Tiré de la page web de Via Campesina
De nombreuses voix africaines – exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – ont été captées et légitimées lors de ce rassemblement. C’était « un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables », comme le souligne leur déclaration (à lire ci-dessous).
L’événement a offert aux délégué.e.s un espace fructueux pour discuter, élaborer des stratégies et proposer des actions concrètes pouvant conduire à des solutions climatiques justes à travers l’Afrique. Divers thèmes ont été abordés au cours de la conférence, de la souveraineté alimentaire à la lutte contre les fausses solutions climatiques, en passant par les impacts sur l’environnement et les communautés locales de pêcheur.e.s.
Evelyne Awuor, de la Kenyan Peasants League (KPL), membre de La Via Campesina (LVC) SEAf du Kenya, a assisté à la conférence et était heureuse de partager des histoires de communautés où les agricultrices ne sont pas invitées aux réunions. « J’ai veillé à être présente et à partager leur message, occupant ainsi avec force des espaces dans lesquels elles étaient exclues », conclut-elle.
L’APCC est devenue une plateforme pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés en Afrique et une excellente occasion d’échanger des idées et des rêves d’un meilleur avenir pour tou.te.s !
Lisez ci-dessous leur déclaration complète, rédigée à l’issue de la réunion :
L’Afrique unie contre l’oppression systématique et l’injustice climatique : Déclaration des peuples africains pour la justice climatique
Du 7 au 10 octobre 2024, le Collectif africain pour la justice climatique a organisé la première Conférence des peuples africains pour la justice climatique (APCC) en présentiel à Saly, au Sénégal. Plus d’une centaine de participant·e·s issus de mouvements sociaux, de communautés de base, de femmes, de jeunes, d’organisations de la société civile, d’universitaires, de travailleurs et d’autres personnes de 21 pays y ont pris part.
L’APCC reconnaît que les voix africaines ont été largement exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, captée par les États et les entreprises du Nord, qui continuent d’alimenter les crises climatiques tout en prétendant faussement résoudre les causes du changement climatique. L’APCC constitue donc un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables. Cela se fait par le partage des connaissances et l’activisme des communautés africaines les plus vulnérables en première ligne de la crise climatique, en particulier les femmes, les jeunes, les militant·e·s et les OSC.
L’APCC a créé un espace où les voix des communautés de base et des militant·e·s ont été entendues et saluées, contrairement à la COP, où ces voix sont marginalisées. Les délégué·e·s ont partagé leurs récits sur les impacts du changement climatique : sécheresses, inondations, érosion, mauvaises récoltes, cyclones, élévation du niveau de la mer, tempêtes de poussière et menaces pour les écosystèmes marins et terrestres, aggravées par l’accaparement des ressources et des terres, ainsi que par les conflits induits par le climat. Ces événements ont entraîné des déplacements, des pertes de moyens de subsistance, des pertes et dommages connexes, des victimisations, des arrestations, du harcèlement et même la mort de membres de la communauté et de militant·e·s qui défendent leurs territoires.
En raison du rétrécissement des espaces civiques dans de nombreux pays, la plateforme APCC est devenue un lieu pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés, ainsi que de la manière dont la géopolitique a affecté la capacité de l’Afrique à répondre aux impacts du changement climatique. Plusieurs thèmes ont été abordés.
-Souveraineté alimentaire : La nécessité de renforcer les pratiques agroécologiques, la gestion communautaire des forêts et des terres, le pastoralisme et les pratiques de pêche locale, en particulier pour les femmes, qui constituent la majorité des personnes dans les zones rurales.
-Transitions justes : Une interrogation sur les considérations relatives au travail dans la souveraineté énergétique, l’élimination rapide, juste et équitable des combustibles fossiles, et le changement de système à mesure que nous évoluons vers l’adoption des énergies renouvelables et l’industrialisation verte pour le continent africain.
-Systèmes zéro déchet : Une opportunité pour les gouvernements africains d’intégrer des pratiques de gestion décentralisée des déchets afin de réduire les émissions de méthane.
-Financement climatique : L’accent est mis sur l’architecture financière nécessaire à la transition juste, à l’adaptation, à l’atténuation et au fonds pour les pertes et dommages, avec un appel à garantir que les communautés les plus vulnérables touchées par le changement climatique aient accès à ces fonds.
