Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Élections aux États-Unis : un saut dans l’inconnu

En novembre prochain, les élections aux États-Unis auront lieu. Sauf événement judiciaire peu probable, le match concernera en priorité les deux candidats qui se sont opposés il y a 4 ans  : Trump contre Biden. Il s’agit des plus vieux candidats à l’élection de son histoire, le précédent record établi par les mêmes à la précédente élection.

Revue L’Anticapitaliste n° 156 (mai 2024)

Par Édouard Soulier

Crédit Photo
Scènes du campement de solidarité avec Gaza qui a été rétabli à l’université de Columbia et qui en est à son quatrième jour. © Abad Diraniyeh - Own work, CC0

Les derniers sondages de mai 2024 donnaient 42 % d’intentions de vote pour Trump contre 41 % pour Biden. Mais le système de suffrage censitaire (1) est trompeur car il est nécessaire de gagner certains États-clés pour l’emporter et à ce jour l’avance de Trump est plus importante dans chacun de ceux-ci (Arizona, Pennsylvanie, Géorgie et Michigan). L’incertitude est totale à ce jour sur qui pourra être le vainqueur. Les procès criminels de Trump et les choix politiques de Biden peuvent contribuer à expliquer un climat général particulier mélangeant agitation et apathie politiques. Agitation car l’enjeu politique pourrait être central pour l’avenir de la «  démocratie américaine  », mais également apathie car, à l’exception de la base radicalisée de Trump, il n’y a d’engouement populaire pour aucun des candidats.

Le danger trumpiste contre la passivité Biden

Le programme de Trump fait froid dans le dos  : construction de nouveaux camps de concentration et d’expulsion pour les demandeurs d’asile  ; répression et expulsion des étudiant·es pro-palestinien·nes sur les campus  ; attaques contre la presse  ; licenciement massif des employé·es du gouvernement  ; grâce des golpistes du 6 janvier – semer le chaos dans la gestion impérialiste mondiale.

D’ailleurs, une deuxième édition de Trump fait hésiter même les milieux dirigeants capitalistes américains. La classe dirigeante avait, au moins en apparence, misé sur la rivale de Trump, Nikki Haley, dont les principaux fonds de campagne ont été abondés par l’organisation Americans for Prosperity (2). Nikki Haley est une conservatrice de droite extrêmement réactionnaire mais qui semble plus contrôlable que Trump. Cette perspective (sauf ennui judiciaire) s’est envolée lorsqu’elle a abandonné la course aux primaires (3). En tout cas, Trump a définitivement gagné les Républicains à sa cause et a placé différents membres de sa famille à des postes clés de la direction du parti.

Biden est indéniablement un candidat de la classe dirigeante américaine et il n’a eu de cesse de le montrer en 50 ans de carrière ininterrompue. Suite à l’élection de 2020, l’aile gauche des Démocrates avait proposé le Green New Deal, un plan d’investissement fédéral sur les infrastructures et la transition énergétique. Bien que représentant seulement la moitié du budget militaire, ce plan fut jugé trop important. Par exemple, en Virginie occidentale, où le taux de pauvreté infantile est passé de 20,7 % à 25 % entre 2021 et 2022, son sénateur Démocrate, Joe Manchin, s’y est opposé. Certains aspects furent abandonnés, dont celui pour réduire de moitié la pauvreté des enfants. En dernière instance, les investissements colossaux du «  plan Biden  » ont profité en grande partie aux couches de la population à hauts revenus. Les autres ne voient que très peu, voire pas du tout, de différence dans leur vie quotidienne. Cela dit, les États-Unis ont réussi à contenir l’inflation, comparativement à la zone euro, même si le prix des produits de première nécessité reste bien plus élevé qu’avant, tandis que les hausses de taux d’intérêt, nécessaires pour «  freiner l’inflation  », ont elles-mêmes exacerbé une crise du logement qui touche particulièrement les jeunes et de nombreuses personnes âgées à revenus limités. Les résultats économiques sous Biden sont plutôt bons d’un point de vue capitaliste. Or, c’est précisément dans ce domaine que les sondages montrent une plus grande confiance dans les Républicains.

Nouveaux visages des États-Unis

Selon le recensement (4) de 2020, les «  blancs  » non hispaniques ou latinos représentent désormais 57,8 % de la population des États-Unis, contre 63,7 % en 2010. Le taux de natalité subit une baisse plus forte chez les «  blancs  » que dans les autres groupes ethniques. Ces facteurs objectifs devraient pousser le parti Républicain vers une marginalité permanente. Mais la peur de devenir minoritaire fait des «  non-blancs  », des LGBT et de l’avortement les cibles privilégiées des idéologies suprémacistes, nationalistes et religieuses, qui dominent largement ce parti aujourd’hui.

