Quelles sont les principales conséquences de la crise de 2008 pour les pays du Tiers Monde ?
Cette crise a évidemment un impact direct, mécanique, sur le niveau de la dette des pays du Sud. En effet, le niveau des réserves de change dans lesquelles ils puisent pour rembourser leur dette externe a drastiquement diminué ces deux dernières années. Et comme les revenus qu’ils tiraient de leurs exportations ont également chuté, de nombreux pays en développement (PED) risquent de rencontrer de grands problèmes de remboursement dans les mois et les années qui viennent. Il faut également préciser que le coût du remboursement de la dette a connu une forte hausse depuis juillet 2008. Et cela pour deux raisons : l’augmentation des primes de risque payées par les PED pour emprunter sur les marchés financiers internationaux ont fortement augmenté et l’appréciation du dollars, monnaie avec laquelle ils remboursent leurs dettes.
En plus, il est forte probable que la dette publique augmente en raison de la reprise par les États des dettes du secteur privé, comme cela s’est fait dans de nombreux pays industrialisés comme la Belgique. D’autres acteurs ont récemment encore aggravé la situation d’endettement des PED. C’est le cas notamment des pays comme la Chine ou le Brésil qui accordent certains prêts léonins aux autres PED. Enfin, cette crise de la dette en gestation est une aubaine pour les fonds vautours : ces fonds d’investissement privés rachètent à très bas prix des dettes de PED à leur indu pour ensuite les contraindre par voie judiciaire à les rembourser au prix fort, c’est-à-dire le montant initial des dettes, augmenté d’intérêts, de pénalités de retard et de divers frais de justice. Tous les ingrédients sont donc réunis pour qu’éclate une nouvelle crise de la dette, semblable à celle de 1982. Cela ne fait aucun doute.
Les institutions financières internationales, par contre, en sortent plutôt renforcées ?
Oui, c’est exact. Au début des années 2000, la Banque mondiale et le Fons monétaire international (FMI) étaient confrontés à une grave crise de légitimité, ainsi qu’à des difficultés financières et à une perte d’influence. Des voix s’élevaient, un peu partout à travers le monde, pour réclamer une réforme de son fonctionnement, jugé non démocratique. De plus, entre 2004 et 2008, la hausse importante du prix des produits de base a accru les réserves de change des pays en développement.
Plusieurs pays du Sud, comme le Brésil, l’Argentine, la Turquie ou l’Indonésie, les ont utilisées pour rembourser de manière anticipée la Banque mondiale et le FMI afin de reconquérir une certaine autonomie. Ce qui n’a pas été sans conséquence sur le financement du FMI lui-même, car un remboursement anticipé implique pour lui un gros manque à gagner. Mais à partir de 2008, l’aggravation de la crise économique mondiale a radicalement modifié la situation. Le FMI a été remis sur le devant de la scène pour apporter des liquidités aux PED qui en manquaient et a vu, en avril 2009, ses moyens tripler par le G20 de Londres. Le voilà donc mandaté pour une nouvelle vie, et cela sans avoir eu à changer de stratégie.
Qu’entendez-vous par là ?
Je veux dire par là que le fond idéologique n’a pas changé : la logique de l’ajustement structurel, imposée au lendemain de la crise de la dette de 1982 (voir encadré) et teintée aujourd’hui de "bonne gouvernance", est toujours en place depuis l’avènement de la crise économique mondiale, tant dans les pays du Sud que dans ceux de l’Est. L’objectif étant d’imposer aux pays endettés des réformes antisociales et des politiques de libéralisation économique bénéficiant principalement aux sociétés transnationales, avec la complicité des élites dirigeantes de ces pays. Alors que l’année 2010 est censée célébrer le cinquantenaire des indépendances des pays africains, le néo-colonialisme perdure et le mécanisme de la dette en est un élément majeur, puisque les politiques dictées par les bailleurs de fonds occidentaux nient le droit de ces États, indépendants en droit, d’être souverains économiquement et politiquement.
Que s’est-il passé en 1982 ?
Durant les années 1970, le remboursement de la dette des pays du Tiers Monde était en général soutenable. Mais au tournant des années 1980, les pays du Sud ont dû rembourser davantage en disposant de revenus moindres, du fait de la forte baisse enclenchée par les cours des matières premières sur le marché international. Devenus incapables de faire face aux échéances de remboursement, ils ont été pris dans un cercle vicieux puisqu’ils se sont endettés à nouveau pour pouvoir rembourser les emprunts internationaux, mais en payant cette fois des intérêts très élevés et en signant au préalable avec le FMI une lettre d’intention dans laquelle ils s’engageaient à appliquer toute une série de conditionnalités détaillées dans les plans d’ajustement structurel. Le piège de la dette s’est alors subitement refermé sur eux.
En quoi consiste les PAS ?
Les PAS sont composés de différentes mesures visant à dégager des ressources financières le plus rapidement possible pour les consacrer au remboursement de la dette. En voici les princiaples : suppression des subventions aux produits et services de première nécessité, réduction drastique des budgets sociaux (éducations, santé, logement, etc.), gel des salaires des fonctionnaires et licenciements importants dans la fonction publique, dévaluation de la monnaie nationale afin de rendre les produits exportés moins chers et donc plus compétitifs sur le marché mondial, ouverture totale des marchés par la suppression des barrières douanières, développement des exportations et spécialisation dans quelques produits pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la cette, ce qui conduit à réduire les cultures vivrières destinées à l’alimentation des populations, etc.
En résumé, la politique économique et sociale de l’État débiteur est donc passée sous contrôle du FMI, entraînant quasi immédiatement une dégradation des conditions de vie des populations. Le pire, c’est que ces mesures n’ont pas eu l’effet escompté, bien au contraire. Sur la période 1970-2007, la dette extérieure publique à long terme des PED est passée de 46 à 1.350 milliards de dollars, alors que les PED ont remboursé dans le même temps 4.350 milliards de dollars.
Interview parue dans le journal Dimanche Express du 22 aout 2010
Petit lexique
Réserves de change : liquidités internationales détenues par les Banques centrales qui leur permettent d’intervenir sur le marché des changes et des financer les échanges internationaux.
Dette externe : l’ensemble des dettes qui sont dues par un pays, État, entreprises et particuliers compris, à des prêteurs étrangers.
Dette interne : l’ensemble des créances détenues par les agents économiques résidents d’un État souverain sur cet État.
Léonin : qui est très inégal, très défavorable, très dur pour une des deux parties qui contractent un arrangement, un traité et qui s’en trouve gravement lésée.
P.-S.
Renaud Vivien est également l’auteur de "L’annulation de la dette du Tiers Monde", Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2046-2047, 12,40 EUR (peut-être commandé en ligne sur le site du Centre de recherche et d’information socio-politiques : www.crisp.be).