Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Des travailleurs du rail dénoncent une entente syndicale avec la compagnie BNSF

Selon Jen Wallis, un conducteur de la compagnie Burlington Northern Santa Fe (BNSF) Railway, il y a une véritable révolte chez les travailleurs face ce qui se passe en ce moment. « Des gens qu’on a jamais vu à aucune réunion syndicale, qui ne se sont jamais impliqués viennent joindre les rangs du Railroad Workers United. Ils nous disent qu’il faut absolument arrêter cela, qu’on ne peut laisser la direction du syndicat nous mettre dans une telle situation ».

Barbara Bradbury fait parti de l’équipe des rédacteurs-trices chez Labor Notes. i, In These Times, 13 août 2014,

Traduction, Alexandra Cyr

Qu’est-ce que c’est que cette tempête ? Le 16 juillet dernier, des milliers de travailleurs de la compagnie ont appris que leur délégués syndicaux avec négocié en secret avec la direction de BNSF, la plus grande compagnie du rail du pays, une entente de principe qui autoriserait les convois avec une seule personne en service. C’est un désastre sécuritaire.

Les bulletins de vote pour l’entérinement ont été expédiés début août et doivent être déposés début septembre. Si le vote est positif, d’énormes convois traverseraient les villes de l’ouest des États-Unis avec un ingénieur en service, sans conducteur. Ce serait une première pour une compagnie en tête de l’industrie ferroviaire et ouvrirait la porte à cette pratique pour toute l’industrie. BNSF est la propriété de Warren Buffett une des personnes les plus riches de la planète.

« Les membres n’ont jamais eu vent de ces négociations. Ils nous demandent littéralement qu’est-ce qui se passe pour l’amour du ciel ? On ne pensait jamais que notre syndicat pourrait nous vendre comme cela », rapporte John Paul Wright, un ingénieur de Louisville au Kentuky. Il est vice président d’un syndicat dissident, celui de travailleurs de la base, le Railroad Workers United qui a mené campagne contre ce changement qui traine dans les demandes patronales depuis une dizaine d’années. Avec seulement quelques semaines pour réagir, les membres sont très occupés à envoyer des autocollants invitant à voter NON et à appeler les organisations locales à adopter des résolutions en soutient aux équipes de deux personnes pour la navigation.

Robert Hill, un ingénieur de BNSF stationné à Spokane (État de Washington) dit que les employés n’attendaient pas une telle décision si vite, mais qu’ils l’attendaient.
Les employés du rail s’en remettent à RWU et à un nouveau groupe sur Face Book, « Épouses et familles contre les équipages d’une seule personne » pour trouver de l’information et une coordination pour poursuivre leur campagne pour le NON. L’opposition vient principalement des familles des travailleurs.

Les conducteurs et les ingénieurs font parti de syndicats différents. Ce sont les conducteurs, membres de SMART, qui votent en ce moment. Pour James Wallace, conducteur pour BNSF et vice président de RWU à Lincoln au Nebraska ce vote va affecter bien plus de personnes que les seuls participants au vote : « parce que c’est la création d’un précédent pour toutes les compagnies de chemin de fer des États-Unis. C’est potentiellement compromettre la sécurité de chacun des conducteurs du pays ».

Conserver des équipes de deux personnes,

Au début du 20ième siècle l’industrie ferroviaire employait deux millions de personnes (aux États-Unis). Actuellement, il ne reste plus que 10% de ce nombre. Et ce n’est pas parce que la quantité de fret a diminué, au contraire. Ron Kaminkow, le secrétaire général du RWU, un ingénieur travaillant au Nevada nous dit : « …nous n’avons jamais transporté un tel tonnage ».

