En votant pour Donald Trump, les Américains n’ont pas seulement élu un personnage climatosceptique. Tout au long de sa campagne, le nouveau président et son équipe n’ont cessé d’édifier l’écologie, et en particulier la préservation du climat, en ennemie de l’Amérique. Le dérèglement climatique ? « Un concept créé par et pour les Chinois pour tuer la compétitivité de l’industrie américaine. » L’accord de Paris sur le climat ? « Mauvais pour le business » et une façon « d’autoriser des bureaucrates étrangers à contrôler la quantité d’énergie que nous utilisons ». La fracturation hydraulique ? « Une réponse pour faire baisser les coûts de l’énergie. » L’oléoduc Keystone rejeté par Obama après des mois de mobilisation d’opposants ? Aucun impact sur l’environnement et beaucoup d’emplois pour les Américains. » Les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) ? C’est « notre mode de vie »pour son conseiller énergie, Kevin Cramer, qui doute ouvertement du changement climatique. Le Clean Power Act d’Obama et les réformes environnementales de ses deux mandats ? « Un tsunami de réglementations punitives conçues pour nous faire faillir » selon Harold Hamm, PDG de Continental Resources, un des plus gros foreurs d’huile de schiste aux États-Unis, et possible futur ministre de l’énergie(Mathieu Magnaudeix l’avait remarqué lors d’un meeting à Cleveland, voir ici).
Si en France la question climatique est absente de la pré-campagne présidentielle, elle a habité la campagne Trump sur un mode agressif et désinhibé, en prônant ouvertement l’intérêt particulier des proches du milliardaire. En 2008, le parti républicain avait popularisé le slogan « Drill, baby, drill » (« Fore, bébé, fore ! ») scandé lors de ses meetings. En plein essor des gaz et huiles de schiste, il chantait l’appel à un nouveau far west. En 2016, le secteur des énergies renouvelables s’est déployé et devient un concurrent toléré mais à dominer pour l’entourage de Trump. Le nouveau président des États-Unis porte une vision du monde profondément anti-écologique où les forages pétroliers, la consommation de charbon, le tout-voiture doivent être encouragés car ils sont supposés bons pour l’Amérique. Le « rêve américain » qu’il décrit dans son discours de victoire le 9 novembre s’incarne dans un programme de grands travaux d’infrastructures : « reconstruire nos autoroutes, ponts, tunnels, aéroports, écoles, hôpitaux ». Cela promet d’intensifier les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis, le deuxième plus gros pollueur de la planète, à cause du bétonnage annoncé. Mais cela fait la joie des entrepreneurs du BTP, des cimentiers, transporteurs et banquiers qui bénéficieront des futurs chantiers sans que l’on sache combien d’emplois seront créés. D’un côté, la survalorisation des éventuels bénéfices des travaux ; de l’autre, l’invisibilisation de la destruction des écosystèmes.
Malgré l’isolationnisme revendiqué de Trump, ce n’est pas une bataille strictement américaine. Avec son élection à la Maison Blanche, deux mondes se font face. Dans la nuit de mardi à mercredi, Donald Trump est officiellement annoncé vainqueur de l’élection présidentielle. Au même moment, les 20 000 participants de la COP22 sur le climat à Marrakech entament leur troisième journée de conférence. Sur les réseaux sociaux, les réactions jaillissent en salves. « Le président élu Trump a causé beaucoup de fulminations sur le dérèglement du climat depuis un an, mais maintenant que la campagne est derrière nous et que la réalité de l’exercice du pouvoir s’impose, j’attends qu’il se rende compte que le changement climatique est une menace pour son peuple et pour des pays entiers qui partagent des mers avec les États-Unis, y compris le mien », déclare la présidente des îles Marshall, Hilda Heine, particulièrement vulnérables à une montée du niveau des océans à cause du réchauffement planétaire.
