Édition du 12 novembre 2024

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Israël - Palestine

Déjà, il reste peu de la Palestine. Pas à pas, Israël est en train de la rayer de la carte..

Face à la tragédie de Gaza, je n’ai rien trouvé de mieux —pour exprimer ce que tant d’entre nous peuvent ressentir— que ce magnifique texte d’Eduardo Galeano écrit pourtant le 26 novembre 2012. Il reste d’une actualité brûlante, et en le traduisant au plus près, j’y ai trouvé toutes les nuances nécessaires, sans pour autant se laver les mains et éviter de prendre parti. Courageusement, en osant aller à l’encontre de tant de discours hégémoniques qui occupent si outrageusement, une si grande partie de l’espace public. Quelque chose de salutaire (1) !

Pierre Mouterde - traduction
Québec, le 12 août 2014

Pour se justifier, le terrorisme d’État fabrique des terroristes : il sème la haine et engrange des alibis. Tout indique que cette boucherie de Gaza, qui selon ses auteurs veut en finir avec les terroristes, ne réussira qu’à les multiplier. Depuis 1948, les Palestiniens vivent en étant condamnés à l’humiliation perpétuelle. Ils ne peuvent pas même respirer sans permission. Ils ont perdu leur patrie, leurs terres, leur eau, leur liberté. Ils ont tout perdu. Ils n’ont même pas le droit d’élire leurs gouvernants. Quand ils votent pour ceux qu’ils ne devraient pas choisir, on les punit. Gaza est en train d’être punie. Elle s’est convertie en une souricière sans issue depuis que le Hamas a proprement gagné les élections de l’année 2006.

Quelque chose de semblable est arrivé en 1932, quand le Parti communiste a gagné les élections au Salvador. Couverts de sang, les Salvadoriens ont expié leur mauvaise conduite et depuis vivent soumis à des dictatures militaires. La démocratie est un luxe que tous ne méritent pas. Ils sont fils de l’impuissance ces missiles artisanaux que les militants du Hamas, acculés dans Gaza, tirent avec une adresse de chanceux sur les terres qui ont été palestiniennes et que l’occupation israélienne a usurpées. Et la désespérance, à la limite de la folie suicidaire, est la mère de ces fanfaronnades qui refusent à Israël le droit d’exister ; cris sans efficacité aucune, alors qu’une très efficace guerre d’extermination est en train de bafouer, depuis des années, le droit à l’existence de la Palestine. Déjà il reste peu de la Palestine. Pas à pas, Israël est en train de la rayer de la carte.

Les colons envahissent, et derrière eux les soldats s’en vont corriger les frontières. Les balles avalisent le dépouillement, au nom de la légitime défense. Il n’y a pas de guerre agressive qui ne se dise défensive. Hitler a envahi la Pologne pour éviter que la Pologne n’envahisse l’Allemagne. Bush a envahi l’Irak pour éviter que l’Irak n’envahisse le monde. En chacune de ses guerres défensives, Israël a avalé un autre morceau de la Palestine, et les petits déjeuners suivent. Le festin se justifie des titres de propriété que la Bible a fournis, des 2 000 ans de persécution dont a souffert le peuple juif, et de la panique que les Palestiniens à l’affût alimentent. Israël est le pays qui jamais ne se soumet aux recommandations et aux résolutions des Nations-unies, et qui jamais ne respecte les sentences des tribunaux internationaux. Il est celui qui se moque des lois internationales, et est aussi l’unique pays ayant légalisé la torture des prisonniers.

Qui lui a offert le droit de bafouer tous les droits ? D’où provient cette impunité à l’abri de laquelle Israël massacre Gaza. Le gouvernement espagnol n’aurait pas pu bombarder impunément le pays basque pour en finir avec l’ETA, ni le gouvernement britannique n’aurait pu écraser l’Irlande pour liquider l’IRA. Peut-être, est-ce la tragédie de l’Holocauste qui délivre une assurance d’éternelle impunité ? Ou ce feu vert provient-il du grand manitou tout puissant qui a fait d’Israël le plus inconditionnel de ses vassaux ? L’armée d’Israël, la plus moderne et la plus sophistiquée du monde, sait qui elle tue. Elle ne tue pas par erreur. Elle tue par horreur. Selon le dictionnaire d’autres guerres impériales, les victimes se dénomment : dégâts collatéraux .

À Gaza, de chaque 10 dégâts collatéraux, 3 sont des enfants. Et il faut y ajouter les milliers de mutilés, victimes de la technologie du dépècement humain, que l’industrie militaire expérimente avec succès lors de cette opération de nettoyage ethnique. Et comme toujours, c’est la même chose : à Gaza, 100 pour un. Pour chaque cent Palestiniens morts, un Israélien. Gens dangereux, rappelle l’autre bombardement ; à charge des médias massifs de manipulation de nous faire croire qu’une vie israélienne vaut autant que 100 vies palestiniennes. Et ces médias nous font croire aussi que sont humanitaires les 200 bombes atomiques d’Israël, et qu’une puissance nucléaire appelée Iran a été celle qui a réduit à néant Hiroshima et Nagasaki.

La dite communauté internationale, existe-t-elle ? Est-elle plus qu’un club de commerçants, de banquiers et de guerriers ? Est-elle plus que le nom d’artiste que se donnent les USA quand ils font du théâtre ? Face à la tragédie de Gaza, l’hypocrisie mondiale brille une fois de plus de tous ses feux. Comme toujours, l’indifférence, les discours vides, les déclarations creuses, les déclamations grandiloquentes, les positions ambiguës, payent leur tribu à l’impunité sacrée. Face à la tragédie de Gaza, les pays arabes se lavent les mains. Comme toujours. Et comme toujours, les Européens se frottent les mains.

La vieille Europe, capable de tant de beauté et de perversité, verse une larme ou deux pendant que secrètement elle célèbre cette partie de maître. Pourquoi la chasse des juifs fut-elle toujours une coutume européenne, alors que depuis une moitié de siècle cette dette historique est payée par les Palestiniens, eux qui aussi sont des sémites et qui ne furent jamais, ni ne sont des antisémites ? Ils sont en train de payer, en sang sonnant et trébuchant, la dette d’un autre.

(Cette article est dédié à mes amis juifs assassinés par les dictatures latino-américaines qu’Israël a conseillées)

Eduardo Galeano
(traduction, Pierre Mouterde)

P.S. : même si l’inégalité des forces en présence reste fondamentalement la même, les données chiffrées évoquées par Eduardo Galeano pour l’année 2012 ne correspondent plus tout à fait à celles de 2014 (entre autres, du côté israélien à cause de la dureté des combats dans les tunnels). À l’heure qu’il est (13 août 2014), on compte 1875 Palestiniens morts (dont 430 enfants et une immense majorité de civils) pour 67 Israéliens tués (dont 64 soldats). Le rapport entre les morts des deux camps se situerait donc cette fois-ci plus aux alentours de 30 à 1 (30/1).

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