Édition du 19 novembre 2024

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Syndicalisme

La 18e ronde de négociation (2014-2015)

Des augmentations salariales faméliques et l’apparition subite de surplus budgétaires milliardaires et ininterrompus depuis 2016 (Texte 18)

Mars 2014, le Québec est plongé dans une campagne électorale visant à renouveler la composition de la députation à l’Assemblée nationale. Nous sommes également à plus d’un an de l’échéance des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic au Québec[1].

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En prévision du 18e face-à-face qui aura lieu entre les porte-parole des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic et les négociateurs et les négociatrices du Conseil du Trésor, les organisations syndicales CSN, FTQ et SISP (formé de l’APTS, le SFPQ et la CSQ) annoncent qu’elles se constituent en Front commun intersyndical. Ces organisations regroupent plus de 400 000 salariéEs syndiquéEs des réseaux de la santé et des services sociaux, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la fonction publique provinciale.

Dans la foulée de l’élection générale au Québec, qui a lieu le 7 avril 2014, le Parti libéral est élu. Le gouvernement minoritaire péquiste de Pauline Marois n’aura duré que deux ans (de 2012 à 2014). Le nouveau premier ministre du Québec, Philippe Couillard, peut compter sur une députation majoritaire à l’Assemblée nationale. Qui dit gouvernement majoritaire, dit également capacité de gouverner en faisant fi ou en tenant peu compte des revendications émanant de la population et des groupes sociaux organisés. Et c’est exactement ce que le nouveau premier ministre Couillard fera durant la quasi-totalité de son mandat. Il imposera avec beaucoup de fermeté ses mesures rigoureuses. Ce qui aura pour effet de déclencher une grogne importante dans la population tout au long de ses quatre années au pouvoir. L’impopularité de plusieurs des mesures incluses dans son plan d’austérité contribuera d’ailleurs à lui faire perdre le pouvoir lors de l’élection générale d’octobre 2018.

Revenons au printemps 2014. À peine installé dans ses nouvelles fonctions, Philippe Couillard prétend que les finances publiques affichent un déficit d’un peu plus de 7 milliards de dollars. Montant qui ne sera jamais démontré sur la base d’études comptables crédibles. Dans la vision des choses du nouveau premier ministre, l’équilibre des finances publiques est un impératif incontournable, pour ne pas dire une obsession dogmatique. Philippe Couillard et son équipe ministérielle visent l’atteinte du déficit zéro dans un délai très court (autour de deux ans). Pour ce faire, son gouvernement conviendra d’abord avec les représentatEs de la FMSQ et de la FMOQ d’étaler sur un plus grand nombre d’années leurs hausses salariales (tout en leur garantissant les paramètres à venir dans les secteurs public et parapublic). Ensuite, une vague d’austérité gouvernementale s’abattra sur les personnes vulnérables dans notre société : des services seront supprimés, des prestations seront réduites et la facturation de certains services sera fortement augmentée. Finalement, le président du Conseil du Trésor sera mandaté pour faire accepter par les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic une très décevante et très chétive augmentation salariale pour la période allant de 2015 à 2020. Cette maigrichonne augmentation salariale, que nous détaillerons un peu plus loin, sera présentée comme un gain par certainEs porte-parole du Front commun. Qu’en est-il au juste ?

