Répression contre les artistes, les journalistes et toutes les voix indépendantes
Selon le Comité pour la protection des journalistes (Cpj), 23 journalistes se trouvaient derrière les barreaux en Égypte en 2015 (pour le Syndicat égyptien des journalistes le chiffre est de 32). Selon le Cpj, l’Égypte est au deuxième rang mondial, derrière la Chine, pour le nombre de journalistes incarcérés. Par habitant, l’Égypte est même en première position : 49 journalistes dans les prisons chinoises pour une population de 1, 357 milliards, et 23 journalistes égyptiens incarcérés pour une population de 90 millions.
L’Égypte connaît une vague sans précédent de répression à l’encontre de manifestations indépendantes, artistiques et culturelles, avec des descentes des forces de sécurité qui ont imposé notamment la fermeture du Collectif de l’Image Contemporaine en novembre 2015, ainsi que de la Townhouse Gallery, Théâtre Rawabet, et de la maison d’édition Merit en décembre 2015. Le même mois, le téléprédicateur Islam al-Beheiry a été condamné à un an d’emprisonnement pour avoir diffamé la religion islamique alors qu’il plaidait pour une interprétation plus progressiste de l’Islam.
La répression ne vise pas uniquement des personnes soupçonnées de terrorisme et des islamistes militants, mais aussi et dans une très large mesure des libéraux et des révolutionnaires. Parmi ceux-ci on compte Ahmed Douma, la défenseure des droits de la femme Hend al-Nafea, et 228 autres qui ont reçu des peines d’emprisonnement à vie pour avoir participé en décembre 2011 à des manifestations de protestation pacifiques. Par ailleurs, des milliers de manifestants pacifiques subissent de longues périodes de détention en attendant leur procès. Alors que le militant révolutionnaire Alaa Abdelfattah purge (comme beaucoup d’autres) une peine de prison de cinq ans pour avoir participé à une manifestation pacifique, deux policiers ont été condamnés à une peine identique pour avoir torturé à mort un avocat en détention.
A l’approche du 5e anniversaire du 25 janvier, le gouvernement a lancé une répression sans précédent sur la jeunesse séculaire, y compris en bloquant le service gratuit d’accès à Facebook, internet.org, ainsi que des vagues massives d’arrestation. D’après une source au Directorat de sécurité du Caire, datant du 18 janvier 2016, la police a conduit un raid sur 5 000 appartements dans le centre du Caire
C’est au cours des deux dernières années, et depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelfattah Al Sissi, que l’Égypte a connu la répression la plus massive à l‘encontre de personnes Lgbti.
Dans plusieurs villes la police a effectué des descentes dans des cafés, et arrêté des clients et d’autres individus dans les espaces publics pour avoir transgressé le jeûne musulman du Ramadan, faisant naître des préoccupations concernant l’avenir des libertés personnelles en Égypte.
Alors que le discours officiel sur les femmes et les droits des Coptes a connu une amélioration, aucune action tangible n’a encore été perçue sur le terrain.
De nombreuses Ong de défense des droits humains indépendantes font l’objet d’enquêtes en lien avec leurs activités. En outre, au cours de l’année passée, au moins 32 militants politiques et représentants de la société civile se sont vus confisquer leur passeport par des agents de la sécurité des aéroports.
Démocratie
Les élections législatives qui se sont tenues en Égypte en 2015 ont été marquées par « un manque de véritable compétition et de débats contradictoires, et une apathie générale se traduisant par une faible participation ; en outre le système électoral, biaisé n’a pas été en mesure de donner naissance à un parlement représentatif ». Les élections « ont souffert d’un manque de transparence, avec des obstacles au travail des observateurs nationaux et internationaux ».
En décembre 2015, le ministre de l’Enseignement supérieur a fait annuler les élections au Conseil des universités de la Fédération des syndicats étudiants, où avaient été élus des candidats indépendants non affiliés aux Frères musulmans, au détriment de candidats soutenus par le gouvernement.
