À 14h, ils ont rejoint leurs collègues encore en fonction qui les soutiennent par solidarité. De plus en plus nombreux, ils crient des slogans hostiles à l’armée : « A bas le règne des militaires : notre organisme n’est pas un camp ! » ou contre le président de l’Organisme : « A bas Ahmad Refaat ! »
Les fonctionnaires de l’Organisme des impôts se placent en miroir de l’administration publique, avec toutes ses injustices et sa mauvaise gestion. Leurs protestations, entamées il y a quelques mois, n’affichent pourtant aucune demande de hausse de salaires. Ils revendiquent la purge de leur institution et s’opposent à la corruption qui la mine.
Leur cas est, en effet, révélateur : l’épouse de Sami Anan, le numéro 2 du Conseil militaire, Mounira Al-Qadi Radi, est présidente du secteur des zones fiscales au sein de l’Organisme. A l’âge de 63 ans, elle occupe toujours son poste alors que l’âge maximal est de 60 ans. Pour les employés, pas de doute : c’est à la position de son mari qu’elle doit d’être toujours en fonction. « Stopper la corruption ! » ou « L’Organisme ne doit être géré ni par des militaires, ni par des corrompus ! », des slogans répétés sans cesse par les protestataires.
Les demandes des employés concernent la démission du président de l’Organisme et de ses conseillers qui touchent des salaires importants sans exercer de fonctions claires précises. Par ailleurs, beaucoup ont dépassé l’âge de la retraite. « Tant que des responsables corrompus resteront à leur poste, nos conditions de travail ne s’amélioreront pas. Nous sommes convaincus que le jour où ils s’en iront, tout ira mieux », lance Amr Ramadan, membre du conseil d’administration du syndicat indépendant des employés des impôts, l’un des 500 syndicats indépendants créés après la révolution.
Le lendemain de la révolution, les demandes concernaient surtout une hausse des salaires. Mais dernièrement, c’est la lutte contre la corruption qui prend le dessus. « Il est à noter que de plus en plus de mouvements s’attaquent à la question de la corruption. Les gens croient qu’il n’y aura pas de solution tant que des personnes corrompues géreront les institutions et que les employés n’auront pas leur mot à dire dans le monde d’administration », estime Hicham Fouad, de l’ONG Enfants de la terre, qui publie un bulletin mensuel sur le mouvement ouvrier.
Suspension de 51 employés
Le 21 mars, une manifestation spectaculaire a regroupé 5000 fonctionnaires. Elle s’est soldée par la suspension de 51 employés. La décision a été prise par le président de l’Organisme et appuyée par le Conseil militaire.
« C’est une première : les employés de l’administration publique étaient toujours protégés par la loi. Par contre, de telles mesures sont communes dans le secteur privé », relate Fatma Ramadan, coordinatrice du comité de solidarité avec la grève.
Elle estime que le gouvernement utilise davantage la force pour disperser les protestations ouvrières ou celles de revendications salariales. Elle donne l’exemple du sit-in des ouvriers du port d’Al-Sokhna, géré par Dubaï World. Celui-ci a été interrompu par la force et 5 employés ont été incarcérés. Les ouvriers de Sumid (Arab Petroleum Pipelines Co.) ont également été détenus pendant plus de 15 jours pour les mêmes raisons.
L’Union des syndicats indépendants, qui a été à un certain moment soutenue par le premier gouvernement post-révolution à travers Ahmad Al-Boraï, ex-ministre de la Main-d’œuvre, ne trouve plus aucun soutien officiel. Le projet de loi sur les libertés syndicales, approuvé par le gouvernement en mars 2011, n’a toujours pas vu le jour.
« Les responsables font tout pour nous empêcher d’enregistrer les syndicats indépendants. En revanche, ils soutiennent l’ancienne union. Ils insistent à prélever les cotisations des ouvriers pour l’ancienne union sur leurs salaires, même si ceux-ci ont formé un syndicat indépendant », affirme Fatma Ramadan. Des faits que confirment de nombreux employés.
Mais face au blocage des autorités, les mouvements de protestations ne fléchissent pas. Plusieurs observateurs notent un fort accroissement du nombre d’actes de protestations depuis plusieurs mois. Le dernier rapport des Enfants de la terre a recensé, en février, 92 mouvements de protestations ouvrières.
Manifester et protester est devenu un acte quasi quotidien après la révolution pour des centaines de milliers d’employés : les chauffeurs d’ambulances, les médecins, les professeurs des écoles et des universités, les employés du transport public… tous souhaitent un profond changement de leur administration et de leurs conditions de travail.
Certains groupes ont, malgré tout, réussi à voir leurs demandes réalisées. Il y a quelques jours, le Parlement a approuvé une loi facilitant l’embauche de fonctionnaires jusqu’alors privés de contrats.
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Cet article a été publié dans Al-Ahram Hebdo, 18-24 avril 2012