Mais dans le passé, des syndicats rivaux ont permis que de nouvelles technologies remplacent les travailleurs ; cela a fait passer les équipages de cinq personnes à deux. En ce moment, les équipes comportent un ingénieur qui conduit le train et un conducteur qui fait tout le reste : sauter du train pour faire le nécessaire pour que le train change de voie, ajouter et retirer des wagons, garder à jour les listes de wagons qui transportent du matériel dangereux, (ce qui est crucial pour les premiers intervenants en cas d’accident), régler les problèmes si des incidents font arrêter le train, se concerter avec l’ingénieur au sujet des dangers possibles comme être au courant des zones où la vitesse doit être réduite, signaler des piétons en vue ou le prochain passage à niveau. Et encore plus critique il s’assure que l’ingénieur est toujours éveillé et alerte. Si vous pensez que cela n’est pas important, sachez que généralement, l’horaire de travail de ces personnes est de 12 heures d’affilées et qu’ils sont sur appel 24 heures par jour et 7 jours par semaine sans aucun horaire prédictible.

M. Wallis précise : « Il arrive que nous travaillions 48 heures d’affilées avec à peu près 5 heures de sommeil au cours de cette période. Il est arrivé que nous ayions souffert d’hallucinations à 3 heures du matin. On tente de se tenir réveillé l’un l’autre ». Il arrive que le conducteur doive enseigner certains détails de ce travail complexe à son collègue. M. Wallis ajoute : « Cette cabine est une salle de classe. On pourrait se trouver avec deux personnes qui n’ont que six mois d’expérience chacun ; ça fait peur, mais au moins ils sont deux ». Et le conducteur pourrait toujours venir à la rescousse si jamais l’ingénieur avait un malaise alors qu’il est à la tête d’un train de 15,000 tonnes. Le Président de la section transports de SMART, M. John Previsich, a souligné dans un mémo où il s’oppose à l’accord de principe actuel, que « personne n’accepterait qu’un pilote d’avion soit seul aux commandes même si, en théorie, il peut le faire ».

Un désastre pour la sécurité,

Cette entente de principe retirerait les conducteurs des trains pour les remplacer par un seul, un « maitre conducteur », qui serait dans un wagon en marche et interviendrait partout où ce serait nécessaire. Il serait appelé sur les lieux. De combien de trains ce conducteur devrait-il s’occuper ? Quatre ? Huit ? L’entente ne prévoit aucune limite. Comme presque toutes les autres provisions de cette entente, cela est laissé à décision de l’employeur. Ce n’est pas difficile d’imaginer les risques pour la sécurité. Les trains de marchandises se rendent dans des coins perdus du pays. Il peut arriver que les trains soient immobilisés dans des endroits où il n’y pas de routes accessibles sur des kilomètres à la ronde. Le conducteur ne pourrait s’y rendre immédiatement. Et l’ingénieur perd une deuxième paire d’yeux pour l’aider à prévenir les accidents.

Pour justifier sa demande la compagnie invoque qu’à compter de l’an prochain une nouvelle technologie, le « contrôle positif des trains » (positive train control, PTC), sera disponible. Le Congrès devrait permettre son introduction en 2015. Les équipages de deux personnes ne seraient plus nécessaires puisque cette technologie surveillerait la vitesse des trains, connaitrait leur position exacte et pourrait appliquer les freins dans certaines circonstances. L’industrie salue cette avancée technologique mais, du point de vue de la sécurité on ne gagne rien à se fier à la technique plutôt qu’aux humains. M. Wright nous assure que les syndicats ont demandé l’installation de ce dispositif pour améliorer la sécurité, pas en lieu et place des équipages. Les entreprises ferroviaires ont tenté de faire reporter leur installation à cause des coûts que cela implique mais elles y ont vu l’occasion de diminuer la main d’œuvre.
M. Kaminkow est convaincu que si elles arrivent à mettre en place la conduite des trains par une seule personne, elles économiseront des milliards de dollars. Qu’importe qu’un piéton se fasse renverser ici ou là ou qu’une voiture se fasse frapper, ça toujours du hasard.

Une grève pour appuyer la lutte contre cette mesure

Jusqu’à maintenant, l’avant-garde de la lutte contre la conduite par une seule personne était campée dans de plus petites compagnies comme Wheeling and Lake Erie Railway. Une centaine de membres du local 292 du syndicat BLET ont fait grève contre elle en septembre 2013 ; les opérations ont été arrêtées en Ohio et en Pensylvanie quand la compagnie a imposé unilatéralement la conduite par une seule personne. Une injonction fédérale a mit fin au mouvement. Le président du local, M. Lonnie Swigert souligne que : « en moins de 16 heures d’avis, plus personne ne travaillait, tous respectaient la grève. Et quand l’injonction prendra fin, nous recommencerons si c’est nécessaire ». Jusqu’à maintenant les négociations sont au point mort sur cette clause.

