Tiré de Europe Solidaire sans frontière.
Pascale Monnier, Ouest-France - La collapsologie n’est pas un concept si nouveau. Pourquoi cette idée d’un effondrement de notre civilisation fascine-t-elle certains ?
Daniel Tanuro - Historiquement, les crises sociales très profondes ont souvent fait naître l’idée que l’humanité était condamnée. Ce fut le cas juste avant l’an mille, puis encore pendant la Grande Peste. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une crise écologique très grave. La destruction du climat et de la biodiversité fait peser des menaces terribles sur des centaines de millions de gens, peut-être davantage. L’idée d’effondrement refait surface auprès de gens qui ont peur (à juste titre) mais qui ne voient pas de solution.
Si vous ne niez pas la gravité de la crise écologique, vous ne tombez pas dans le catastrophisme…
N’accusons pas les lanceurs d’alerte de catastrophisme. En réalité, nous sommes déjà dans la catastrophe, elle grandit autour de nous. Par exemple, il y a sur le Groenland assez de glace pour faire monter le niveau des mers de 6 mètres. En dix ans, la fonte de la glace a été multipliée par quatre. Selon le GIEC, la dislocation de la calotte s’amorcera entre 1,5° et 2°C de réchauffement et sera irréversible. On n’est plus très loin du point de basculement. L’urgence est donc vraiment maximale. Mon désaccord avec les effondristes ne porte guère là-dessus. Il porte sur ce qu’il faut dire et faire face à cette situation.
Pour vous, il serait d’ailleurs dangereux de se résigner à cette fin du monde annoncée ?
Exactement. Dans le passé, l’Eglise recommandait de se résigner parce que l’effondrement était le châtiment que Dieu infligeait à l’humanité pour ses péchés. Aujourd’hui, certains effondristes recommandent de se résigner au châtiment infligé à l’humanité parce qu’elle na pas changé ses comportements, ne les a pas écoutés, eux, qui prétendent parler au nom de « La Science ». La démarche est la même : se résigner, accepter. Comme s’il n’y avait pas de responsables de la catastrophe, comme s’il n’y avait pas de comptes à régler avec les multinationales du pétrole, du charbon, de l’agrobusiness. Nous sommes sur la même mer, mais pas sur le même bateau : les responsables du désastre naviguent en yacht, les victimes s’entassent sur des barquettes. L’appel à la résignation sème la sidération. Or on a besoin de lucidité : il faut identifier les responsables du gâchis, les mettre en accusation, puis élaborer un plan d’urgence écologique et social afin d’arrêter la catastrophe aux frais de ceux qui l’ont provoquée.
Les projets de communautés « de résilience » ou d’éco-villages, créés après l’apocalypse redoutée, vous interrogent aussi ?
Il est très important de lutter contre la destruction au niveau des territoires. A cet égard, Notre-Dame des Landes est un magnifique exemple. Mais il y a deux types de projets de ce genre : ceux des zadistes font avancer la convergence des luttes pour un changement de société ; ceux des colibris, par contre, entretiennent le mythe d’une transition douce, par contagion, sans adversaires et sans lutte. Les collapsologues qui croient que le capitalisme va s’effondrer, que l’Etat va disparaître et qu’un monde idéal de communautés résilientes surgira des décombres se fourrent le doigt dans l’oeil. Passer à une autre société, de type écosocialiste et autogestionnaire, nécessite un combat social et une alternative politique.
Vous ne partagez pas du tout les thèses de l’intellectuel américain Jared Diamond, auteur d’Effondrement, best-seller en 2007 ?
Il ne s’agit plus de partager ou non les idées de Diamond, elles ont été battues en brèche par de nombreux scientifiques. En particulier, l’idée de l’écocide de l’île de Pâques a été complètement démontée au terme de cinq années de fouilles menées par Terry Hunt et Carl Lipo, deux archéologues qui, au départ, croyaient à l’hypothèse de l’Effondrement. Il n’y a qu’en France que des ministres osent encore porter Diamond au pinacle…
Évoquant l’ouvrage de l’agronome Pablo Servigne, Une autre fin du monde est possible, paru en 2015, vous parlez de « dérives idéologiques » ?
Cet ouvrage est plein de nostalgie romantique pour la vie des communautés pré-modernes, proches de la nature. La nostalgie est une révolte contre la laideur de la modernité. Elle peut devenir révolution, mais elle peut aussi virer à la réaction quand elle ne s’inscrit pas dans les luttes des exploités pour un autre futur. Mircea Eliade et Carl Gustav Jung, par exemple, sont passés au fascisme. Or, Servigne et ses amis s’y réfèrent abondamment et sans critique. C’est un jeu dangereux ; qui peut dériver indépendamment de leur volonté.
Mais tous les collapsologues sont-ils à mettre dans le même panier ?
Non. Tous ne sont évidemment pas des gentlemen farmers survivalistes. Des gens influencés par la thèse effondriste participent aux grèves pour le climat, aux actions contre les grands projets fossiles, etc. Avec ceux-là, les désaccords se clarifieront dans l’action.
• Paru dans Ouest France du dimanche 27 octobre 2019.
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