Édition du 19 novembre 2024

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Israël - Palestine

Ceux et celles qui disent : « Un cessez-le-feu ne réussira pas », ont tort. Voici pourquoi

Souvent on avance quatre raisons pour soutenir les bombardements israéliens ; toutes sonnent creux

Depuis l’attaque du Hamas au sud d’Israël le 7 octobre et la campagne de représailles du gouvernement israélien sur Gaza, la demande pour un cessez-le-feu ne cesse de s’amplifier dans le monde. Des dizaines de milliers de personnes, des groupes de défense des droits humains sous l’impulsion d’OXFAM, Amnesty International, des célébrités de Hollywood et une majorité de l’électorat des deux partis (américains) se sont coalisés.es autour d’une revendication simple : qu’Israël cesse sa campagne de mort sans distinction à Gaza. De toute évidence, cette revendication est le plus bas minimum possible.

Adam Johnson, The Nation, 27 octobre 2023
Traduction, Alexandra Cyr

Demander une fin au blocus, au siège, à l’apartheid est extrêmement valable mais ces enjeux ne peuvent être envisagés sans, qu’au moins, les Gazaouis aient un peu de calme pour enterrer leurs proches décédés.es.

Conscients.es du potentiel désastre de communication que représente leur soutien au siège continu d’Israël à Gaza parmi leur base locale, à ce que pourrait bien être un nettoyage ethnique si ce n’est un génocide, les élus libéraux (au sens politique du mot par opposition à conservateur. N.d.t.), invoquent quatre arguments pour contrer ceux des progressistes qui demandent la fin du bain de sang et un cessez-le-feu. Après tout, 80% des Démocrates sont en faveur d’une telle décision mais 90% des élus.es démocrates au Congrès n’en font pas la demande. Le chat se mord la queue. Les quatre raisons, avec leurs trous et leurs arguments subséquents ont l’air de ceci :

1- « Biden n’a aucun contrôle sur ce que fait Israël », ou encore, « Il fait tout ce qu’il peut pour prévenir la mort des civils.es ».

Ces derniers jours, des habitués.es des messages ont soutenu que si le Président Biden et par extension, les Démocrates au Congrès, appelaient à un cessez-le-feu ça ne donnerait rien de valable. Israël va continuer à faire ce qu’il fait, peu importe les demandes des commentateurs.trices. Donc, la manière la plus efficace d’avoir de l’influence en Israël et de faire diminuer les atrocités est de changer les choses de l’intérieur, de rester à leurs côtés en respectant leurs commentaires, publics, militaires, financiers en apportant le soutien logistique. Mais, en arrière-plan, faire pression pour qu’Israël réduise le nombre de ses crimes de guerre.

Cet argument affiche une crédulité certaine pour un certain nombre de raisons. La première c’est que ce n’est qu’une copie de ce que les Démocrates ont utilisé pour soutenir les crimes de guerre commis par l’Arabie saoudite au Yémen pendant des années. (Bien sûr, D. Trump a aussi soutenu ces crimes à 100% mais parce qu’on le classait parmi les méchants, personne n’a élevé la voix pour exprimer de profondes inquiétudes). L’idée que les États-Unis ne peuvent pas franchement influencer les décisions israéliennes alors qu’ils leur fournissent des dizaines de milliards de dollars par année en armement de haute précision, de soutien logistique, en argent frais, et une protection à l’ONU, est absurde à sa face même. Vous ne le croyez pas ? Demandez-le au Ministre israélien de la défense, M. Joav Gallant. La semaine dernière, interrogé par The Times of Israël à propos de laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza, il a répondu : « Les Américains insistent. Nous ne sommes pas en position de leur dire non. Nous comptons sur eux pour les avions et l’équipement militaire. Que devrions-nous faire ? Leur dire non » ?