Une compagnie, la Montreal, Maine and Atlantic Railway, a fait les manchettes l’été dernier quand un de ses trains en déshérence qui transportait du pétrole brut a explosé dans la ville de La Mégantic au Québec, tuant 47 personnes. Elle fonctionnait avec une seule personne à la conduite depuis quelques mois seulement. Le seul ingénieur en service n’était pas à bord au moment du désastre. Il avait mis les freins pour la nuit. M.Kaminkow fait ce commentaire : « Bien sur, l’industrie dit qu’il n’y a pas de preuves que s’il y avait eu un conducteur le train ne se serait pas déplacé quand même. Mais on peu facilement penser que s’il avait été dans la cabine alors qu’un autre employé allait faire le test des freins à air…. ».

Loi ou règlementation fédérale ?

Dans la foulée d’indignation qui a suivi, deux représentants du Maine au Congrès on proposé le projet de loi H.R.3040 qui exige une équipe de deux personnes sur les trains de marchandise. Il n’a pas suscité beaucoup d’intérêt jusqu’à maintenant mais l’attention a augmenté depuis que l’entente de principe avec BNSF a été connue. Les signatures sur une pétition en ligne ont aussi augmenté.

La Federal Rail Road Administration (FRA) examine la possibilité d’introduire une règlementation qui imposerait la conduite par deux personnes pour les trains transportant des matières dangereuses comme le pétrole brut. (BNSF soutient que cela fait déjà parti de l’entente soumise au vote des membres des syndicats en ce moment. Mais il n’y a rien là qui oblige la compagnie à s’y tenir). L’industrie souligne qu’il n’y a pas que sur les trains transportant du pétrole explosif qu’il y a des dangers reliés aux équipages d’une seule personne. La règlementation de la FRA ne s’appliquerait sans doute pas aux trains transportant du charbon ou du grain ; ils font pourtant le pain et le beurre de M. Buffet.

Travailler seul,

M. Wallace est formel : « Je ne connais aucun ingénieur qui soit pour cette formule. Ils préfèrent tous être avec quelqu’un qui peut les garder alerte, les informer sur se qui doit être fait quand les situations changent et même tout juste pour leur tenir compagnie. Souvent, nous passons plus de 12 heures dans le train tous les jours. Et quand le travail augmente nous faisons jusqu’à 70 heures par semaine. Cela voudrait dire que ces travailleurs passeraient une grande partie de leur vie seuls ».

Néanmoins les ingénieurs ne votent pas sur cette entente de principe. Ce sont les conducteurs qui le font. Et il y a de petits cadeaux pour eux : un bonus à la signature, une augmentation de salaire pour les quelques chanceux qui décrocheront le statut de « maitre conducteur » et la promesse que le plein salaire sera payé en cas de changement de propriétaire ou de mise à pieds.

Mais la majorité, spécialement les conducteurs avec le moins d’ancienneté, ne profiteront jamais de cela. Vraisemblablement ils s’arrangeront pour devenir ingénieur que cela fasse parti de leurs plans en ce moment ou non.

Les syndicats sont divisés. La plupart des ingénieurs viennent des rangs des conducteurs. Vous pouvez y arriver en passant par la formation mais il peut arriver que vous soyez forcé d’y passer surtout s’il y a des besoins pressants d’ingénieurs. M. Wallace pense que beaucoup de conducteurs ne seront pas soumis à cette entente ; qu’ils vont passer dans les rangs des ingénieurs et qu’ils vont se retrouver à travailler seuls dans leur cabine.

