l’Italie et l’UE [3]. En outre, ce journal fait allusion au fait que l’Italie serait la principale artisane de la création de cette milice.

Il n’est pas étonnant que le « mérite » de l’arrêt des arrivés d’immigrés soit revendiqué tout d’abord par le ministre italien de l’intérieur, M. Minniti, qui depuis son arrivée à ce poste se présente comme l’homme fort, voire même providentiel, pour la (pseudo) gauche et pour la droite. Ayant fait carrière dans le milieu de ceux qui gèrent les services secrets [4], il reste sans doute le principal référent politique de ces services, des militaires et des polices. À ce titre, il est possible qu’il ait promu – directement ou indirectement – des opérations telle que la création de la 48e brigade libyenne anti-migrants.

Sans doute la guerre aux migrations est un objectif devenu incontournable dans l’agenda politicien italien qui voit une concurrence déchaînée entre la pseudo-gauche et la droite, en particulier à la suite des résultats des dernières élections locales gagnées par la droite. Renzi a commencé à reprendre des phrases notamment utilisées par Salvini, le chef de la Ligue du Nord, le principal parti qui depuis toujours fait du discours raciste et fascisant son cheval de bataille. Mais c’est Minniti qui a tout fait pour montrer que lui sait agir et obtenir des résultats. Ainsi, la grande majorité de la soi-disant opinion publique, des autorités et du parlement est favorable au prohibitionnisme intransigeant à l’encontre des migrations [5].

Cela dit, si l’on regarde bien la réalité effective des arrivées depuis 2014 et surtout en 2016 et 2017, on peut comprendre que cette guerre aux migrations est un leurre ! Cela montre de manière éclatante à quel point l’instrumentalisation de la soi-disante « crise migratoire » est efficace pour la distraction de masse qui fonctionne très bien pour occulter les véritables insécurités du pays (tout comme de l’Europe et du monde entier, à savoir les risques de désastres sanitaires-environnementaux et économiques dont notamment le néo-esclavagisme [6]). Une distraction alimentée par le terrorisme pseudo-islamiste, nourri par le commerce des armes et des connexions satellitaires activé par les pays de l’OTAN, la Russie et d’autres puissances. En effet, un match important est en train de se jouer entre l’Italie et la France [7]. Depuis toujours, l’Italie a cultivé des intérêts considérables dans ce pays, notamment à travers l’ENI-Agip. La sauvegarde des installations de cette multinationale italienne du pétrole et le transport de celui-ci sont toujours passés (tout comme dans d’autres pays) par des accords tacites voir « indicibles » avec des bandes armées ou milices ou mafieux locaux et italiens, y compris les trafiquants d’armements. Or, M. Macron semble avoir décidé que la France veut jouer un rôle majeur en Libye et ailleurs en Afrique : le ministre Le Drian est allé en Tunisie, Algérie, Egypte, au Sahel, dans les Émirats, en Arabie saoudienne et au Qatar. Et Macron, en entente avec le Royaume Uni et ignorant l’Italie, a joué l’entente avec les nouveaux leaders libyens, ce qui a été perçu du côté italien comme une sorte de guerre ouverte [8].

Et voilà que, pendant les mauvais coups que France et Italie s’échangent, comme le documentent Amnesty et quelques autres ONG, ce sont les migrants encore une fois qui payent, victimes de vols, de tabassages et des tortures par des bandits et mafieux en Libye, avec entre autres la criminalisation de la solidarité [9].
 

Notes

[1] https://www.mediapart.fr/journal/international/230817/migrants-une-milice-empecherait-les-departs-de-libye

[2] https://www.reuters.com/article/us-europe-migrants-libya-italy-exclusive-idUSKCN1B11XC,ntente accords tacites voir sclres sanitaires-environnementaux et économique dont notamment le néo-esckavagisme)ccords tacites

[3] http://www.ilfoglio.it/esteri/2017/08/23/news/adesso-i-trafficanti-libici-si-convertono-alla-lotta-antiscafisti-149400/

[4] Dans son ambition de surclasser Renzi, Gentiloni et n’importe quel autre éventuel compétiteur de gauche et de droite, il a réussi à faire passer un article sur le NYT qui de fait célèbre ses mérite : "Italy’s ‘Lord of the Spies’ Takes On a Migration Crisis" : https://www.nytimes.com/2017/08/04/world/europe/italy-marco-minniti-migration.html?mcubz=0

[5] https://blogs.mediapart.fr/salvatore-palidda/blog/100817/l-hostilite-l-immigration-en-italie-et-la-fin-de-l-etat-de-droit ; https://blogs.mediapart.fr/salvatore-palidda/blog/110717/le-triomphe-du-prohibitionnisme-fasciste-et-raciste-des-migrations-en-europe

[6] https://blogs.mediapart.fr/salvatore-palidda/blog/211015/l-anthropocene-et-les-insecurites-ignorees

[7] http://www.repubblica.it/esteri/2017/07/21/news/libia_la_francia_invita_haftar_e_serraj_a_parigi_un_vertice_senza_l_italia-171278672/

[8] http://www.lemonde.fr/international/article/2017/07/25/un-accord-trouve-pour-des-elections-au-printemps-en-libye_5164905_3210.html

[9] https://www.amnesty.org/en/countries/middle-east-and-north-africa/libya/report-libya/ ; http://www.medicisenzafrontiere.it/cosa-facciamo/paesi/libia ; https://www.amnesty.it/morti-nel-mediterraneo-le-complicita-dei-governi-europei/?utm_source=ads&gclid=Cj0KCQjw8vnMBRDgARIsACm_BhKu3CVYLEGNJ-p6kJRH4Ww2FIm5YGLrdmYZoDMWY7tzalZt09OVxPQaAvFmEALw_wcB ; http://www.a-dif.org/

Salvatore Palidda

professeur de sociologie à l’université de Gênes (Italie)

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