Édition du 19 novembre 2024

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Élection de Donald Trump

Naomi Klein : « Le sort des États-Unis a été scellé par l’élite de Davos »

« Le choix inconditionnel du néolibéralisme par Hillary Clinton a été catastrophique. La seule réponse désormais consiste à s’en prendre aux milliardaires. » C’est ce qu’écrit la journaliste et militante canadienne Naomi Klein dans une chronique publiée le 9 novembre dans The Guardian, où elle analyse la victoire de Donald Trump.

Ils vont pointer un doigt accusateur sur James Comey et le FBI. Ils mettront tout sur le compte des stratégies de découragement des électeurs et du racisme. Ce sera la faute de Bernie ou de la féminophobie. Ils accuseront les petits partis et les candidats indépendants. Ils reprocheront aux médias de lui avoir fourni une plate-forme, aux médias sociaux d’avoir été son mégaphone et à Wikileaks d’avoir déballé le linge sale.

Mais tout cela passe à côté de cette force qui porte précisément la plus grande responsabilité du cauchemar dans lequel nous nous sommes éveillés : le néolibéralisme. Cette vision mondiale, qui a été incarnée à fond par Hillary Clinton et la machine qui l’entoure, n’a pas fait le poids face à l’extrémisme à la Trump. La décision de jouer la carte de Clinton contre celle de Trump a scellé notre sort. Pouvons-nous au moins tirer les leçons de cette erreur ?

Ce que nous devons comprendre, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui souffrent. Sous la politique néolibérale de dérégulation, de privatisation, d’austérité et avec le business des grandes entreprises, leur niveau de vie a baissé en un temps record. Ils ont perdu leur emploi. Ils ont perdu leur pension. Ils ont perdu une partie importante du filet social qui rendait cette perte moins effrayante. Ils voient pour leurs enfants un avenir qui s’annonce encore plus grave que leur existence présente déjà passablement précaire.

En même temps, ils ont vu la montée de la « classe Davos », un réseau hyper-connecté de milliardaires, de dirigeants élus qui se sentent horriblement à leur aise vis-à-vis de leurs intérêts, et de stars d’Hollywood qui confèrent à l’ensemble un glamour insoutenable. Mais ils n’ont pas été invité à la fête du succès et, dans leur cœur, ils savent que cette richesse et ce pouvoir croissants est d’une façon ou d’une autre lié à leurs dettes et impuissance croissantes.

Pour les gens qui percevaient la sécurité et un statut social comme un droit de naissance – et cela signifie globalement les hommes blancs –, ces pertes sont insupportables.

Donald Trump s’adresse directement à cette souffrance. La campagne du Brexit l’a fait elle aussi. Tous les partis de l’extrême droite montante en Europe le font également. Ils font coïncider cette souffrance avec un nationalisme nostalgique et une colère dirigée sur de lointaines bureaucraties économiques – qu’il s’agisse ici de Washington, des accords de libre échange nord-américains, de l’Organisation mondiale du commerce ou de l’Union européenne. Et, naturellement, leur réponse se situe aussi dans la stigmatisation des migrants et des gens de couleur, dans la diabolisation des musulmans et dans le mépris des femmes. Le néolibéralisme élitiste n’a rien à proposer contre cette souffrance, parce que le néolibéralisme a libéré cette classe Davos. Des personnes comme Hillary et Bill Clinton sont comme des poissons dans l’eau au sein de la fête de ceux de Davos. Mieux encore, ils l’ont organisée.

Le message de Trump était celui-ci : « Tout est l’enfer. » Clinton a répondu : « Tout va bien. » Mais rien ne va bien, loin de là.

Les réponses néofascistes à l’incertitude et à l’inégalité qui prolifèrent ne disparaîtront pas. Mais ce que nous savons des années 1930, c’est que, pour combattre le fascisme, il va falloir une gauche authentique. Une partie considérable des partisans de Trump pourrait s’en détacher et être mobilisée par un programme réellement redistributif. Un programme qui proposerait de s’en prendre aux milliardaires avec autre chose que du blabla et d’utiliser l’argent pour un New Deal écologique. Un plan qui pourrait déclencher une immense vague d’emplois bien payés et protégés par les syndicats, qui pourrait apporter les moyens et les opportunités nécessaires aux communautés de couleur et qui pourrait contraindre les pollueurs à payer pour recycler les travailleurs et les intégrer pleinement à cet avenir.

Un plan qui dessinerait une politique de lutte conjointe contre le racisme institutionnalisé, l’inégalité économique et le changement climatique. Qui pourrait s’en prendre aux mauvais accords commerciaux et à la violence policière et qui pourrait reconnaître les communautés natives comme les défenseurs originels de la terre, d’eau et de l’air.

Les gens ont le droit d’être en colère, et un programme puissant et intersectionnel de gauche pourrait diriger cette colère là où il faut, au lieu de lutter pour des solutions holistiques qui n’engendrent qu’un déchirement de la société.

(Extrait de la tribune de Naomi Klein dans The Guardian du 9 novembre).

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