Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Planète

En 2023, la crise climatique a fait un grand bond en arrière vers la terre-étuve

Les puissants de ce monde ont capitulé en faveur d’un jovialisme profiteur

« Selon BBC News, le mois dernier a été plus chaud de 0,93°C que la moyenne de septembre pour la période 1991-2020 et de 0,5°C que le précédent record établi en 2020 » (Cropped, Debriefed, 6/10/23). « Le "budget carbone" restant pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C au- dessus des températures préindustrielles s’est encore réduit, selon une nouvelle étude rapportée par BBC News. L’étude a révélé que seulement 250 milliards de tonnes de CO2 peuvent être libérées si la planète veut avoir une chance sur deux de rester en dessous de 1,5°C. […] Le Guardian rapporte que, selon l’étude, le budget carbone restant sera épuisé dans six ans, compte tenu des niveaux d’émissions actuels » (CarbonBrief, DeBriefed, 3/11/23).

Plus que jamais, au détriment de leur propre équilibre écologique, les océans auront absorbé l’essentiel de la chaleur extra provenant du réchauffement du climat. Comme le réchauffement atmosphérique en 2023, celui océanique aura battu de loin le record précédent :

Source : New York Times, Climate Forward, 3/08/23

Plus que jamais, les transnationales de l’hydrocarbure et leurs financiers mènent le bal

Les grands de ce monde en auront sans doute conclu qu’il faut prendre les bouchées doubles pour éliminer les émissions de gaz à effet de serre (GES). Nenni ou plutôt si, soit se hâter d’encaisser les profits des hydrocarbures :
Exxon dispose d’une trésorerie abondante et d’un cours boursier record. Mais au lieu d’investir dans les énergies propres, elle choisit de produire davantage de pétrole et de gaz. La logique impitoyable du marché pousse Exxon et d’autres grandes compagnies pétrolières à doubler leur production de combustibles fossiles au lieu d’investir dans les technologies vertes. "Elles sont absolument liées aux rendements", a déclaré M. Creyts. "Elles sont tenues d’obtenir des résultats conformes aux attentes du marché. Et toute tentative de création d’une entreprise à risque qui ne fournit pas les rendements attendus d’une grande entreprise est pénalisée". […]
Aux États-Unis, il s’agit de nouveaux projets qui font la une des journaux, comme le projet Willow en Alaska et le Mountain Valley Pipeline en Virginie-Occidentale. Au Qatar, en Norvège, au Brésil, en Chine et en Inde, de nouveaux projets pétroliers, gaziers et charbonniers sont approuvés pratiquement chaque semaine. Les Émirats arabes unis, qui accueilleront le mois prochain les négociations des Nations unies sur le climat, ont déclaré qu’ils continueraient à produire du pétrole "tant que le marché le demandera". […]
L’Agence internationale de l’énergie note que depuis des décennies, "la part des combustibles fossiles dans le bouquet énergétique mondial reste obstinément élevée, à environ 80 %". L’AIE constate l’amorce d’un déclin progressif, mais estime que les combustibles fossiles représenteront plus de la moitié de la production mondiale d’énergie d’ici 20 ans.

New York Times, Climate Forward, 12/10/23

Les pétrolières européennes avaient meilleure réputation. Elles suivent la tendance étatsunienne :

Les défenseurs du climat se sont indignés du projet de Shell de verser à ses actionnaires au moins 23 milliards de dollars de récompenses cette année, quelques jours seulement après avoir annoncé son intention de supprimer jusqu’à 25 % du personnel travaillant dans son équipe chargée des solutions à faible émission de carbone. Le directeur général de Shell, Wael Sawan, a déclaré aux investisseurs qu’ils devaient s’attendre à des versements "bien supérieurs" aux attentes.
"Les gens en ont assez de voir les patrons pétroliers feindre de se préoccuper de la planète tout en supprimant des emplois et des investissements dans les énergies renouvelables et en injectant de l’argent dans les dividendes, les rachats d’actions et les nouveaux projets d’exploitation des combustibles fossiles", a déclaré Charlie Kronick, conseiller principal en matière de climat auprès de Greenpeace UK.
The Guardian First Think. 3/11/23