Emprisonnement et torture
En quatre mois seulement (entre août et novembre 2015), au moins 340 cas non élucidés de disparition forcée ont été documentés, avec une moyenne de trois cas par jour. Le Conseil national des Droits de l’Homme (Nchr), organisme quasi gouvernemental, a confirmé qu’il travaillait sur des cas de disparition forcée.
Quelque 41 000 personnes au moins ont été arrêtées, mises en accusation ou condamnées entre juillet 2013 et mai 2014, pendant que certaines sources non confirmées indiquent qu’il y aurait plus de 100 000 prisonniers. Selon le ministère de l’Intérieur, 11 877 personnes ont été arrêtées pour activités terroristes présumées depuis le début de 2015. En février 2015, le président Abdelfatah al-Sisi a reconnu dans un discours que des jeunes innocents se trouvaient en prison.
Pas moins de 470 condamnations à mort ont été prononcées par des tribunaux égyptiens pour des charges d’actes de violence et de terrorisme présumés au cours de la seule année 2015 et on enregistre un plus grand nombre encore de condamnations à la prison à vie pour violence ou activisme politiques présumés. Les condamnations ont été prononcées lors de procès de masse ne respectant pas les règles du droit et qualifiés de « simulacre » de justice par un groupe d’experts des Nations Unies.
Au cours de la première année d’exercice du pouvoir par le Président Sisi, au moins 289 cas de torture et 16 cas d’agressions sexuelles ont été recensés. D’après Nasser Amin, Président de la Commission des Plaintes du Nchr, le nombre de cas de torture réels dépasse de loin ceux qui font l’objet de rapports ou dont parlent les médias, la torture étant appliquée de façon systématique.
Dans les seuls gouvernorats du Caire et de Gizeh, pas moins de 90 prisonniers incarcérés dans les locaux de la police sont morts lors de leur détention durant les dix premiers mois et demi de 2014, à la suite de négligences médicales, d’une aération défectueuse, du piteux état des lieux de détention et de mauvais traitements. Le Nchr a signalé que la surpopulation atteignait 160% de la capacité carcérale et 300% de celle des postes de police.
Lors de la visite d’une délégation du Nchr à la prison d’al-Aqrab en janvier 2016, Kammal Abbas, membre de cet organisme, a signalé que la délégation n’avait pu enquêter sur les plaintes déposées, en raison de l’intransigeance de l’administration de la prison. Abbas a déclaré que celle-ci avait également refusé aux délégations d’inspecter les cellules et à un membre du Nchr, par ailleurs médecin, d’examiner les prisonniers.
Corruption et impunité
Un cas de corruption conçernant des milliards de dollars, impliquant certaines des institutions les plus ‘inattaquables’ du pays, a été dévoilée par le Commissaire aux comptes d’Egypte, Hesham Geneina.
Au lieu d’ouvrir une enquête sur ce cas de corruption, le président Sisi a établi un comité pour enquêter sur Geneina, et les médias proche du gouvernement ont lancé une campagne contre ce dernier.
Selon le Nchr, entre juin 2013 et décembre 2014, les actes de violence politique commis tant par des représentants de l’Etat que par des acteurs non étatiques (groupes djihadistes et non djihadistes), avaient provoqué la mort d’environ 2 600 personnes, dont des Frères Musulmans et leurs sympathisants, 550 autres civils et 700 personnels de sécurité. Plus de 800 victimes civiles out trouvé la mort au cours de la violente opération de dispersion des rassemblements de Rabbaa et Nahda organisés par les Frères musulmans, le 14 août 2013, décrite comme le pire massacre de civils dans l’histoire de l’Egypte moderne. Cette opération de dispersion n’a fait l’objet d’aucune enquête indépendante à ce jour.
Tiré de Pambazuka News.
** Fidh - La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme réunit 178 organisations à travers le monde.