Édition du 17 décembre 2024

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Syndicalisme

Élection générale au Québec (2022) et préparation des négociations dans les secteurs public et parapublic : Qui vit sur Mars ?


Nous sommes officiellement en élection générale au Québec et ce depuis dimanche le 28 août. Deux jours plus tard, le premier ministre François Legault, qui est également le chef de la CAQ, y allait d’au moins deux promesses milliardaires.

Il nous a prévenus que d’autres promesses allaient suivre au cours des prochaines semaines. La leader du Parti libéral du Québec, madame Dominique Anglade, y est allée elle aussi d’engagements rivalisant avec celles de son adversaire. Elle accuse d’ailleurs monsieur Legault de la plagier. Les deux principaux partis politiques, qui détenaient le plus grand nombre de députéEs à l’Assemblée nationale au moment de sa dissolution, considèrent que les finances publiques sont plutôt saines et qu’avant d’améliorer les conditions salariales des employéEs syndiquées de l’État il faut en remettre dans les poches des électrices et des électeurs.

Est-il nécessaire de rappeler que les problèmes que nous avons à affronter collectivement en ce moment sont nombreux et ont pour nom la crise écologique, la crise du logement, l’endettement étudiant, l’inflation, la vie chère pour les gagne-petit, la pénurie de la main-d’œuvre dans les secteurs public et parapublic, etc.. Pour venir à bout de ces problèmes la Coalition avenir Québec et le Parti libéral du Québec nous promettent… des baisses d’impôt.

Le poids de la rémunération des employéEs syndiquéEs dans les dépenses de programmes en régression depuis vingt ans

C’est à la fin du mois d’août que les dirigeantEs du front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ lançaient auprès de leurs membres leur campagne de consultation des revendications pour la ronde à venir dans les secteurs public et parapublic. Nous le savons, depuis au moins la ronde de 1971-1972, le gouvernement prétend toujours qu’il faut éviter les « demandes syndicales irréalistes » et « qu’il n’a pas les moyens de mieux rémunérer ses employéEs syndiquéEs ». Un regard au tableau qui suit - tableau régulièrement mis à jour par l’équipe des économistes de la CSQ - nous révèle ceci : le poids de la masse salariale des employéEs syndiquéEs dans les dépenses de programmes du gouvernement est en régression depuis au moins les vingt dernières années.

En effet, de 2003-2004 à 2022-2023, le pourcentage est passé de 46,1% à 40,0%. Et on se demande, dans certains milieux, comment se fait-il qu’il manque plus de 11 000 personnes dans le réseau de la santé et qu’il y a 4 000 personnes non qualifiées pour enseigner à l’élémentaire et au secondaire. Qui veut travailler dans un milieu de travail où la gestion de la main-d’œuvre se fait à la petite semaine et où les conditions de travail et d’exercice de la pratique ne cessent de se dégrader ? Pas étonnant que les réseaux de la santé et de l’éducation soient de moins en moins attirants pour la relève et que la longueur des carrières soit en régression.

2003-2004 2014-2015 2018-2019 2022-2023

Masse salariale totale 25,8 38,84 44,88 55,62

Médecins 3,1 7,37 8,58 8,84

Cadres* 2,2 3,15 3,38 4,26

Employés des services
publics 20 28,31 32,92 42,52

Dépenses de
programmes 43,4 65,7 76,4 106,4

MS totale / dépenses
de programmes 59,5% 59,1% 58,8% 52,3%

MS médecins / dépenses
de programmes 8,0% 11,2% 11,2% 8,3%

MS cadres / dépenses
de programmes 5,1% 4,8% 4,4% 4,0%

MS employés du public /
dépenses de programmes 46,1% 43,1% 43,1% 40,0%

Source : Secrétariat du Conseil du trésor, Budget des dépenses 2022-2023, Plan de gestion des dépenses et renseignements supplémentaires, tableau page 100.

* Estimation à partir de données complémentaires du Conseil du trésor.

Les prévisions du ministre des Finances pour les trois prochaines années

Après les quarante années de gestion néolibérales (de 1982 à aujourd’hui), après les années d’austérité libérale, sous la direction de Philippe Couillard, il faut dire que les finances publiques du gouvernement du Québec se sont véritablement redressées. Les faibles hausses salariales pour les employéEs syndiquéEs expliquent, en partie, le renversement de tendance observée dans les finances de l’État. On pourrait s’attendre, dans ces circonstances, à un authentique signe de reconnaissance de la part du gouvernement à l’endroit de ses serviteurs, qui sont à environ 75% des femmes.

Dans les données prévisionnelles soumises par le ministre des Finances au bureau du Vérificateur général du Québec, il est question d’une progression des dépenses de portefeuille d’environ 9% pour la période allant de 2021-2011 à 2024-2025 (p. 45). Au sujet des négociations à venir dans les secteurs public et parapublic, la vérificatrice précise ceci : «  La majorité des conventions collectives des employés de l’État et d’autres ententes quant à la rémunération (exemples : médecins, garderies) viennent à échéance le 31 mars 2023. Les prévisions pour 2023-2024 et 2024-2025 tiennent compte notamment de l’historique de l’augmentation des dépenses de rémunération et de l’inflation prévue lorsque les conventions collectives seront échues. » (page 46).

https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-preelectoral/186/22_RPE_web.pdf. Consulté le 4 septembre 2022.

À quoi peut-on s’attendre pour la prochaine ronde de négociation ?

On se rappellera que lors de la négociation de la ronde 2020-2023, avant même que les organisations syndicales aient amorcé la consultation de leurs membres, le nouveau premier ministre en poste à cette époque, François Legault, annonçait que les employéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic ne devaient pas s’attendre à une augmentation supérieure « à l’inflation ». Quand il est question d’augmentation salariale dans les secteurs public et parapublic égale à l’inflation, cela n’a jamais voulu dire, plus que 2% d’augmentation annuelle.

Voilà pourquoi de 2002 à 2022, les augmentations paramétriques pour les employéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic ont été de l’ordre de 0%, 1,0%, 1,50%, 1,75% ou maximum 2,0%. Et pendant ce temps, le pourcentage de la masse salariale du personnel syndiqué dans les dépenses de programmes du gouvernement n’a cessé de régresser. Donc, à quoi peut-on s’attendre comme offre du gouvernement à l’endroit de ses salariéEs syndiquéEs pour les années 2023 à 2025 ? Pour le moment à quelque chose qui n’irait pas au-delà « de l’historique de l’augmentation des dépenses de rémunération et de l’inflation prévue lorsque les conventions collectives seront échues. » Tout cela est dit, nous en convenons, en des termes assez nébuleux, mais juste assez précis pour comprendre qu’il y aura encore une fois un important écart milliardaire entre les demandes syndicales et les offres gouvernementales.

Conclusion

En écoutant les nouvelles à la radio et en lisant les journaux cette semaine l’auteur des présentes lignes s’est demandé ceci : « Qui donc vit sur Mars ? » Les salariéEs syndiquéEs qui demandent leur dû ou les politiciennes et les politiciens qui nous promettent plus de services accompagnés d’une substantielle baisse d’impôt de plusieurs milliards de dollars ? Poser la question, c’est y répondre.

Yvan Perrier

4 septembre 2022

Midi

yvan_perrier@hotmail.com

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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