La fabrique d’une guerre,

L’entente secrète ne fait pas l’unanimité même au sein de la direction du syndicat SMART. Mais ceux qui la soutiennent mène une forte campagne. Les ingénieurs sont principalement représentés par la Brothehood of Locomotive Engnineers and Trainmen, une division des Teamsters. SMART et BLET s’opposent formellement aux équipages d’une seule personne mais ils ne se présentent pas en front uni. La rivalité entre les syndicats et un sentiment de fatalité, qui voudrait que le changement soit inévitable, ont provoqué bien des ententes à minima. La baisse de travailleurs que provoquera l’introduction des équipages à une seule personne fait que les syndicats du rail se battent pour savoir qui représentera les quelques conducteurs qui resteront.

Selon M. Kaminkow, alors que les directions syndicales refusaient du bout des lèvres l’idée des équipages à une seule personne, en pratique, elles misaient sur n’importe quel arrangement qui leur assurerait la représentation des quelques uns qui vont rester en service : « Nous avons nommé cela la fabrique de la guerre. Il vaudrait mieux qu’on s’attaque à la lutte des classes ».

Des assemblées houleuses,

Les dirigeants de SMART ont immédiatement lancé une campagne d’information. Ils ont utilisé une présentation Power Point pour défendre l’entente. M. Wallace parle d’une campagne de peur : « On se fait dire que si nous n’acceptons pas cette entente, ce sera bien pire dans le futur parce que nous n’aurions plus de rapport de force pour négocier quelque chose de mieux ».

Une des premières réunions a eu lieu à Seattle. L’opposition s’est manifestée avec beaucoup de bruit. (…) « Et il n’y avait pas que des travailleurs du rail, il y avait aussi des instituteurs-trices, des membres divers des Teamsters, des musicienNEs des environnementalistes. Parce qu’en fin de compte, cette politique d’un équipage d’une seule personne, n’est pas seulement dangereuse pour les travailleurs, ça l’est aussi pour l’environnement, pour les villes et villages où nous vivons », nous explique M. Wallis.

D’autres travailleurs du rail sont aussi inquiets si jamais cette mesure devient la norme. M. Wallis ajoute : « Quatre travailleurs de Union Pacific sont venu sur notre ligne de piquetage. (Depuis ce soir là), nous recevons des courriels de partout dans le pays chaque jour qui nous disent vouloir savoir comment ils peuvent mener la lutte également ».

La seconde réunion s’est tenue à Spokane. Une soixantaine de travailleurs du rail en colère avec leurs familles y étaient. M. Hill rapporte qu’ : « il y avait beaucoup de méfiance ». La présentation a commencé mais, le président du local 426 a demandé d’y mettre fin parce que ses membres n’étaient pas intéressés à une séance de propagande, qu’ils voulaient poser leurs questions immédiatement. Les réponses sur des éléments spécifiques de l’entente contenaient beaucoup de « pourrait », « possiblement », « devrait » etc. Le ton a monté !

Beaucoup accusaient les dirigeants de vouloir profiter de la situation parce que beaucoup d’entre eux sont proches de la retraite. Une deuxième réunion devait avoir lieu à Spokane ; elle a été annulée.

À Creston en Iowa, les opposants n’ont pas attendu la réunion prévue pour le 25 d’août ; ils tiennent des ralliements deux fois par jour tout au cours du mois.

Le soutient des environnementalistes,

Au cours de la semaine où s’est tenue la réunion de Seattle, des militantEs pour la cause du réchauffement du climat se sont attachéES à des voies ferrées près d’Anacortes et ont bloqué le passage des trains de BNSF pendant plusieurs heures. Cette action était une opposition à un projet de super terminal pour le pétrole brut transporté par train, à Vancouver.

M. Wallis qui a un pied dans les deux secteurs travaille ardemment à construire des ponts entre les travailleurs du rail et les environnementalistes. M. Buffet est clairement leur ennemi commun puisqu’il contrôle une longue chaine d’expédition du pétrole et du gaz vers la Chine et l’Inde à bien peu de frais.

Mais la méfiance règne dans les deux camps. Certains pensent que les environnementalistes sont des concurrents pour les emplois dans le rail, mais cela est faux. D’autres pensent qu’il est possible d’avoir les deux : les emplois et l’environnement.
Deux projets ont vu le jour ; Solutionry Rail et le Buffet Legacy Campaing. Ils militent pour des emplois plus verts et des trains de passagers à haute vitesse.

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