Bien sûr, les banques canadiennes suivent la tendance : « le 14e rapport annuel Banking on Climate Chaos - qui constitue l’analyse mondiale la plus complète sur le financement bancaire lié aux combustibles fossiles - révèle que la Banque Royale du Canada est devenue en 2022 le numéro un mondial des bailleurs de fonds pour les combustibles fossiles » (Greenpeace Canada, communiqué, 13/04/23). Faut-il alors s’étonner de la déclaration du Secrétaire général des Nations unies : « "Les barons des combustibles fossiles et ceux qui les soutiennent ont contribué à créer ce gâchis ; ils doivent soutenir ceux qui en souffrent [et] j’appelle donc les gouvernements à taxer les bénéfices exceptionnels de l’industrie des combustibles fossiles" » (Damian Carrington, Action to protect against climate crisis ‘woefully inadequate’, UN warns, The Guardian, 2/11/23). Ce rapport de l’ONU souligne du financement en baisse pour le climat : « Le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) estime qu’entre 215 et 387 milliards de dollars par an sont nécessaires pour l’adaptation au climat dans les seuls pays pauvres et vulnérables au cours de cette décennie. Cependant, le financement a chuté de 15 % - pour atteindre seulement 21 milliards de dollars - en 2021, selon le rapport. »

Une COP28 dans un sultanat pétrolier lestée par les pétrolières sera pétrolier… sous la couverte

Poser la question à savoir si la COP28 dans le sultanat pétrolier de Dubai, sous la présidence du sultan PDG de son fonds souverain corrigera le tir relève soit de la naïveté soit du cynisme :

Politico rapporte que l’accord conclu l’année dernière lors du sommet sur le climat de la COP27 en vue de créer un fonds pour les pertes et les dommages "risque de voler en éclats". Selon le journal, les discussions sur la création d’un fonds de pertes et dommages "se sont enlisées dans l’acrimonie au point qu’un négociateur principal menace de rouvrir la question la plus explosive : celle de savoir si les grands pollueurs tels que les États-Unis et l’Union européenne devraient être tenus pour responsables de leurs nombreuses décennies de pollution par les gaz à effet de serre". […] Les États-Unis ont déclaré que toutes les contributions devraient être volontaires et préconisent une variété de sources au-delà des contributions gouvernementales, telles que les philanthropies et les "sources innovantes", comme les marchés volontaires du carbone... Les pays en développement craignent que, sans un engagement ou une reconnaissance de responsabilité inscrits dans le système, le fonds dépende de la charité des pays riches".
Par ailleurs, Cipher rapporte que "les États-Unis travaillent en coulisses pour s’assurer que l’énergie nucléaire ne soit pas exclue de l’engagement mondial prévu pour stimuler les énergies renouvelables lors du prochain sommet sur le climat à Dubaï". […] Selon le fil d’information [Reuters], "les pays sont divisés entre ceux qui exigent un accord pour éliminer progressivement la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel qui produisent les gaz à effet de serre qui sont la principale cause du changement climatique et les nations qui insistent pour préserver un rôle pour les combustibles fossiles". Enfin, Andreas Sieber, directeur associé de la politique mondiale et des campagnes de 350.org, a déclaré à Climate Home News : "Un objectif en matière d’énergies renouvelables sera débattu lors de la COP28, mais des réformes financières sont nécessaires pour que les pays du Sud, à l’exception de la Chine, puissent atteindre cet objectif".

