Édition du 17 décembre 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

Donner le statut de personne au fœtus mène à punir les mères

Quand une société accorde plus de valeur à la vie du fœtus qu’à celle des vivants.es, les femmes payent le prix fort. Souvent, nous parlons de l’avortement comme si cela allait de soi. Et si jamais, nous lions le sujet à quelque chose d’autre, ce sera habituellement à l’éducation sexuelle, à la contraception et à ces moyens contestés pour éviter les grossesses non désirées.

Kathat Pollitt, The Nation, 2 décembre 2019
Traduction, Alexandra Cyr

Nous ne nous arrêtons pas beaucoup au retrait des droits les plus élémentaires aux femmes qui ont une grossesse désirée. Ceux et celles qui s’opposent à l’avortement, qui veulent que le statut de personne soit accordé à l’œuf fécondé, à l’embryon et au fœtus, n’ont pas de difficulté à allonger les injonctions et dire aux futures mamans, « Vous devez absolument mettre au monde un enfant en santé » même, « Pour que vos désirs, besoins et droits constitutionnels ne soient pas en jeu, vous devez donner naissance à un bébé en santé ». Et pire, si quelque chose va de travers, ce sera de votre propre faute, selon ces gens.

Pensez à l’imposition d’une intervention chirurgicale. Vous croyez peut-être que cette question a été réglée par l’arrêt Angela Carder en 1987. Elle souffrait d’un cancer en phase terminale. Le tribunal lui a imposé une césarienne pour augmenter les chances de survie de son fœtus de 26 semaines de vie. Elle a subi l’intervention à l’hôpital de l’Université George Washington à Washington D.C. en dépit des risques pour sa propre vie. Elle n’a pas survécu et son enfant non plus. Après cet horrible événement une centaine d’organisations, dont l’Association médicale américaine et le Collège américain des obstétriciens et gynécologues, ont déposé un appel a devant les tribunaux et l’arrêt a été renversé. Les avocats.es des Americans United for Life et de la United States Catholic Conference, ont plaidé en faveur de son maintien.

En 2011, Rinat Dray qui avait donné naissance deux fois par césarienne a décidé de tenter cette fois, de le faire naturellement au Staten Island University Hospital à New-York. Les césariennes l’avaient laissée affaiblie et en douleur pendant des mois. Durant la progression du travail, son médecin, sans injonction de la cour, a décidé de lui faire une césarienne contre sa volonté et lui a abimé la vessie au passage.

Elle poursuit l’hôpital depuis des années, sans succès jusqu’à maintenant. En dépit de l’adoption par l’état de New-York d’une nouvelle loi pro-choix, la Reproductive Health Act, la Cour suprême du comté de Kings a statué en octobre 2019 avoir « un intérêt dans la protection de la vie des fœtus viables après 24 semaines de grossesse. Au moins quand l’intervention ne présente pas de risques pour le bien-être de la mère ». Cela domine les objections des mères au traitement médical.

Cela se passe à New-York, pas en Alabama.

Selon Lynn Paltrow, directrice de l’Association des avocats.es pour les femmes enceintes, à qui j’ai parlé par téléphone : « Le cas Dray est une preuve que tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un médecin qui affirme que le fœtus est en danger pour que soudainement vous n’ayez plus aucun droit ». Partout dans le pays des femmes enceintes se sont vues menacées de césarienne ou encore ont eu à les subir contre leur volonté.

Aux États-Unis, le taux de césariennes est de 32%, bien plus élevé que celui que l’Organisation mondiale pour la santé recommande, soit de 10% à 15%. Et c’est en dépit d’une décision des tribunaux qui stipule qu’en aucune circonstance une personne ne peut être forcée de subir une intervention médicale (…) pour le bénéfice d’un.e autre. Finalement, cela démontre que les femmes enceintes ont moins de droit que les autres personnes et que leur fœtus en ont plus qu’elles.

Cette criminalisation des comportements des femmes durant la grossesse est un autre cadeau du mouvement contre l’avortement. Selon Al Jazeera, plus de 1,200 femmes ont été arrêtées ou détenues durant leur grossesse depuis l’adoption de l’arrêt Roe vs Wade en 1973. (Cet arrêt décriminalisait l’avortement aux États-Unis, selon certains critères. N.d.t.). Le nouveau documentaire de Jo Ardinger, intitulé Personhood, divulgue le cas de Tamara Loertscher au Wisconsin. En 2014 elle déclare à son médecin qu’au cours des premiers temps de sa gestation, alors qu’elle ne savait pas être enceinte, elle a consommé de la métamphétamine plusieurs fois par semaine pour soigner sa dépression. Elle n’avait pas d’assurance pour se procurer des médicaments. Elle s’est vite retrouvée à l’hôpital contre sa volonté et ensuite en prison. L’État a même affecté un avocat à la défense de son fœtus de 14 semaines à ce moment-là, mais a refusé toute ses demandes d’assistance judiciaire pour elle-même.

Elle a été relâchée après 18 jours et elle a maintenant un dossier pour mauvais traitements de son enfant. Vraisemblablement, elle ne pourra plus exercer sa profession d’aide-soignante, même si son enfant est né en parfaite santé. Et elle a été chanceuse ; certaines ont été emprisonnées, accusées de meurtre parce qu’elles ont donné naissance à des enfant mort-nés ou encore on leur a retiré leur enfant dès la naissance.

On accorde peu d’attention à ce genre de situation, en partie parce que le mouvement pro-vie s’est centré sur l’abolition des droits à l’avortement. Et c’est compréhensible. Mais c’est aussi parce qu’en général ces situations sont celles de femmes pauvres, de la classe ouvrière ou encore des afro-américaines et d’autres qui ne sont pas blanches non plus, parce que ce sont des fumeuses, des femmes qui font usage de drogues, des membres de minorités religieuses ou d’autres qui ne peuvent se plier à toutes les recommandations prénatales ; les autres sont des professionnelles éduquées qui ne se permettraient pas une goutte de vin une fois le test de grossesse positif.
En 1991, la Cour suprême a stipulé que les employeurs.euses n’avaient pas à retirer une femme enceinte des tâches qui mettent en danger son fœtus. Par exemple, dans les usines où ont fait usage de produits chimiques. Combien de temps durera cet interdit alors que les autres comportements légaux des femmes enceintes comme l’usage d’alcool, de la cigarette, des nettoyants dans la maison, de devoir soulever ses autres enfants, mène à leur criminalisation ? On peut voir clairement ce qui va se passer : cela va de l’arrestation de Marshe Jones qui a reçu un coup de feu qui a mené à la mort de son enfant à naître, à l’arrestation de femmes enceintes abusées par leurs propres partenaires ; le gouvernement américain y voit.

Pendant ce temps l’augmentation faramineuse des fausses-couches chez les immigrantes incarcérées ou l’accouchement solitaire de ces femmes dans leur cellule, comme cela est arrivé à Diana Sanchez, ne nous dérange pas trop.

Il n’est pas nécessaire d’ajouter que notre société ne fait pas grand-chose pour aider les femmes à mettre au monde des bébés en santé. Mais elle se permet de prétendre les valoriser. Si vous êtes sans abris et accouchez, bonne chance ! Si vous êtes dépendante d’une substance ou d’une autre, il est plus que probable qu’il n’y aura pas de place dans un programme de réhabilitation. Si vous habitez à la campagne il n’y a probablement pas de maternité à proximité. De plus en plus, le statut de personne attribué au fœtus mène à punir les mères ; le mouvement pro-choix ne devrait pas l’oublier.

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