Les demandes syndicales et les offres gouvernementales

Pour cette négociation, le Front commun intersyndical réclame une convention collective d’une durée de trois ans et une augmentation salariale de 4,5% par année, ce qui doit donner à terme une hausse de 13,5%. Ces demandes sont évaluées à 10 milliards de dollars sur trois ans par le président du Conseil du Trésor, monsieur Martin Coiteux. Il répliquera avec une offre gouvernementale à ses salariéEs syndiquéEs qui est très éloignée de ces demandes. Mi-décembre 2014, le négociateur en chef du gouvernement, monsieur Maurice Charlebois, dévoile la proposition gouvernementale aux demandes syndicales. Il s’agit d’un contrat de travail d’une durée de cinq ans qui prévoit deux années de gel salarial (2015 et 2016) et une négligeable augmentation de 1% pour chacune des trois années suivantes : 2017, 2018 et 2019. En ce qui concerne le régime de retraite, le gouvernement est en demande. Il propose de faire passer l’âge de la retraite sans pénalité actuarielle de 60 à 62 ans et pour ce qui est de la pénalité pour un départ anticipé à la retraite, il souhaite la voir hausser à 7,2% par année, au lieu de 4% en vigueur. Selon Martin Coiteux, cette proposition monétaire tient compte de la capacité de payer des contribuables du Québec.

Ces offres gouvernementales seront très mal accueillies par les porte-parole syndicaux. À première vue, un écart béant (pour ne pas dire un canyon infranchissable ou un creux abyssal) existe entre les demandes syndicales et les offres de l’État-patron. Peu d’observatrices et d’observateurs envisageaient, lors du dépôt des offres gouvernementales, un dénouement négocié. Curieusement et très étonnamment, une entente négociée entre le Conseil du Trésor et le Front commun, après l’exercice de quelques journées de « grève tournante » suivant un calendrier régional, surviendra en décembre 2015.

Au sujet de certaines dispositions de cette entente de principe de décembre 2015

Dans les faits, l’entente de décembre 2015 comportait, au niveau monétaire, les éléments suivants :

0% d’augmentation en 2015 accompagnée d’un montant forfaitaire de 500,00$ ;

1,5% d’augmentation en 2016 ;

1,75% d’augmentation en 2017 ;

2,0% d’augmentation en 2018 ;

0% d’augmentation en 2019 accompagnée d’un montant forfaitaire de 250,00$.

Des dispositions sont prévues en faveur de certains « hommes de métier » ainsi qu’au sujet de la relativité salariale. Il est à mentionner que les montants accordés ici ne s’appliquent pas à la totalité des salariéEs des secteurs public et parapublic. L’augmentation accordée à certains « homme de métier » tourne autour de 10% et s’applique dès la première année de la nouvelle convention collective. Est-il nécessaire de préciser ici que l’écart à combler pouvait atteindre, dans certains cas, jusqu’à 30%. On est encore loin du compte pour certains groupes concernés. De plus, par « relativité salariale », il faut comprendre une démarche qui vise à attribuer le même salaire à la totalité des emplois jugés équivalents et ce sans égard pour la prédominance sexuelle. Il s’agit d’un exercice d’évaluation comparative qui a pour but d’effectuer, là où c’est nécessaire, un redressement salarial qui a pour effet de reconnaître davantage la valeur économique du travail effectué. Parler ici d’une « augmentation salariale » constitue un grossier mensonge. Il est plutôt question d’une correction salariale pleinement justifiée. Pour ce qui est des régimes de retraite, l’âge de la retraite passe de 60 à 61 ans en 2019 (une exception est faite aux employéEs de 60 ans qui auront 30 ans de service, elles et ils pourront prendre leur retraite sans pénalité actuarielle). La pénalité actuarielle passera pour sa part de 4% à 6% en 2020.

Entre les demandes syndicales et l’offre gouvernementale, l’entente de principe répond davantage aux préoccupations et aux objectifs gouvernementaux. Cette entente négociée avalisée par les dirigeantEs du Front commun et recommandée à leurs membres est à plusieurs lieues des revendications syndicales initiales.

