Or il faut le rappeler, cette impression d’avoir quelque part été floué par ces élections, provient d’abord des formidables distorsions nées du scrutin uninominal à un tour ainsi que de la sur-médiatisation des débats qui a conduit à transformer cette campagne électorale en « politique spectacle » et finalement en un psychodrame (fabriqué artificiellement autour de la peur d’un référendum) face auquel plus aucun argument de type rationnel ne semblait pouvoir compter. Impossible de ne pas avoir dans la tête le slogan de mai 68 : « élections pièges à cons », et impossible de ne pas penser à des transformations structurelles de fond (scrutin proportionnel et à date fixe, présence d’un pouvoir médiatique ré-équilibrant, instauration de mécanismes de démocratie participative, etc.) pour redonner à la démocratie représentative quelques lettres de noblesse et ne pas la réduire à un simple cirque électoral !
Quelque chose d’historique
Mais une fois cette dimension « distorsionnante » mise de côté, et une fois qu’on en reste aux chiffres eux-mêmes, on s’aperçoit que dans la réalité la prétendue glissade vers le PLQ n’est que très relative (10% de vote de plus) et qu’elle provient beaucoup plus d’un affaissement du PQ et d’un maintien en l’état de la CAQ, que d’une volonté positive de l’électorat de choisir massivement un parti comme le PLQ. Il n’en demeure pas moins qu’on se retrouve globalement devant une victoire très nette des forces de droite, mais une victoire qui provient moins d’une percée de celles-ci que d’une défaite du PQ, et au-delà d’une crise très profonde du projet politique qu’incarnait ce parti depuis près de 40 ans.
C’est en ce sens que cette élection a quelque chose d’historique et qu’elle fera date pour les souverainistes québécois : elle montre comment il faut parfois passer par des changements douloureux pour que puisse se donner la possibilité de véritables renouvellements. Il y a donc des passages obligés –et c’est ce que nous vivons aujourd’hui— qui ne sont pas toujours très faciles à vivre dans l’ici et maintenant, mais qui sont à leur manière garants et annonciateurs d’avenir. Car ce n’est qu’à la condition que meurt l’actuel projet politique du PQ ainsi que toutes les illusions qui l’accompagnent, que Québec Solidaire pourra prendre la place qui lui revient et participer de manière déterminante à un véritable renouvellement du mouvement indépendantiste.
La modification d’un projet de fond
On peut s’entendre, comme beaucoup d’observateurs l’ont souligné, qu’en fait le PQ n’a récolté que ce qu’il méritait. Il a commis sous la gouverne de Pauline Marois, tellement de bourdes et maladresses, qu’il n’est pas étonnant qu’il ait perdu le pouvoir. Mais au-delà de ces malencontreux faux pas, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant telle ou telle erreur tactique du PQ (parler du référendum par exemple), que la modification en profondeur de son projet initial : avec d’une part son virage néolibéral (puis pétrolier) et son lôt de politiques d’autérité assumées ouvertement, et d’autre part son virage identitaire avec sa fameuse charte et la remise aux calendes grecques d’un quelconque référendum. D’où ses politiques de plus en plus schizophréniques soufflant en même temps le chaud et le froid de manière de plus en plus erratique, expression d’une véritable perte de repères.
Il reste que sans aller jusqu’à dire que le PQ est désormais « aux soins palliatifs », on peut néanmoins affirmer qu’il va selon toute probabilité –dans l’ombre de PKP— continuer son virage vers la droite et d’autre part continuer à s’égraîner sur sa gauche, offrant ainsi des espaces intéressants pour la croissance de QS. En sachant cependant que le projet du PQ était un projet collectif porté par une génération entière qui a aujourd’hui sur le tard, toutes les difficultés du monde à faire la distinction entre le projet émancipateur de sa jeunesse et ce qu’il est devenu en 2014 au fil de toutes ces transformations menées sous la gouverne péquiste.