À l’approche de la COP29 qui se tiendra à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024, les peuples africains se mobilisent pour défendre leur droit à un environnement sûr, propice à la croissance et au progrès, même face à la dévastation climatique, environnementale, sociale et économique aggravée par l’architecture néolibérale soutenue par les pays du Nord.
La région de Saint-Louis et la Langue de Barbarie au Sénégal illustrent bien ces défis environnementaux dramatiques : élévation du niveau de la mer, érosion côtière, inondations et salinisation des terres agricoles. Le projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA), mené par des sociétés transnationales (STN), BP et Kosmos Energy, doit exploiter l’un des plus grands gisements de gaz naturel d’Afrique de l’Ouest, situé à la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie. Bien que ce projet soit présenté comme un vecteur de développement économique, il constitue en réalité une menace sérieuse pour les communautés locales, en particulier pour les pêcheurs artisanaux de Saint-Louis.
La pêche artisanale, pilier de l’économie locale, fait vivre des milliers de familles et contribue à la souveraineté alimentaire des femmes, des populations autochtones et de leurs communautés. Cependant, l’exploitation du gaz dans les eaux menace directement ces communautés de pêcheurs et la région dans son ensemble. Les zones de pêche traditionnelles sont désormais interdites, et la pollution croissante due aux forages et aux opérations sismiques compromet gravement la santé des écosystèmes marins. Les eaux, la biodiversité et le patrimoine naturel sont détruits au profit de quelques-uns.
En réponse aux présentations faites, les participants à l’APCC 2024 ont conclu que la crise climatique en Afrique est transversale et ont réaffirmé que les Africains ont contribué de manière minime aux émissions responsables du réchauffement climatique. Cependant, en raison de capacités limitées d’adaptation et d’atténuation du changement climatique, nous, Africains, sommes confrontés à la majorité des défis causés par la crise climatique qui ravage le continent aujourd’hui.
Pour démanteler le pouvoir d’exploitation et l’impunité, les peuples africains affirment leur pouvoir de reléguer les faux récits en promouvant des solutions africaines à travers les déclarations suivantes, en opposition aux impositions du marché et du Nord global lors de la prochaine COP29 à Bakou.
En tant que peuples d’Afrique, nous déclarons :
-Justice climatique maintenant : Nous exigeons la justice climatique pour les communautés du Sud global au centre de l’action climatique. Les pays du Nord global, qui ont le plus contribué à la crise climatique, doivent mener le processus de réduction des émissions à la source et financer les transitions nécessaires en guise de paiement de la dette climatique due au Sud global. Nous dénonçons toutes les formes de fausses solutions au changement climatique, telles que REDD+, Net zéro et la géo-ingénierie, qui aggravent encore davantage les crises climatiques.
- Mettre fin aux extractions de combustibles fossiles en Afrique MAINTENANT : Toutes les formes d’exploration, d’extraction et de production de combustibles fossiles en Afrique doivent être immédiatement arrêtées. Il est temps de donner la priorité aux pratiques durables grâce à une énergie renouvelable centrée sur les personnes, qui protège nos écosystèmes et soutient les économies locales. Les entreprises de combustibles fossiles doivent financer la réhabilitation des terres, des océans et des rivières dégradés par l’extraction d’hydrocarbures.
-Migration et déplacements induits par le climat : Avec l’augmentation des crises climatiques, de nombreux Africains sont contraints de migrer, risquant leur vie dans des voyages dangereux vers le Nord global ou devenant des réfugiés climatiques en Afrique, ce qui entraîne des insécurités alimentaires, foncières et des conflits. Pour y remédier, il faut s’adapter et renforcer la résilience face aux impacts climatiques, tels que les sécheresses, les inondations, l’érosion côtière et la désertification, et veiller à ce que les communautés disposent des ressources nécessaires pour rester dans leurs terres d’origine ou se réinstaller dans des zones propices sans détruire leurs moyens de subsistance, leur culture et leur langue.