CarbonBrief, Daily Briefing, 31/10/23

Pour tromper la galerie, « [l]’UE, les Etats-Unis et les Emirats arabes unis sont en train de rallier d’autres gouvernements à un accord mondial visant à tripler les énergies renouvelables au cours de cette décennie lors de la COP28, selon des documents communiqués à Reuters. Les pays s’efforcent de recruter d’autres signataires de l’engagement avant la COP28, avec un événement de lancement susceptible d’être organisé au début du sommet, selon le document » CarbonBrief, Debriefed, 3/11/23). Ainsi les hydrocarbures (et le nucléaire) pourront continuer à croître à l’ombre des énergies renouvelables devenues compétitives vis-à-vis leurs concurrents fossiles. Sans doute la croissance absolue de l’énergie renouvelable (en kilowatts-heure), et non seulement relative (en pourcentage), sera d’ici queques années plus importante que celle des hydrocarbures (Malte Jansen, Renewables are cheaper than ever yet fossil fuel use is still growing – here’s why, The Conversation, 19/09/23). Le démon de la croissance capitaliste mange à tous les rateliers. Il faudrait une décroissance drastique de l’énergie par habitant, ce qui suppose à confort égal et égalitaire une restructurtion de la matrice production-consommation sur la base d’une révolution des rapports sociaux en ce moment déterminés en dernière analyse par la recherche du profit maximum.

Le pape ira à la COP28 de Dubai mais non le président des ÉU. La messe est dite quelles que soient les ententes bâtardes qui seront faites pour sauver la face. Une première vient de sortir du chapeau : « ‘’Les recommandations [du Fonds pertes et dommages] sont faibles, car elles ne font pas mention de la taille du fonds ni d’un plan clair de capitalisation’’, a abondé auprès de l’AFP Harjeet Singh, de l’ONG Climate Action Network, déplorant ‘’un jour sombre pour la justice climatique. En outre, les États-Unis font pression pour que l’adhésion soit volontaire pour les pays développés », a-t-il ajouté » (Benjamin Legendre – AFP,« Pertes et dommages » climatiques : un cap décisif franchi avant la COP28, Le Devoir, 4/11/23 — À noter le biais du titre du Devoir). Pour des fins d’écoblanchiment, les puissances pétrolières-gazières continueront d’acheter des crédits carbone bidons (Tim Wlaker, First Thing : Chevron’s carbon offsets are ‘mostly junk and some may harm’, The Guardian, 24/05/23). Pendant ce temps, The Economist et compagnie s’éverturont à expliquer « [p]ourquoi l’élimination du carbone est-elle si importante ? » (Catherine Brahic, The Climate Issue, The Economist, 29/05/23) alors que la capture et la séquestration du carbone sont un mirage et un tour de passe-passe pour ne pas réduire à la source (Violaine Colmet Daâge, Le mirage de la séquestration du carbone, Reporterre, 1/04/22 et 11/05/23).

De Charybe en Scylla avec la filière batterie et le plan d’Hydro-Québec aux frais du prolétariat

Reste « [l]es voitures électriques [qui] pourraient être essentielles pour que l’UE atteigne ses objectifs en matière de climat » de prétendre la revue de la City (The Economist, Electric cars could be crucial for the EU to meet its climate goals, 22/05/23). Le piège de l’extractivisme alternatif tout-électrique est celui choisi par le gouvernement du Québec à défaut d’avoir trouver une corne d’abondance pétrolière-gazière suite à moult et vaines recherches d’Anticosti à la Vallée du Saint-Laurent. Qui paiera les subventions gargantuesques de la filière batterie afin d’accoter le soutien faramineux des ÉU à leur industrie découlant de leur guerre commerciale contre la Chine, sans compter les inefficaces subventions aux véhicules électriques (Vincent Rességuier, La voiture électrique : « une opération d’écoblanchiment », Radio-Canada, 1/11/23) au bénéfice des transnationales de ce secteur ? « Qui financera le gigantesque plan d’Hydro- Québec ? », dont le rabais supplémentaire aux grands consommateurs d’électricité jusqu’à 20% consenti directement par Québec hors bilan d’Hydro-Québec jusqu’en 2032 (Thomas Gerbet, Québec va abolir le rabais sur la facture d’électricité des industries, Radio-Canada, 31/10/23). Ce plan ouvre la porte au privé et met la table pour de futurs augmentations de tarifs résidentiels au-delà de l’inflation dès 2025 (Olivier Bourque, Qui financera le gigantesque plan d’Hydro- Québec ?, Radio-Canada, 2/11/23).