Si nous acceptons l’idée que les États-Unis n’ont pas un contrôle absolu sur la totalité de leur soutien à Israël, et qu’un défaut de soutien aurait des impacts sur les « démocraties occidentales », un appel du Président pour un cessez-le-feu aurait certainement un effet à la baisse sur les ambitions d’Israël. Cela modifierait la dynamique intuitive de tous et toutes. Mais il est important de maintenir la fiction que les États-Unis sont un observateur passif pour que le mouvement en faveur d’un cessez-le-feu qui s’amplifie se calme un peu.

L’idée qu’en maintenant le soutien public (à sa politique), J. Biden peut travailler « en arrière-plan » à une réduction des retombées douloureuses de la guerre, vient tout de suite après. C’est la trappe idéaliste que les libéraux utilisent pour se sentir mieux, pensant que personne ne peut en apporter la preuve. Cela est du même type que le plan secret du Président Nixon pour gagner la guerre du Vietnam : cette stratégie de diminution du mal infligé aux civils.es est complètement opaque et n’a aucun sens fonctionnel. Personne impliqué dans les affaires palestiniennes ne peut se satisfaire de cette idée tordue d’influence positive supposée, ni les groupes de défense des droits humains, ni les militants.es en faveur de la paix ni les Palestiniens.nes. Aucune organisation palestinienne ne demande que les bombardements continuent à Gaza pendant, qu’en théorie, J. Biden réprimande B. Netanyahu et lui demande de « baisser le ton » en catimini. Plusieurs prétendent que le délai dans le déclenchement de l’invasion était dû au lobby humanitaire super-secret de J. Biden. Mercredi, The New York Times a clairement établi que c’était surtout dû au fait que le Pentagone avait besoin de plus de temps pour se préparer à une guerre régionale. Ce seul fait devrait rendre évident que nous sommes face à une fabulation sophistiquée ; une invention d’organisations partisanes de diffusion de messages pensés pour maintenir le statut-quo et leur permettre de bien dormir la nuit.

2- « Israël a le droit de se défendre »

Ce cliché éculé est une posture pour ceux et celles qui veulent évacuer le décompte grandissant de cadavres palestiniens et les alarmes à propos d’un possible génocide. Il leur évite la tâche d’avoir à justifier en détail leur position. À première vue cela semble anodin, même sensé : il est clair qu’un pays a « le droit de se défendre ». On s’attend à ce que ce truisme soit accepté et que les choses aillent de l’avant.

Mais, un instant ! Que signifie la théorie du droit à sa « défense » pour un pays en regard de ses rapports légaux et politiques avec la population contre laquelle il part en guerre ? Dans l’abstrait, la plupart des gens seraient d’accord avec l’idée que n’importe quel pays a « le droit de se défendre ». Mais Israël est un pouvoir militaire occupant une terre qui, selon la loi internationale, ne lui appartient pas. Ce qui se passe en ce moment à Gaza n’est pas une guerre traditionnelle sous quelque rapport que ce soit. Le pilonnage d’une population civile comme le fait Israël pour « se défendre » ne se défend que sous la logique de punition collective.

Si on accepte cette logique, ce que je ne fais pas c’est sûr, ou si on croit qu’un grand nombre arbitraire de Gazaouis doivent mourir pour racheter l’attaque du Hamas du 7 octobre, il semble qu’Israël ait dépassé ce nombre depuis longtemps. Si quelqu’un.e pense qu’il est acceptable de tuer des civils.es parce que cela permet peut-être de tuer des membres du Hamas aussi, il ou elle devrait nous donner un ratio de morts acceptables : 1 pour 10 ? 1 pour 100 ? 1 pour mille ? Penser que bombarder une population enfermée se justifie par un grand nombre de morts.es israéliens.nes, ce à quoi, soyons clairs, personne ne devrait penser, il est aussi clair que 5,000 morts civiles et plus de 2,000 morts d’enfants devraient suffire en retour.

