Édition du 19 novembre 2024

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La révolution arabe

Soulèvements populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, dix ans après Ce n’est que le début

 Les processus révolutionnaires de la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN) sont le résultat de la confluence et du renforcement mutuel de différentes insatisfactions, luttes et mobilisations populaires. Ces batailles sont étroitement liées entre elles. Nous devons comprendre les soulèvements populaires régionaux comme un processus révolutionnaire prolongé ou à long terme, qui permet de combiner la nature révolutionnaire des situations actuelles et le chemin encore à parcourir pour réaliser leurs objectifs démocratiques et sociaux.

Solidarités Suisse
28 janvier 2021

Par Joseph Daher

« Les révolutions sont les locomotives de l’histoire » disait Karl Marx (La lutte des classes en France).

Les racines du processus révolutionnaire

Ces soulèvements sont enracinés d’un côté dans le despotisme et l’autoritarisme, et de l’autre dans le blocage du développement des forces productives en raison des rapports de production. Les causes profondes de la situation économique sont enracinées dans le mode de production capitaliste dominant dans la région du MOAN, un capitalisme aventureux, spéculatif et commercial caractérisé par une recherche de profits à court terme.

L’économie de la région est trop concentrée sur l’extraction de pétrole et de gaz naturel, le sous-­développement des secteurs productifs, le surdéveloppement des secteurs de services et alimentant diverses formes d’investissements spéculatifs, en particulier dans l’immobilier.

Du fait de la nature patrimoniale de ces États, les centres de pouvoir (politique, militaire et économique) sont concentrés dans une famille et sa clique. Ainsi, se développe un capitalisme de copinage, dominé par une bourgeoisie d’État. Dans le cas de l’Égypte, de la Tunisie, de l’Algérie et du Soudan, les systèmes politiques étaient proches d’une forme de néopatrimonialisme : un système républicain institutionnalisé autoritaire avec une plus ou moins grande autonomie de l’État vis-à-vis des dirigeants, susceptibles d’être remplacés.

Chaque pays a ses spécificités, mais tous souffrent de symptômes similaires. Ces économies sont caractérisées par une polarisation dans des secteurs limités, des taux d’emploi très bas associés à des taux extrêmement élevés d’émigration de la main d’œuvre qualifiée. Dans le cas des monarchies du Golfe, la majorité de la population active est composée de travailleur·euse·s migrant·e·s temporaires, privé·e·s des droits politiques et civils.

Le manque de développement économique et l’appauvrissement de larges secteurs de la société ont provoqué une augmentation des protestations sociales et ouvrières au cours des années précédant le déclenchement des soulèvements populaires dans divers pays.

Diverses offensives contre-révolutionnaires

Comparable en cela à la Révolution russe de 1917, l’éruption des soulèvements populaires dans le MOAN a constitué une menace mondiale pour tous les acteurs locaux, régionaux et internationaux, notamment en raison de l’importance des ressources énergétiques telles que le pétrole et le gaz en leur sein.

Ainsi, après une brève période de confusion, les régimes dictatoriaux, les puissances régionales et impérialistes ont réagi à ces soulèvements soudains, rapides et de masse.

Les régimes autoritaires et despotiques de la région du MOAN ont généralement fait preuve d’une brutalité sévère dans la répression des mouvements de protestation, en tuant et en emprisonnant massivement des manifestant·e·s. Ils ont souvent été aidés par des acteur·ice·s régionaux·ales et impérialistes dans leurs actions, que ce soit de manière politique, économique et/ou militaire.

Dans le même temps, les mouvements fondamentalistes islamiques, soutenus par les puissances régionales ont tenté de détourner ou de réprimer les mouvements sociaux démocratiques.

L’affaiblissement relatif de la puissance et de l’influence étasunienne dans cette région avant 2011 en raison de l’échec de l’occupation de l’Irak et de la crise financière mondiale de 2008 a laissé plus d’espaces politiques non seulement aux autres forces internationales comme la Russie (la Chine à un moindre degré), mais surtout aux États régionaux. Ces derniers ont pu jouer un rôle croissant.

Dans ce contexte, différentes alliances d’États régionaux et internationaux se sont établies pour tenter de mettre fin aux soulèvements : l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis sont intervenus militairement à Bahreïn avec le soutien des États-Unis et ont lancé une guerre contre le Yémen (tous deux avec le soutien initial du Qatar), tandis que l’Iran et la Russie sont intervenus en Syrie. Téhéran et ses forces politiques alliées en Irak et au Liban se sont également opposés aux mouvements de protestation dans ces pays et n’ont pas hésité à réprimer les manifestant·e·s. Outre ces deux axes, le rôle de la Turquie, politiquement soutenue par son allié le Qatar, a également été déterminant en soutenant le mouvement des Frères Musulmans et autres mouvements fondamentalistes islamiques, et en intervenant de plus en plus fréquemment en Syrie dans les régions dominées par le PYD, la branche syrienne du PKK, dans la poursuite de sa guerre contre l’autodétermination kurde.