« Donald Trump a maintenant le triste privilège d’être le seul chef d’État au monde à rejeter le consensus scientifique sur les origines humaines du changement climatique », tonne de son côté Michael Brune, directeur exécutif du Sierra Club, une des plus anciennes et plus établies associations environnementalistes américaines. « Quoi qu’il arrive, Donald Trump ne peut pas changer le fait que l’énergie éolienne et solaire est en train de devenir meilleur marché et plus accessible que les fossiles sales […] Il vaut mieux qu’il adopte une position sage sinon nous lui garantissons le combat le plus dur de sa vie. » Pour les Amis de la Terre international, « l’élection de Donald Trump est un désastre pour le climat et en particulier pour le continent africain ». Sur le site de Greenpeace, on lit : « Ensemble nous sommes plus forts que Trump. » Pour Oxfam America : « Le monde n’attendra pas les États-Unis, le climat non plus. Cette année, les impacts du changement climatique ont coûté des milliards de dollars aux États-Unis et exposé à la faim 40 millions de personnes en Afrique. »
Directrice exécutive de 350.org, réseau militant fondé aux États-Unis par Bill McKibben, un des plus influents activistes climatiques aujourd’hui, May Boeve déclare que « notre travail devient beaucoup plus dur maintenant mais ce n’est pas impossible, et nous refusons de perdre espoir ». Sur Twitter, la journaliste canadienne Naomi Klein réclame « une campagne internationale pour imposer des sanctions économiques aux États-Unis s’ils brisent leurs engagements de l’accord de Paris ». L’économiste et éditorialiste du New York Times Paul Krugman partage ses pensées matinales « sur les considérables dégâts que Trump va causer, à commencer par le climat ». L’ancien négociateur des Philippines pour le climat Yeb Saño s’interroge : « Nous cherchions des héros. Peut-être avons-nous besoin de monstres pour nous soulever contre eux ? »
Pourquoi tant d’émotion et de colère ? La situation est inédite : jamais le climat n’a été un sujet aussi reconnu par les chancelleries internationales, les secteurs économiques et les sociétés civiles. Et pourtant l’homme qui s’apprête à prendre les rênes de la première puissance mondiale le combat ouvertement. Qu’a promis le nouveau président américain et que pourra-t-il mettre en œuvre ? La réhabilitation des énergies fossiles (les plus émettrices en gaz à effet de serre), et en particulier du charbon – encore la première source de production d’électricité aux États-Unis, avec le gaz, mais destiné à se réduire avec les plans de lutte contre le réchauffement. Sur son site programmatique (greatagain.gov), Trump annonce vouloir « libérer une révolution énergétique » et mettre fin à « la guerre contre le charbon ». Une place est prévue pour les renouvelables, mais non prioritaire. Parmi ses objectifs : que les États-Unis deviennent exportateurs nets d’énergie, autoriser les producteurs d’hydrocarbures à bénéficier de permis d’exploitations des terres et eaux fédérales, y compris en mer. Les réglementations de protection de l’eau seront « éliminées ».
« Un peu de réchauffement, mais c’est très faible »
Dans son programme d’action des cent joursdévoilé fin octobre à Gettysburg, où se mena une bataille décisive de la guerre de Sécession, Trump annonce vouloir, dès son premier jour d’exercice du pouvoir, lever toutes les contraintes à la production de pétrole de schiste et conventionnel, de gaz naturel et de « charbon propre » représentant, selon lui, une valeur de 50 000 milliards de dollars pour créer des emplois. C’est la cinquième de ses priorités pour son premier jour d’action – c’est dire l’importance qu’il lui accorde. Il compte aussi lever ce qu’il appelle « le blocus des routes » d’Obama et Clinton, empêchant leur construction, et autoriser des infrastructures énergétiques « vitales », tel l’oléoduc Keystone devant relier les champs de sable bitumineux de l’Alberta, au Canada, aux raffineries et dépôts de l’Oklahoma et du Texas. Militants écologistes et nations améridiennes se sont mobilisés pendant des mois pour bloquer ce projet. Sa suspension par la Maison Blanche fut la première grande victoire politique du mouvement naissant pour la justice climatique. Pour financer ce plan de constructions – non détaillé à ce jour –, Trump compte sur des partenariats publics et privés et des incitations fiscales et espère lever mille milliards de dollars en dix ans (aucune détail n’a été publié sur ce plan de financement).
