On a déjà vu les effets dans le cas de West Point à Monrovia (capitale du Libéria). Ce n’est pas un bidonville tout à fait, c’est un quartier au centre de Monrovia, mais qui est vraiment très insalubre. Il n’y a pas d’égouts, très peu d’électricité, les gens sont très pauvres, ils vivent entassés les uns sur les autres. Là on a essayé d’imposer au quartier une mise en quarantaine.
Évidemment les gens n’ont pas aimé ça parce qu’ils ont dit “bon on a le droit de sortir de son quartier, on doit aller au boulot, on doit aller au marché faire des courses”. Et d’avoir des soldats dans les rues qui vous empêchent de faire cela, ça crée un problème politique. Mais la grande crainte, c’est justement une nouvelle maladie face à laquelle les gens qui ne disposent d’aucune immunité acquise et qui développerait son emprise dans une ville comme Monrovia. Cette dernière est à peine gouvernée, les services médicaux et hygiéniques sont tout à fait inadéquats. Par la suite, cette infection peut se répandre internationalement. Le meilleur exemple en effet est la grande épidémie de grippe qui a affecté la planète entière en 1918-19 et qui a fait plus de morts que la Première Guerre mondiale. Je pense que c’était le cas avec la grippe aviaire. »
En Sierra Leone, le porte-parole du gouvernement a déclaré : « Le personnel de santé et celui des organisations non gouvernementales feront du porte-à-porte pour détecter des cas probables de maladie d’Ebola cachés par leurs parents dans les maisons. » Selon le professeur Arnaud Fontanet, responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur : "Il peut être légitime, en situation d’épidémie, de placer à l’isolement des patients contagieux ou même de confiner des petits groupes de population."
Lors de l’épidémie de SRAS [1] en 2003, certains quartiers en Asie avaient ainsi été confinés sur de courtes périodes pour essayer de limiter la propagation de la maladie. Mais les modes de transmission de Sras étaient bien différents de ceux du virus Ebola. Le Sras était une maladie respiratoire facilement transmissible par voie aérienne à la suite, par exemple, d’un simple éternuement d’une personne asymptomatique, c’est-à-dire sans aucun signe de la maladie. Tandis qu’avec Ebola, le patient devient contagieux une fois qu’il a déclaré les premiers symptômes (en général de la fièvre). Et la transmission est souvent tardive, à un stade avancé de la maladie. Je reste donc assez sceptique sur l’intérêt de cette mesure annoncée par la Sierra Leone. Pour moi, la priorité est avant tout d’identifier le plus précocement possible les malades pour pouvoir leur proposer de les accueillir dans un centre d’isolement et de soins. » (Cité dans La Croix du 12 septembre 2014)
Des mesures coercitives prises du type de celle en Sierra Leone suscitent aussi des réactions au sein de Médecins Sans Frontières (MSF). Cette ONG, la plus active sur le terrain note que des : « mesures coercitives à une large échelle » peuvent « compromettre la confiance entre la population et les professionnels de santé » et conduire les « malades à se faire traiter en dehors du système de santé ».
Nyka Alexander – porte-parole de l’OMS [voir sur l’OMS l’article publié sur ce site le 8 septembre 2014] en Sierra Leone – indique que les 5,7 millions de Sierra-Léonais n’auront pas l’obligation de rester confinés à domicile. « Ils pourront sortir en restant, si possible, dans leur communauté », précise la représentante de l’OMS. Or, cet été, le Liberia avait, lui, annoncé la mise en quarantaine, par l’armée, de plusieurs provinces très touchées par la maladie. A la mi-août 2014, la présidente, Ellen Johnson Sirleaf – présidente du Libéria depuis 2006 et fort proche des milieux dirigeants des Etats-Unis – avait décrété la quarantaine de deux quartiers de la banlieue de la capitale Monrovia ainsi qu’un couvre-feu d’une nuit. A la mi-septembre, des habitants du quartier de West Point mis en quarantaine – comme l’explique ci-dessus Stephen Ellis – ont réagi avec colère. Quatre d’entre eux ont même été blessés par des soldats chargés de faire respecter cet isolement.
« Ce qui se passe avec Ebola n’est pas une nouveauté », explique (La Croix, 18 septembre 2014) Patrick Zylberman, professeur d’histoire à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) « A chaque grande crise sanitaire, dans l’Histoire, on a assisté à cette tension entre santé publique et respect des libertés individuelles », ajoute-t-il. L’historien cite par exemple une ordonnance royale de 1822 qui, en France, instaura une sécurité sanitaire aux frontières. « L’objectif était de se protéger contre une épidémie de fièvre jaune en Espagne. Le texte, heureusement jamais appliqué, allait jusqu’à prévoir la peine de mort pour tout contrevenant. » « Au XIXe siècle, pour lutter contre le choléra, plusieurs pays européens ont aussi mis en place des confinements de la population, gardée par la troupe », ajoute Patrick Zylbermann. Sans véritable surprise, ces quarantaines sanitaires sont plus volontiers pratiquées par les régimes autoritaires. « On peut citer le cas de la Yougoslavie de Tito en 1972 qui, confrontée à une épidémie de variole, confina toute sa population et vaccina plusieurs millions de personnes en cinq jours », ajoute-t-il.
Patrick Zylbermann n’est pas vraiment surpris par cette colère exprimée dans certains quartiers de Monrovia où la population, confinée, vit avec le sentiment d’avoir été oubliée par des autorités à l’évidence dépassées par l’ampleur de la fièvre Ebola. La question reste de savoir si les moyens effectifs de soigner existent dans le contexte de telles mesures de quarantaine. Ces initiatives ne doivent pas être purement coercitives. « Certains préconisent ainsi des quarantaines “éthiques” avec l’assurance donnée aux personnes que, si elles tombent malades, elles seront prises en charge. » C’est ici que se révèle la justesse des dénonciations par MSF – depuis des mois – ayant trait au manque de moyens déployés depuis des mois.
Membre du pôle urgence chez MSF, le docteur Caroline Seguin qui était à Port-au-Prince au moment de la crise de choléra en 2010, reconnaît les mérites des médecins cubains présents à Haïti : « C’est eux qui ont soigné le plus de patients après notre organisation, précise-t-elle. Ils n’avaient pas une grande habitude de la maladie, ils manquaient de personnel capable d’assurer la logistique, mais ils se sont montrés réactifs. Ils ont mis les moyens pour se déployer autour de la capitale et connaissaient bien le milieu haïtien. » En effet, le gouvernement cubain a annoncé, il y a quelques jours, son engagement d’envoyer 62 médecins et 103 infirmiers en Sierra Leone.
A ce propos, Caroline Seguin souligne une question d’un ordre plus général face aux déploiements tardifs, prudente. « Nous sommes clairement débordés aujourd’hui par l’afflux de patients et c’est pourquoi nous avons lancé un appel à l’aide internationale. Mais il faut des équipes déjà formées à la prise en charge d’Ebola et bien équipées, du fait des risques de contamination. Dépêcher du personnel non expérimenté peut avoir des résultats catastrophiques. » C’est l’ensemble de la politique de santé internationale qui est en cause, entre autres, comme cela était mis en relief dans l’article publié sur les choix financiers et idéologiques de l’OMS. (18 septembre 2014)
[1] Cette épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) a rapidement pris une dimension internationale, faisant plus de 8000 malades et 774 morts dans une trentaine de pays
Carte interactive de MSF:pour survoler l’image cliquez : https://www.thinglink.com/scene/559360742642417666