Force est de constater que le Canada s’est ainsi laissé délibérément entraîner dans un véritable traquenard. En prenant tout simplement au mot la politique étrangère officielle du Canada – qui reconnaît notamment l’illégalité du contrôle permanent exercé par Israël en Cisjordanie –, il serait pertinent de demander au ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, de nous dire comment il peut justifier son appui à une motion qui vise à bâillonner, décrédibiliser et museler des groupes qui veulent contrer la logique punitive d’un État dont le Canada reconnaît lui-même qu’il bafoue le droit international. Il serait également pertinent de lui demander pourquoi, depuis son arrivée au pouvoir, son gouvernement a épousé l’attitude du gouvernement de Stephen Harper en votant systématiquement et inconditionnellement en faveur d’Israël à l’ONU.
On se souviendra que ce parti pris inconditionnel du Canada à l’égard d’Israël avait été dévoilé quand, en novembre 2012, Ottawa s’était ligué au côté de l’axe anglo-saxon de l’OTAN pour voter contre l’entrée de la Palestine à l’ONU comme État observateur non-membre et quand il s’est opposé à son entrée comme État membre au sein de l’Unesco, en octobre 2011. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau n’a encore rien changé à cette position. En novembre dernier, lors de la 70e Assemblée générale des Nations Unies, il s’est allié à Israël, aux États-Unis, et à cinq États d’Océanie pour voter contre des résolutions appelant Israël à respecter le droit international, résolutions par ailleurs approuvées par une très large majorité d’États.
Concernant la campagne internationale BDS, il faut mentionner qu’elle a été lancée le 9 juillet 2005 par 171 organisations palestiniennes de la société civile, soit un an exactement après que la Cour internationale de justice eut émis son avis sur la Barrière de séparation israélienne de 700 km érigée à partir de l’été 2002 par Israël. En octobre 2003, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution condamnant la construction de ce « mur » qui empiète sur le « territoire palestinien occupé », une résolution soutenue par 144 voix contre 4 (États-Unis, Israël, îles Marshall et Micronésie).
Il importe de faire un autre rappel historique : les 12 et 13 juillet 2005 – moins d’une semaine après le lancement de la campagne BDS – se tenait au siège de l’Unesco à Paris la Conférence de la société civile pour la paix au Moyen-Orient. Cette rencontre internationale, tenue sous l’égide de l’ONU, a adopté à l’unanimité l’appel palestinien pour le boycott, le retrait des investissements et les sanctions. La résolution finale soutient clairement la « campagne générale de boycotts, de désinvestissements et de sanctions pour forcer Israël à terminer l’occupation et à se conformer au droit international et à respecter toutes les résolutions des Nations unies concernées[1] ».
Un autre argument qui donne du poids à la campagne BDS vient du grand juriste belge François Dubuisson, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles, qui a déclaré : « On peut penser ce qu’on veut du mouvement BDS, mais sur le plan du principe, cela relève de la liberté d’expression. Cela ne devrait pas être condamné sur le plan pénal. Sur le plan moral et éthique, chacun peut en penser ce qu’il veut ». Le professeur Dubuisson a rédigé un rapport documenté de 75 pages sur les obligations de l’Union européenne (UE) à l’égard des colonies israéliennes. Selon lui, l’UE (et donc chacun des 28 États membres) « ne peut entretenir de relations économiques et commerciales avec des colonies installées dans un pays occupé ». Pour lui, « ce n’est pas une question de choix politique, mais plus simplement de droit »[2].
Ainsi, quoi qu’en disent ses détracteurs, BDS demeure un des moyens de résister à la campagne de relations publiques hautement sophistiquée d’Israël et d’organismes sionistes et pro-israéliens visant à contrer les images négatives de la guerre et à rendre ainsi l’occupation, la colonisation et le racisme plus acceptables. Ce mouvement nous aide aussi à lutter contre la propagande anti-arabe et l’islamophobie occidentales, les deux piliers idéologiques soutenant les intérêts économiques et géopolitiques des pays de l’OTAN au Moyen-Orient et pour lesquels Israël est le poste militaire avancé.
Pour le membre fondateur du mouvement, Omar Barghouti, la campagne BDS s’inscrit solidement dans la résistance courageuse et légendaire du peuple palestinien refusant la résignation face à la toute puissance militaire d’Israël, bébé gâté d’un axe de l’OTAN qui lui apporte impunément un soutien éhonté. Dans le livre qu’il a consacré à BDS (http://www.luxediteur.com/catalogue/boycott-desinvestissement-sanctions/), on trouve des arguments solides pour répondre à ceux et celles qui suggèrent que le mouvement non violent qu’est BDS serait contreproductif du fait qu’il encouragerait l’antisémitisme[3] et affaiblirait le mouvement israélien pour la paix.
Au Québec, la campagne BDS est encore jeune. Un nombre grandissant d’organisations syndicales et communautaires, de groupes de femmes, d’associations de défense des droits, religieuses, étudiantes, mais aussi d’artistes ou encore d’enseignants s’y engagent toutefois. L’appel au boycott des produits israéliens se fait de plus en plus insistant et des résolutions de soutien sont adoptées progressivement. En cette Semaine contre l’apartheid israélien, qui se tient du 14 au 23 mars, dénonçons la motion adoptée par le Parlement canadien et appelons la société québécoise à se solidariser du peuple Palestinien à travers le mouvement BDS.
Notes
[1] Voir : http://www.plateforme-palestine.org/Actualite-de-l-Union-Juive,98
[3] Il faut sans doute redire ici que cette campagne n’a rien d’antisémite : elle ne critique pas les Juifs en tant que Juifs mais les politiques de l’État israélien. Il faut donc récuser d’avance les accusations d’antisémitisme qui ne manquent jamais de pleuvoir chaque fois que des groupes et des individus, parmi lesquels de nombreux juifs et organisations juives, osent dénoncer les politiques israéliennes.