L’une de ses premières cibles devrait être l’Agence de protection de l’environnement (l’EPA), l’administration qui a bâti les réglementations environnementales américaines. Pendant sa campagne, Trump aplacé à la tête de son équipe de transition pour l’Agence un climatosceptique notoire, Myron Ebell, directeur du Centre pour l’énergie et l’environnement de l’Institut de l’entreprise compétitive (d’obédience conservatrice). Familier des plateaux de télévision, Ebell critique « l’alarmisme » à propos du dérèglement climatique et s’en prenait à Al Gore en 2007 – année de son prix Nobel de la paix, partagé avec le GIEC : « Il y a un peu de réchauffement mais c’est très faible et dans la marge des variations naturelles. »
L’administration Trump pourrait interdire à l’Agence de protection de l’environnement (EPA) de limiter les émissions de CO2 et veut abolir le Clean Power Act, paquet réglementaire voulu par l’administration Obama pour réduire les rejets de dioxyde de carbone des centrales à charbon sans passer par le Congrès. Il fait actuellement l’objet de recours de 28 États et est attaqué par une centaine d’entreprises, et une décision de la Cour suprême à son sujet est attendue en 2017. L’agence pourrait être en partie démantelée, l’équipe du nouveau président ayant expliqué pendant la campagne vouloir « se débarrasser » d’elle. A minima, son action serait limitée à la protection de l’air et de l’eau – objectifs pourtant contradictoires avec la relance du charbon et le soutien à la fracturation hydraulique. À contrepied de l’approche systémique des politiques climatiques, Trump parle de « conservation » de la nature.
Donald Trump sur l’Agence de protection de l’environnement (à la 4e minute)
Au côté du millionnaire du pétrole Harold Hamm pressenti pour devenir ministre de l’énergie, un autre entrepreneur du secteur des fossiles pourrait rejoindre le cabinet de Trump : Forrest Lucas, 74 ans, co-fondateur de Lucas Oil, pour le poste de secrétaire à l’Intérieur.
Parmi ses décisions prioritaires, Trump prévoit d’annuler « les milliards de dollars » destinés à la convention de l’ONU sur le climat, pour les affecter à la protection de l’eau et des infrastructures environnementales du seul territoire américain. En 2009, les États-Unis – représentés par Hillary Clinton, alors secrétaire d’État – avaient promis de contribuer aux 100 milliards de dollars annuels pour le climat exigés par les pays pauvres à partir de 2020 au nom de la responsabilité historique des pays industrialisés dans le dérèglement du climat. Donald Trump drape ces engagements d’une certaine solennité, considérant qu’ils font partie d’un « contrat entre moi-même et l’électeur américain ». Il a annoncé vouloir annuler la signature des États-Unis à l’accord de Paris sur le climat.
Depuis les travées de la COP22, Ségolène Royal a expliqué que Washington ne pourrait pas se retirer de l’accord avant trois ans, auxquels s’ajoute une année de mise en œuvre, compte tenu des délais juridiques prévus par le texte. Mais Trump peut décider de sortir de la convention de l’ONU sur le climat, ce qui l’éjecterait automatiquement de l’accord, remarque l’économiste et militant à Attac Maxime Combes, pour qui « une année suffirait donc à Trump pour déstabiliser l’ensemble de la gouvernance onusienne sur le climat, déclenchant des forces centrifuges potentiellement non maîtrisables ».
