Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Derrière les caravanes

L’attention du monde est tournée ces jours-ci sur les milliers de personnes qui traversent le Mexique en provenance d’Amérique centrale. Le phénomène n’est pas nouveau, puisqu’on estime qu’au moins 350 000 centroaméricains transitent par le Mexique à chaque année. En fin de compte, l’exode est devenu visible.

Des images contradictoires

L’opinion des médias est divisée sur le phénomène. Il y a d’une part les images qui nous touchent au cœur. Près de 50 % des personnes qui marchent sont des femmes, en majorité avec leurs enfants. Par ailleurs, on voit que les migrants sont protégés et accueillis par la population mexicaine, aussi bien les secteurs populaires que les institutions. Le président élu, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), promet son appui. Des Mexicains ordinaires, anonymes, les nourrissent, les abritent, les conduisent dans leurs véhicules vers « El Norte ». D’autres médias, comme le réseau Fox aux États-Unis, reprennent le discours du Président Trump et du chef d’État du Honduras (d’où provient la majorité des caravaniers). Ce sont des « criminels », ou au mieux, des personnes manipulées par des forces obscures, qui veulent déstabiliser l’Amérique centrale, le Mexique, les États-Unis. Ce battage médiatique se fait alors que les États-Unis militarisent leurs frontières, comme si ces migrants représentaient une grave « menace ».

Fuir pour la vie

En réalité, la grande majorité des migrants fuient parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Lors du Forum social des migrations à Mexico au début du mois, plus de 1000 chercheurs et militants des droits humains ont bien expliqué la situation où se combine la misère et la violence. Au Guatemala, plus de 11 % du revenu national provient des migrants guatémaltèques, légaux ou illégaux, qui sont surtout aux États-Unis (il y en également dans les femmes du Québec et de l’Ontario). C’est plus de huit milliard de dollars qui permet aux familles restées derrière de manger. En réalité, la principale exportation du Guatemala est son propre peuple.

Grave crise au Honduras

Une situation plus grave sévit au Honduras. Selon le chercheur David Longtin de l’UQÀM, le Honduras est le pays le plus violent au monde. On parle de près de 7 000 homicides par an, dans un pays qui compte moins d’habitants que le Québec. 90 % de ces meurtres n’aboutissent pas à des procès, d’autant plus que les groupes paramilitaires et les gangs du crime organisé exercent une influence énorme sur le système judiciaire, et même sur la police. D’autre part selon Longtin, une partie importante des assassinats se produisent lors d’expulsions forcées des gens des bidonvilles, ou encore de régions rurales convoitées par des entreprises extractivistes. Depuis le coup d’état de 2009 qui a renversé le gouvernement élu de Manuel Zelaya, la répression s’est aggravée, d’où un exode continu de 100 000 Honduriens par an. Ils doivent payer de $3000 à $8000 aux passeurs (les « coyotes ») qui très souvent les volent et les violentent. Plusieurs dizaines de milliers sont emprisonnés et refoulés aux frontières. Depuis l’intronisation de Donald Trump, la situation s’est aggravée. Par exemple, les enfants de ces migrants « illégaux », nés aux États-Unis, sont également passibles d’expulsions, comme leurs parents. Par ailleurs, 60 000 Honduriens, qui avaient reçu des permis de résidence temporaires à la suite du terrible ouragan Mitch en 1998, sont menacés de voir ce permis révoqué.

Rêve ou cauchemar

Les migrants dans les caravanes ou ceux et celles qui fuient par les réseaux en place viennent des couches populaires. Au Honduras sous le régime actuel présidé par Juan Orlanda Hernandez (réélu en 2017 dans des conditions marquées par de graves fraudes), on pense s’en sortir en allant vers El Norte, même si les conditions de l’exode sont terribles, notamment pour les femmes. La majorité sont violées, selon les organismes de défense des droits, par les « coyotes » ou les policiers, ou les deux. Comme elles n’ont pas de moyens de contraception, les organismes d’accueil et de défense au Mexique leur distribuent des contraceptifs gratuitement. La question n’est pas si elles seront violées ou pas, mais combien de fois elles le seront, comme l’explique le journaliste, activiste et ex-député, hondurien Bartolo Fuentes, plusieurs fois menacé de mort par les criminels et leurs complices dans la police.

Regain d’espoir

Tel que dit auparavant, le Mexique dont une grande partie de la population travaille ou essaie de rentrer aux États-Unis, est devenu le point de mire de cet exode qui selon l’ONU est le plus important au monde actuellement. L’Institut national des migrations (l’équivalent d’un ministère) affirme que le Mexique doit offrir le gite, la protection et le permis de travail. Selon la chercheure Marie-Christine Doran de l’Université d’Ottawa, l’atmosphère a changé depuis l’élection d’AMLO en juillet dernier. La Cour suprême vient dans un jugement inattendu d’ordonner une enquête officielle sur la disparition des 43 étudiants dont on présume la mort aux mains de policiers dans l’État de Guerrero en septembre 2014. La Commission nationale des droits humains, un organisme paragouvernemental, dénonce Trump, le mur et tout le reste, en invoquant la charte des Nations Unis sur les droits des réfugiés. Des ONG mexicaines, de même que l’Église catholique, sont fortement mobilisées pour aider et accueillir les migrants.

En attendant devant le Mur

Selon Doran, le Mexique était plongé depuis une vingtaine d’années dans une violence tout azimut, avec des milliers de meurtres et des dizaines de milliers de déplacés. Si la donne change dans ce pays, ce sera toute la région qui en sera affectée. En attendant, les premiers arrivés des caravanes viennent d’arriver à Ciudad Juárez, à la frontière avec les États-Unis. Même si on leur promet l’accueil au Mexique, la majorité continue de penser que leur vie sera meilleure aux États-Unis, où la plupart d’entre eux ont déjà des parents et des amis, « légaux » ou « illégaux ». D’autres caravanes pourraient suivre, bien que la marche de 2600 kilomètres vers la frontière états-unienne soit épuisante.

Leila Celis

professeure à l’UQÀM

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