Les relations d’interdépendance sont de plus très présentes. Le dernier exemple est le début de la réconciliation entre le Qatar d’un côté et l’Arabie Saoudite (et, dans une moindre mesure les Émirats Arabes Unis) de l’autre. Cela pourrait potentiellement ouvrir la voie à un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et la Turquie dans un avenir proche.

L’intervention des puissances régionales et impérialistes reflète une volonté profonde d’écraser ces révolutions de masse et d’empêcher leur diffusion. Elles sont conscientes que leur succès sapera les fondements de leur hégémonie et/ou de leurs pouvoirs.

Cette offensive contre-révolutionnaire a également donné lieu à une intensification des attaques contre les Palestinien·ne·s. L’impérialisme étasunien, sous la présidence de Donald Trump, a fortement soutenu (bien plus que les administrations précédentes) l’apartheid et l’État colonial d’Israël. De plus, les processus de normalisation officielle entre Israël et ses alliés réactionnaires dans la région, en particulier les monarchies du Golfe, ont pour objectif d’isoler encore davantage la question palestinienne. Cela renforce également l’alliance régionale d’opposition à l’Iran soutenue par les États-Unis. Le gouvernement étasunien du nouveau président Biden continuera très probablement sur la même voie.

Les mouvements de protestation ont dû faire face à divers acteurs contre-révolutionnaires peu disposés à voir s’imposer des changements démocratiques et socio-économiques radicaux. Dans cette perspective, il est important de comprendre qu’une contre-­révolution ne consiste pas à un simple retour à la situation initiale. Elle est pire à bien des égards, que ce soit en termes d’approfondissement de l’autoritarisme et des politiques répressives, mais aussi des politiques néolibérales.

Défi de la gauche : construire un instrument politique pour résister

Le soulèvement de masse a révélé l’extrême faiblesse de la gauche radicale et de la classe ouvrière organisée. Celle-ci a été incapable d’intervenir en tant que force politique centrale parmi les classes populaires et de participer à leur auto-organisation pour répondre à leurs revendications économiques et politiques.

Les seules exceptions à cette situation se situaient en Tunisie et au Soudan. Dans les deux pays, la présence d’organisations syndicales de masse telles que l’UGTT tunisien et les associations professionnelles soudanaises a été un élément clé. Elles ont réussi à rassembler les masses en lutte. De même, dans les deux pays, les organisations féministes de masse ont joué un rôle particulièrement important dans la promotion des droits des femmes et la lutte pour les droits démocratiques et socio-économiques, bien que ces derniers restent fragiles et pas complètement consolidés. Dans les deux cas, des limites existent néanmoins. L’une des principales est l’orientation politique de leurs dirigeant·e·s. Ces derniers·ères recherchent souvent une forme de collaboration et d’entente avec les élites dirigeantes.

Cependant, la majorité des autres pays de la région n’avaient pas en leur sein ce type de forces organisées en place ou le même niveau d’organisations de masse. La mise en place de ces outils sera pourtant essentielle pour les luttes futures. La gauche doit jouer un rôle central dans la construction et le développement de larges structures politiques alternatives.

Parallèlement à cette nécessité, la gauche doit également développer une stratégie politique qui ne cherche pas uniquement une révolution politique comme horizon, mais une révolution sociale dans laquelle les structures de la société et les modes de production soient radicalement modifiés

Dans cette perspective, il est important de développer un projet de classe indépendant promouvant et défendant les droits démocratiques et socio-économiques. Depuis 2011, de larges secteurs de la gauche ont malheureusement collaboré avec des acteurs contre-révolutionnaires, des régimes autoritaires et des acteurs fondamentalistes islamiques.

Au lieu de se tourner vers l’une ou l’autre de ces deux forces, la gauche doit se concentrer sur la construction d’un front indépendant, démocratique et progressiste qui tente d’aider à l’auto-organisation des travailleur·euse·s et des opprimé·e·s.

Le processus révolutionnaire du MOAN fait partie intégrante de la résistance populaire mondiale contre l’ordre néolibéral et autoritaire. Cependant, personne ne peut s’attendre à un chemin aisé dans un processus révolutionnaire  ; historiquement, cela n’a jamais été le cas. Les processus révolutionnaires sont des événements à long terme, caractérisés par des moments de mobilisation importants et d’autres plus faibles selon le contexte.

Cela dit, le rôle de la gauche et des progressistes est parfaitement clair : construire une alternative sociale et démocratique inclusive et lutter contre tous les acteurs contre-révolutionnaires, qu’ils soient locaux, régionaux et internationaux

Nous ne sommes pas à la fin des soulèvements de la région du MOAN. Ce n’est que le début…

Joseph Daher

Joseph Daher

Militant révolutionnaire syrien résidant actuellement en Suisse

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