-Dette climatique, réparations et réformes économiques : Les réparations climatiques, la remédiation et l’indemnisation des populations touchées en Afrique, ainsi que les réparations coloniales, doivent être versées aux nations africaines et au Sud global, reflétant l’ampleur des dommages causés par le changement climatique et l’exploitation historique. Ces réparations doivent prendre la forme de subventions, et non de prêts qui aggravent encore la dette. L’APCC exige un mécanisme de financement mondial dédié aux pertes et dommages, doté d’au moins 100 milliards de dollars de financements nouveaux et supplémentaires par an d’ici 2030. Ce financement doit être fourni par les pays du Nord, qui portent la responsabilité historique des émissions mondiales. Les pays africains devraient se concentrer sur la valorisation de la valeur ajoutée et sur des partenariats stratégiques qui élèvent la position de l’Afrique dans la chaîne de valeur. Il est urgent de procéder à une réforme fiscale structurelle de l’architecture financière actuelle, qui mettra fin aux flux financiers illicites et à l’évasion fiscale des sociétés transnationales (STN). L’APCC s’oppose fermement à la marchandisation des forêts, des terres et des ressources naturelles africaines par le biais du commerce du carbone.
-Réformer les lois foncières et promouvoir la souveraineté alimentaire : Les gouvernements africains doivent adhérer à la souveraineté alimentaire en donnant la priorité aux cultures vivrières locales par rapport aux cultures commerciales et en promouvant des méthodes de conservation des semences résistantes aux OGM. Cette protection doit inclure des politiques contraignantes ratifiées telles que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Il est urgent de réévaluer les lois coutumières qui donnent du pouvoir aux communautés locales. Les pays africains ont besoin d’un minimum de 15 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour financer les mesures d’adaptation agricole, et au moins 5 milliards de dollars par an doivent être consacrés aux pratiques agroécologiques.
-Souveraineté énergétique et démocratie pour tous : La transition vers les énergies renouvelables en Afrique doit être soutenue en priorité avant que l’Afrique n’exporte ses ressources pour la transition vers le Nord global. Les projets d’énergie renouvelable doivent être détenus par la société et bénéficier aux femmes, aux jeunes, aux populations autochtones et aux communautés locales avant l’industrie. La transition doit être menée par la base, en veillant à ce que les politiques donnent la priorité au bien-être des personnes et de l’environnement, et non aux profits des entreprises.
-Halte au colonialisme des déchets : L’Afrique n’est pas un dépotoir et nous ne sommes pas jetables. Il est donc primordial pour nous, Africains, de nous adapter au Traité mondial sur les plastiques, qui nous permet de lutter contre la pollution plastique tout au long de son cycle de vie, de l’extraction à la production et à l’élimination.
-Consentement préalable, libre et éclairé (CLIP) et autodétermination : Le droit des femmes, des peuples autochtones et de leurs communautés au CLIP doit être ratifié et mis en œuvre dans tous les projets d’extraction. Les communautés doivent avoir le droit de dire non ou oui au développement. Si les communautés disent oui, elles doivent dicter les conditions du projet d’une manière qui leur soit bénéfique ainsi qu’à leur environnement. L’indemnisation doit être proportionnelle au niveau de déplacement et de pertes.
-Impliquer les personnes touchées et marginalisées dans la prise de décision : Les gouvernements doivent développer des mécanismes de participation durables qui amènent les femmes, les jeunes autochtones, les personnes handicapées, ainsi que les éleveurs, les pêcheurs et les petits producteurs alimentaires à la table des discussions politiques pour créer des politiques centrées sur les personnes et de véritables solutions qui répondent aux effets du changement climatique. Les demandes des personnes touchées, dans leur diversité, doivent être entendues et respectées.
-Renforcement de la résilience en Afrique : Les Africains doivent se lever contre l’oppression systématique et l’injustice climatique en partageant leurs compétences en matière de résilience et leurs connaissances traditionnelles à travers la narration, le partage d’expériences et l’apprentissage, et mettre ces connaissances en pratique dans nos communautés africaines dirigées par des peuples autochtones et des femmes. Ces connaissances doivent être respectées et intégrées dans d’autres systèmes et processus, car elles constituent des savoirs spécialisés.
En conclusion, la Contre-COP des peuples africains est organisée en réponse à la cooptation de la COP par le capitalisme et le Nord global, qui perpétuent les injustices à l’origine de la crise climatique. Par conséquent, nous, du Sud global, et les Africains en particulier, devons entreprendre des actions qui remédient aux crises climatiques de manière juste et holistique.
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