Une nouvelle figure politique : le climato-sceptico-macho
Cela ôterait-il toutes ses forces à l’accord de Paris sur le climat et le rendrait-il inutile ? En 2000, l’élection de George Bush avait sonné le glas du protocole de Kyoto, le premier traité international contraignant les émissions de gaz à effet de serre. Signé sous Bill Clinton mais non ratifié, il avait été rejeté par la majorité républicaine. Le retrait des États-Unis, alors premier émetteur mondial de CO2, avait privé le texte d’une grande partie de sa valeur. Le scénario catastrophe pour la diplomatie climatique est-il en train de se reproduire ? « Les États-Unis ont déjà ratifié l’accord de Paris, et c’est un texte non contraignant, à la différence du protocole de Kyoto, analyse Amy Dahan, historienne et spécialiste des négociations sur le climat : quel intérêt auraient-ils à en sortir ? Ce n’est pas évident. Mais ils peuvent ne rien faire pour le mettre en œuvre. Depuis novembre 2014, les Américains avaient établi une sorte de partenariat avec la Chine sur le climat, qui a permis qu’un accord soit trouvé à Paris. Cela créait une dynamique qui pourrait s’affaiblir ou disparaître en cas de retrait des États-Unis. »
Pour François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste des migrations environnementales (retrouver ici sa tribune dans le club de Mediapart) : « Il faut garder en tête que l’accord de Paris est avant tout un accord politique, bien avant d’être un accord de droit international. Les contraintes légales y sont très limitées, et l’application de l’accord dépend avant tout de la volonté des gouvernements. » Au vu des réformes anticlimat annoncées ces derniers mois par le camp Trump, il ajoute : « Ce revirement risque d’inciter les autres grands émetteurs à ralentir également leurs efforts, pour ne pas être les dindons de la farce : l’accord de Paris repose sur la comparabilité des efforts de chacun, et le contrôle mutuel exercé sur ces efforts. Si le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre fait marche arrière, on doute que les autres soient enclins à appuyer sur l’accélérateur. » Et le chercheur de s’inquiéter : « Au-delà de déclarations de façade superficielles et des bonnes intentions, je ne suis pas sûr que la lutte contre le changement climatique, une fois qu’on a compris les choix qu’elle implique, soit vraiment soutenue par une majorité de la population : il est encore possible, aujourd’hui, aux États-Unis comme sans doute dans beaucoup d’autres pays, de gagner une élection présidentielle en étant ouvertement climato-sceptique – en France, Nicolas Sarkozy l’a bien compris également. »
Malgré son expression belliciste, Trump ne pourra pas démanteler le cadre réglementaire de la politique climatique américaine aussi vite qu’on frappe son poing sur une table. Il a besoin du soutien du Congrès, des recours juridiques seront enclenchés. Il faudrait des années pour mener à bien ce processus. « L’État fédéral est important aux États-Unis mais il ne peut pas tout », analyse Michel Colombier, directeur scientifique de l’Iddri, le think tank de Sciences-Po sur le climat. La Californie a une politique antipollution depuis les années 1970 et a imposé qu’une part de l’énergie qu’elle importe soit d’origine renouvelable. Cela a des effets sur le Texas qui lui vend de l’électricité. Des marchés du carbone ont été créés dans différents États. Ils possèdent un pouvoir normatif. Des milieux économiques ont intérêt aujourd’hui à l’essor des renouvelables. Des consommateurs avec un gros pouvoir d’achat veulent des voitures moins sales, cela met les constructeurs automobiles sous pression. Enlever le Clean Power Act servirait le secteur du charbon mais n’empêchera pas qu’il disparaisse d’ici vingt ans, concurrencé par le gaz et les renouvelables. Il y a des forces politiques et d’innovation et des interconnexions entre les deux qui font que l’histoire ne va pas s’arrêter complètement. »
C’est l’éternelle histoire de la confrontation d’une rhétorique de campagne à la réalité de l’exercice du pouvoir. Mais le style de Trump agit aussi à un autre niveau : celui de l’imaginaire. Ce qui le distingue des républicains sous les Bush, eux aussi ouvertement partisans de l’industrie pétrolière et déterminés à protéger le mode de vie américain, c’est son agressivité revancharde. Il ne veut pas seulement réformer la politique énergétique américaine, il veut mettre à bas ce que l’administration Obama a accompli. Effacer ce qui a été fait avant lui. Prendre possession du pouvoir et le mouler à son image : tonitruant, manichéen, excessif. Forer plus pour gagner plus : un virilisme s’exprime dans cet extractivisme obsédé par l’idée de ressources dormant sous nos pieds, comme s’il existait un pays de cocagne souterrain. La terre est à prendre comme le corps des femmes qu’il s’est vanté de saisir par le sexe. Il faut se saisir du pétrole et brûler le charbon parce que ça rapporte, sans un instant d’attention pour les dommages que l’on peut causer. Sans aucune idée d’une communauté de destin, que ce soit avec la terre qu’on s’apprête à éventrer pour en extraire des hydrocarbures, avec les nations amérindiennes qui refusent le saccage de leur milieu ancestral, avec les Noirs et les Hispaniques qui respirent l’air et boivent l’eau pollués par les sites industriels. Donald Trump crée une nouvelle figure politique : le climato-sceptico-macho.