Personne de réaliste ne pense que le Hamas sera « éradiqué » par cette guerre. Donc, quel en est le but ultime ? Et pour ceux et celles qui le croient, quel plan Israël a-t-il livré pour les amener à croire que cela est possible en tuant des dizaines de milliers de civils ? C’est ce que la représentante démocrate du Minnesota a questionné devant son collègue du Congrès Ritchie Torres, démocrate de New York et pro-Israël la semaine dernière. Elle lui a demandé avec beaucoup d’à-propos combien d’enfants palestiniens,nes devraient mourir pour que ce soit suffisant : « Combien de morts de plus seront assez pour vous ? Un millier, deux milliers, trois milliers ? Combien de morts supplémentaires feraient votre bonheur » ?

C’est une question valide. Pour les libéraux, dire qu’Israël a « le droit » de tuer autant de civils.es qu’il trouve suffisant pour « défaire le Hamas » n’implique-t-il pas une limite maximale quelconque ? Combien d’enfants palestiniens.nes seront éliminés.es avant que le remède ne devienne pire que la maladie ? Ceux et celles qui défendent la campagne de bombardements brutaux devraient s’y mettre ; cela démontrerait à quel point leur logique morale est fondamentalement inadéquate.

3- « Israël va cesser ses bombardements quand le Hamas aura libéré les otages et/ou se sera rendu »

Que peuvent bien signifier ces propos de durs de durs ? Pas clair ! Mais ça sonne indubitablement masculiniste. En réalité ce n’est qu’une justification de la punition collective et c’est sans aucun doute ce dans quoi Israël s’engage. En coupant l’accès à l’eau, à l’alimentation et à l’aide médicale, il s’est engagé dans un cas d’école de la punition collective selon les Nations Unies, Médecins sans frontières et beaucoup d’autres et même selon sa propre admission.

Même si on pense que le Hamas a capturé des otages en vue de les marchander contre la libération d’otages palestiniens.nes, et qu’il ne devrait pas y avoir de cessation des bombardements en « récompense », cela ne justifie en rien la punition collective qui s’abat sur 2 millions 300 mille Palestiniens.nes qui n’ont rien à voir dans la planification, le financement ou l’exécution de l’attaque du 7 octobre. Tout en continuant à prétendre qu’ils se soucient des civils.es, les dirigeants.es israéliens.nes ont conçu leur appel à l’évacuation de masse de plus d’un million de Palestiniens.nes depuis le nord de la bande de Gaza vers le sud, tentant ainsi de diminuer le nombre de morts. Mais les experts.es des droits humains ont affirmé que c’était une tâche impossible puisque le sud et les routes menant au sud sont bombardées et qu’il est impossible aussi de déplacer les malades qui ne peuvent le faire de manière autonome. Loin de décrire cette décision comme un geste humanitaire, Amnistie Internationale insiste pour dire que ce genre d’ordre « peut être un crime de guerre ».

Voilà ce que donne cette posture moraliste. Elle provient de la réalité qu’Israël cherche vengeance contre une population civile ce qui est un crime de guerre selon presque tous les humanitaires et les groupes de défense des droits humains. L’argument qui soutient la punition collective va comme suit : « Je veux qu’elle s’arrête mais quand (des groupes spécifiques) acquiesceront (à des exigences spécifiques) ». C’est un argument en faveur de la famine, des bombardements et de la mort par maladies et la soif de dizaines de centaines de civils.es tant que les combattants.es ne se seront pas rendu.

Exiger du Hamas, une organisation sur laquelle personne en Occident n’a de contrôle, qu’elle livre les otages avant que la tuerie de masse ne se termine, vise à obscurcir ce que nous voulons contrôler. L’usage de la punition collective comme instrument de guerre est soutenu par les leaders occidentaux ce qui inclut le Président des États-Unis.