Du coté de QS
Évidemment, au-delà du fait qu’on a gagné, en termes de pourcentage, un point de plus ainsi qu’en termes de députation, une représentante de plus (Manon Massé) ; et au-delà du fait qu’indéniablement QS a su marquer de sa présence la campagne électorale, tranchant très clairement vis-à-vis des 3 autres partis, on peut s’entendre pour dire que les résultats ne n’ont pas été à la hauteur de attentes et surtout de efforts jetés dans la balance. Pensez par exemple aux interventions si remarquées de Françoise David lors des 2 débats des chefs et au fait que globalement la campagne de QS a été très bien menée sans erreurs de parcours.
D’où ce sentiment d’ambivalence qui habite tant d’entre nous, que l’on ne pourra combattre qu’en mettant en lumière les défis et les responsabilités qui découlent de cette nouvelle situation. J’en vois pour l’instant trois en particulier :
La question du parti des urnes et de la rue
Si l’on veut, face à l’hégémonie néolibérale actuelle si écrasante, reconstruire une contre hégémonie de gauche, il faut bien évidemment être capable de mieux rallier les mouvements sociaux (syndical, populaire, étudiant, écologiste, féministe, etc.) autour d’un projet politique commun capable de stopper le bulldozer néolibéral. Impossible donc de ne marcher que sur la patte de la lutte électorale. Tout un travail plus en profondeur devrait donc être mené aussi auprès des mouvements sociaux, en étant donc comme on dit, encore plus « dans la rue ». Au moins se donner les moyens de rallier nos alliés naturels, et d’abord le mouvements syndical qui traîne tant encore la patte à ce sujet.
La question de l’indépendance
C’est devenu dans le contexte actuel une question décisive. Et faire le choix de la souveraineté et de l’indépendance à l’époque de la mondialisation néolibérale oblige à penser et à expliciter la nécessité de l’indépendance dans des termes différents de ceux des années 60/70. En fait il s’agit de prendre à ce niveau, au sens profond du terme, le relais du PQ, en se donnant les moyens, non seulement de tirer les leçons de ses erreurs passées(les échecs référendaires), mais aussi d’actualiser le projet d’indépendance du Québec en fonction des nouvelles donnes contemporaines. Nous avons commencé à le faire avec la constituante, mais il reste beaucoup de clarifications à apporter à ce niveau et beaucoup de travail à faire pour penser la souveraineté à travers de nouvelles alliances et sans qu’elle paraisse équivaloir à un seul désir de séparation et de repli régionaliste ou identitaire.
La questions de l’angélisme
Nos propositions économiques, illustrées dans la campagne par notre lutte écologique contre le virage pétrolier, ont été –en dépit de leur dimensions très réalistes en termes comptables— rejetées du revers de la main par nombre de chroniqueurs, le tout au nom d’un soit-disant angélisme qui nous caractériserait. Nous serions des utopistes. Or si l’on veut acquérir plus de crédibilité à cet égard sans que pour autant ne soit perdu le caractère radical de nos propositions, il nous revient peut-être de présenter plus notre projet comme étant l’expression d’une force collective, d’une force qui fasse « communauté » (le 99%) et qui se retrouve devant de mêmes intérêts à défendre, prête pour y arriver, à s’en prendre avec audace aux privilèges des nantis (le 1%). Autrement dit, il nous revient de faire plus ressortir cette notion de « camp » chaque fois plus déterminé que nous voulons construire, auquel nous appartenons et dont nous aspirons à être le porte-parole privilégié.
N’est-ce pas ainsi, en renforçant notre dimension de « parti des urnes et de la rue », en peaufinant notre conception de l’indépendance, et en apparaissant comme une force collective de plus en plus déterminée, que nous pourrons —au fil de ces 4 ans de gouvernement libéral— gagner du terrain sur nos adversaires, et le faire sans pour autant réduire la portée même de notre projet ?
Pierre Mouterde
Sociologue essayiste