Conclusion de cette ronde de négociation

Au sortir de cette ronde de négociation, qui s’est échelonnée sur plus d’un an, le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau, déclarera :

« Pour nous, c’est clair qu’on a atteint l’objectif d’éviter encore plus l’appauvrissement des travailleurs. Et au final de l’exercice, considérant l’inflation, qui n’est pas particulièrement très élevée en termes de prévision, on devrait même être en mesure d’effectuer un certain rattrapage salarial. »

Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/756284/front-commun-details-entente-principe-syndicat-fonction-publique-quebec

Quatre ans plus tard, dans un document de la CSN (document signé par Katerine Desgroseillers et Jean Grégore) il est écrit :

« Des salaires nettement insuffisants

Au fil des conventions collectives, les hausses de salaire du personnel des réseaux ont été presque systématiquement inférieures à l’augmentation du coût de la vie. Globalement, les travailleuses et travailleurs du secteur public se sont appauvris. »

Source : https://www.csn.qc.ca/actualites/sunir-agir-gagner/

Depuis la ronde de négociation de 1979, les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic vont de concession en concession, autrement dit, de défaites en défaites. Ne soyons pas trop « négatif ». Il est arrivé qu’elles et qu’ils ont effectué de légères avancées. Force est de constater, dans l’ensemble, qu’au cours des 40 dernières années, les reculs ont été plus nombreux que les victoires. Pensons ici aux années qui ont suivi le décret de 1982-1983 (coupure de salaire de 19,5% durant trois mois en 1983 et gel d’avancement d’échelon durant la même année) et aussi aux années 2003, 2004, 2015 et 2019 où les augmentations salariales se sont élevées à 0%. Hormis l’équité et la relativité salariale (que les salariéEs des secteurs public et parapublic se sont payées), il n’y a pas eu véritablement de quoi pavoiser à la suite des négociations, qui ont lieu maintenant aux cinq ans, entre le Conseil du trésor et les organisations syndicales (regroupées ou non en Front commun) qui représentent des salariéEs qui travaillent dans des services considérés comme fondamentaux et essentiels dans notre société.

Ainsi donc, sous prétexte que le déficit était un gouffre, le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, est parvenu à convaincre les porte-parole syndicaux du Front commun intersyndical que les salariéEs des secteurs public et parapublic ne méritaient pas plus que 5.25% d’augmentation salariale (et un montant forfaitaire total de 750,00$ qui ne reviendra pas) pour la période allant de 2015 à 2020. Or, quelques mois après la conclusion de cette entente de principe très désavantageuse pour les salariéEs syndiquéEs nous apprenions l’apparition subite et soudaine de surplus budgétaire milliardaire dans les finances publiques au Québec. Ces surplus, répétitifs et ininterrompus, depuis 2016, sont imputables à un certain nombre de facteurs comme, entre autres choses, une bonne performance de l’économie du Québec qui s’accompagne de plus grandes rentrées fiscales et une baisse des taux d’intérêt qui a pour effet de réduire le montant à accorder au remboursement de la dette. Ce qu’on ne nous dit pas ici se résume en ceci : ces surplus s’expliquent également en raison des faméliques augmentations salariales consenties, depuis de trop nombreuses années, aux salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Au lieu de payer adéquatement ses salariéEs syndiquéEs avec l’argent qu’il perçoit des impôts, des taxes, de la péréquation et de ses autres sources de revenus, le gouvernement préfère réduire la dette, investir des milliards dans le Fonds des générations et effectuer des baisses d’impôts qui profitent principalement aux mieux nantis.

À quoi peut-on s’attendre pour la présente ronde de négociation ? L’avenir nous le dira et ce sera quand ces négociations seront derrière nous que nous prendrons le temps de dégager un certain nombre de conclusions qui portent sur les conditions de travail et de rémunération de plus de 500 000 salariÉes syndiquÉes qui sont à plus de 75% (environ) des femmes.

Yvan Perrier

21 novembre 2019

Liste des signes mentionnés ci-haut

APTS : Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux

CSN : Confédération des syndicats nationaux

CSQ : Centrale des syndicats du Québec

FMOQ : Fédération des médecins omnipraticiens du Québec

FMSQ : Fédération des médecins spécialistes du Québec

FTQ : Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec

SFPQ : Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec

SISP : Secrétariat intersyndical des services publics

[1] Les conventions collectives arrivent à terme, si elles ne sont pas prolongées, le 31 mars 2015.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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