L’immigration aux États-Unis vient principalement d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et d’Asie, où les États-Unis ont créé une situation invivable depuis les années 1960, par leur politique de libre-échange, leur guerre contre le communisme puis contre la drogue. Les Républicains ne proposent que des murs et des prisons. Les sorties racistes contre les migrants·e, qui n’ont pas cessé depuis des années, sont en constante augmentation depuis le début d’année. Le racisme anti-immigrants est central dans la stratégie des Républicains pour reprendre la Maison Blanche. Mais sur cette question, les Démocrates restent fidèles à la stratégie de sélection des «  bons  » et «  mauvais  » migrants et s’acharnent à essayer de faire passer des lois de consensus avec les Républicains pour «  régler  » ce problème.

Alors qu’il devrait être majoritaire, le vote pour les Démocrates se rétrécit chez les jeunes, les Afro-Américain·es et dans les autres communautés non blanches et immigrées, ainsi que parmi les LGBTIA+. Les Démocrates ont fait trop de promesses et n’ont pas assez apporté de changements réels – en termes de justice raciale, d’allègement de la dette étudiante, de réforme de l’immigration, de lutte contre le changement climatique.

De plus, le soutien traditionnel de Biden à l’État d’Israël n’est plus accepté par la jeunesse étatsunienne. Elle est horrifiée par le génocide en cours en Palestine. L’ampleur de la mobilisation en cours sur les campus universitaires nord-américains ne s’était pas vue depuis la guerre du Vietnam. Même la jeunesse juive nord-américaine (traditionnellement Démocrate) est moins attachée au sionisme et est moins encline à justifier les crimes contre l’humanité au nom d’un foyer national Juif. Ajoutons qu’en 2020, le vote des communautés arabo-américaines et palestiniennes a été l’une des clés du succès Démocrate. L’une des plus importantes communautés se trouve dans le Michigan qui est un État crucial pour la victoire en novembre. Même s’il est trop tôt pour voir s’il y aura réellement un impact en termes de votes, il semble que la direction du parti Démocrate a délibérément choisi d’ignorer cet électorat. Notons que l’association American Israel Public Affairs Committee soutient systématiquement les candidat·es les plus engagé·es en faveur d’Israël et finance des concurrents face aux figures pro-palestiniennes comme Rashida Tlaib, Cori Bush et Ilhan Omar lors des primaires Démocrates.

Un autre cheval de bataille pour la droite et le parti Républicain est leur volonté d’en finir avec le droit à l’avortement aux États-Unis, après leur victoire à la Cour Suprême (5). Dès que celui-ci est soumis aux votes, par des référendums locaux, il l’emporte de manière décisive mais cela n’empêche pas d’autres États conservateurs de continuer à durcir son interdiction. Sur cette question, une grande partie de l’électorat se rangera du côté des Démocrates. Même si cette croisade est perdue d’avance, la détermination des Républicains pourrait, de justesse, préserver la présidence Démocrates.

Une autre politique est nécessaire

La mobilisation des électeurs doit advenir mais pas celle pour des élections, celle pour une lutte politique différente. Les points d’appui existent pour développer cette alternative. Tout d’abord le renouveau du militantisme ouvrier, qui a abouti à des contrats syndicaux avec des gains importants pour les travailleurs de l’automobile, ou chez UPS, et à des avancées dans l’organisation d’entreprises telles que Tesla et Amazon. La vague de créations de nouvelles sections syndicales en est aussi un signe. Deuxièmement, le combat continue contre l’extrémisme anti-avortement du parti Républicain. En outre, dans plusieurs États du Sud, on remarque des luttes contre les interdictions de livres ou des mesures de contrôle électoral comme au temps de la ségrégation. Enfin, la force et la détermination du mouvement pour la Palestine peuvent succiter un mouvement de résistance plus large.

Pour l’instant ces mouvements n’ont pas trouvé de traduction politique et n’ont pas encore pesé fortement sur la dynamique au niveau de la politique électorale nationale. Mais la lutte des classes est active. Il faut juste qu’elle soit suffisamment résistante et structurée pour affronter l’inconnu de ces prochaines élections.

Notes

1. Aux États-Unis, chaque État désigne des grands-électeurs, qui sont tou·tes en faveur du candidat arrivé en tête dans l’État (sauf dans deux États où ils sont répartis à la proportionnelle). C’est ce collège électoral qui désigne le président. Ainsi, un·e président·e peut être élu·e alors qu’il a moins de voix nationalement que son concurrent.
2. American for prosperity (AfP) est un groupe financé par les frères Koch, propriétaires d’un conglomérat pétrochimique, commercial et financier. Fondé en 2004, il est considéré comme le lobby le plus influent pour les élections aux États-Unis, tant au niveau national qu’au niveau local.
3. Les deux grands partis organisent des élections primaires dans chaque État pour désigner le candidat à la Maison-Blanche, où ne votent que les adhérents de chaque parti.
4. Les Échos, «  L’Amérique de 2020, moins blanche et plus métissée  » publié le 13 août 2021.
5. En 1973, la Cour Suprême empêche la criminalisation de l’avortement dans tous les États-Unis (arrêt Roe v. Wade), ce qui le rend légal sur tout le territoire. En 2022, la Cour Suprême infirme sa décision de 1973 (arrêt Dobbs v. Jackson), autorisant chaque État à criminaliser à nouveau l’avortement.
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