4- Tout simplement, éviter les demandes primaires et se concentrer sur les exigences humanitaires secondaires et les tertiaires

Aussi bien l’ancien Président Barack Obama, que le Washington Post et le New York Times avec la vaste majorité des Démocrates au Congrès, l’élite libérale se rallie derrière une position rejetant le cessez-le-feu, mais approuvant une « bombe moins funeste ». Cela met l’accent sur quelques variations dans la manière de demander à Israël de « rendre l’accès à l’eau » et à « permettre à l’aide humanitaire de rentrer à Gaza » mais ignore les points centraux, les exigences les plus importantes pour Israël de cesser de tuer des enfants toutes les 15 minutes en les bombardant. Avec une telle position, les libéraux peuvent maintenir une apparence de « grande préoccupation » pour la cause humanitaire tout en se protégeant des mauvaises retombées qu’impliqueraient l’approbation de la demande première du Président et/ou des autres du lobby pro-Israélien, soit de permettre aux forces armées israéliennes de continuer leur politique de déplacement forcé des populations et des bombardements aériens.

Cette position « nuancée » n’est partiellement rien d’autre que celle du « good cop/bad cop » servie habituellement aux audiences occidentales. Elle va comme suit : Israël a des exigences extrêmes, les États-Unis les font passer de 10 à 8.5 et peut ainsi se présenter comme une force humaine progressiste. Mais, encore une fois, la toute première exigence de la société civile palestinienne et des groupes de défense des droits humains en ce moment même, n’est pas la poursuite des bombardements pendant que quelques uns.es puissent recevoir de l’aide et de l’eau. Non, c’est que s’arrête ce qui cause la vaste majorité des morts et du désespoir : les bombes qui tombent du ciel. Mais on ignore cela pour se tourner vers quelques gestes humanitaires à la marge qui seraient mieux que rien. C’est un moyen de mettre de côté les exigences centrales du moment.

Bernie Sanders en a donné une version mercredi soir quand il n’a pas tenu compte d’une lettre signée par presque 300 personnes de son ancienne équipe et bénévoles (lors de la dernière élection présidentielle) qui lui demandaient d’en appeler à un cessez-le-feu de façon urgente. Il a plutôt demandé une « pause humanitaire », une vague demie mesure introduite par la Maison Blanche. Ce n’est pas ce que demandent la société civile palestinienne, OxFam, Amnistie Internationale et les Nations Unies avec la majorité des pays sur terre.

C’est de plus en plus à la mode pour les partisans.es de la « bombe gentille » d’en appeler à un « corridor humanitaire » (pour que les Gazaouis puissent sortir de la bande). Les Palestiniens.nes ont aussi supplié pour cela mais avec une exigence fondamentale : avoir la garantie qu’ils et elles pourront revenir à Gaza quand les opérations militaires seront terminées, et que l’on ne les transformera pas (encore une fois) en réfugiés.es dans un autre pays. Cet élément a été ignoré par Le New York Times, le Washington Post, Barack Obama, la Maison Blanche et la vaste majorité du bloc libéral. Pourtant il s’agit d’un élément essentiel parce que si vous êtes expulsé.e de Palestine pour toujours on ne parle plus de corridor humanitaire mais d’un moyen de procéder au nettoyage ethnique et d’un cas de génocide par à-coup en forçant le transfert d’une population ou en occupant militairement ces populations.

Actuellement, la demande pour un cesser-le-feu est pour ainsi dire universelle parmi les personnes qui n’adhèrent pas à la réponse martiale extrême à l’attaque du 7 octobre. Trop de Palestiniens.nes ont souffert jusqu’à maintenant. Une organisation d’aide estime, qu’en ce moment où vous lisez ces lignes, plus de 800 enfants sont toujours sous les décombres. L’augmentation des preuves d’intention de génocide de la part de dirigeants.es israélien.nes, la possibilité que le Hezbollah, l’Iran et les États-Unis contribuent à élargir cette guerre à toute la région, militent en faveur d’un arrêt des assauts et du siège de Gaza de la part d’Israël ; c’est moralement évident. Il est important que le public ne perde pas de vue la situation et ne soit pas distrait par des tergiversations, de fausses préoccupations, les discours sans logique et par les postures des durs de durs sans cerveaux.

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