La réponse ne s’est pas fait attendre. Il n’y a plus d’argent pour combler les déficits du transport en commun découlant de la pandémie sauf à la marge. Il faudra diminuer le service si ce n’est renoncer au tramway de Québec (Félix Morrissette-Beaulieu, Plan B du tramway : 8,4 milliards $, « c’est cher », dit François Legault, Radio-Canada, 1/11/23). En sera-t-il de même pour le ressuscité troisième lien ? On est très loin du train pas cher d’Espagne (Alban Alkaïm, En Espagne, le succès du train pas cher, Reporterre, 27/09/23). Mais il ne semble pas que ces restrictions s’appliqueront au réseau routier ni même au train aérien REM, ce qui affecterait les profits de la Caisse de dépôt et placement. Et que dire des offres de la CAQ au secteur public qui sont à des années-lumière de la hausse de rémunération de 30% de la députation ou du plus de 20% consenti aux policiers de la Sûreté du Québec dont le refus arrogant exprime la conscience aigue de leur indispensabilité. Vaudrait mieux pour cette majorité de femme syndiquées s’inspirer des gains des syndicats étatsuniens et canadiens de l’automobile à la combativité exemplaire (Jim Stanford, In Canada and the US, Autoworkers Have Notched Major Victories Against the Big Three, Jacobin, 2/11/23) mais peut-être encore mieux de leurs consœurs de l’entreprise de santé étatsunienne Kaiser dont la combativité semble avoir porté fruit (Malik Miah, Health Care Battles in a Post-COVID World, Against The Current, 15/10/23).

Choisir entre une société fermée-répressive ou une ouverte-égalitaire face à la vague de réfugiés

Les conséquences de ces démissions, renonciations et fausses solutions sur l’humanité sont déjà archi visibles et leur croissance sera exponentielle car les catastrophes climatiques se combinent et amplifient guerres, misère et effondrement politico-économique. Faut-il alors se surprendre que « [s]elon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la crise mondiale des réfugiés a plus que doublé au cours de la dernière décennie. En 2022, le HCR a annoncé que le monde avait dépassé la barre des 100 millions de personnes déplacées, ce qui signifie que plus de 1,2 % de la population mondiale a été forcée de quitter son foyer. Ce chiffre inclut quelque 70 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, une dimension souvent négligée de la catastrophe » (Against The Current Editors,Migrants (USA) : Desperate Journeys. Sick System !, Against the Current, 1/05/23). « Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a récemment mis en garde contre le fait que quelque 3,5 milliards de personnes vivent déjà dans des contextes très vulnérables au changement climatique. D’ici à 2050, plus d’un milliard de personnes vivant sur de petites îles et dans des communautés et établissements côtiers de faible altitude devraient être menacées par l’élévation du niveau de la mer et des conditions météorologiques extrêmes » (Human Rights Watch, United NationsClimate Change Conference (COP28), 30/10/23).

Dire que la CAQ, et le PQ en pire, freinent des deux pieds l’ouverture des frontères. Ces partis pointent du doigt l’immigration comme cause de la crise du logement due en réalité à la quasi liquidation de la construction de logements sociaux depuis 30 ans. Peut-être incluraient-ils dans le lot ces Palestiniennes qui avec la dizaine de milliers d’alliés remplissaient la promenade devant la Place des arts de Montréal ce samedi après-midi dernier comme dans des centaines de villes à travers le monde. Malheureusement, la myriade de drapeaux palestiniens n’y cotoyaient guère de bannières ou étendards de parti ou de syndicat ou de groupes populaires.

L’impérialisme guerrier donne la priorité à la guerre ou à sa préparation. « Selon le dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales ont atteint un record de 2 240 milliards de dollars en 2022, en hausse de 3,7 % par rapport à 2021. Au cours de la décennie 2013-2022, les dépenses mondiales ont augmenté de 19 % » (Tristan Gaudiaut, Trois quarts des dépenses militaires mondiales ont lieu dans 10 pays, Statista, 27/04/23). La Deuxième guerre mondiale a mis sans dessus dessous en deux ou trois ans économie et société parce que pour les bourgeoisies, soutenues le cas échéant par les peuples contre le fascisme envahisseur, c’était une affaire de survie. Qu’en est-il de la survie de la civilisation si ce n’est de l’humanité aspirées par le dérapage en accéléré vers la terre-étuve ?

Marc Bonhomme, 5 novembre 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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