Édition du 19 novembre 2024

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Environnement

Couper plus d'arbres pour lutter contre les changements climatiques ? Oui, mais…

Les récentes déclarations de Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, ont suscité beaucoup d’incompréhension et un certain émoi auprès du public, des écologues et des environnementalistes.

Tiré de The conversation.

Le ministre a en effet affiché son intention d’intensifier le rythme des coupes forestières, arguant que cela contribuerait en fait positivement à la lutte contre les changements climatiques.

Couper des arbres pour séquestrer plus de gaz à effet de serre (GES) ? Une telle notion semble irrémédiablement contradictoire avec celle de planter des arbres, souvent mise de l’avant dans un but similaire, comme l’a fait, par exemple, le gouvernement fédéral.

Elle a pourtant un certain mérite, bien que les déclarations du ministre Dufour doivent être nuancées, et que des doutes puissent également être émis quant au bien-fondé d’une partie des méthodes envisagées.

Commençons par rappeler que le carbone est l’élément constitutif de base des organismes vivants. Il est présent en quantités particulièrement importantes dans les végétaux dits ligneux (rigides) tels que les arbres. La moitié de leur masse sèche est, en moyenne, constituée de carbone. Lorsque les végétaux croissent, ils ponctionnent le carbone dont ils ont besoin depuis l’atmosphère (où il se trouve principalement sous forme de CO2, un GES) pour former leur masse par photosynthèse.

Lorsque ces arbres meurent, ce carbone qui les compose est plus ou moins rapidement incorporé dans les sols, puis relâché à nouveau dans l’atmosphère lors du processus de décomposition. Dans la forêt boréale, les conditions froides et acides des sols font en sorte que la décomposition est lente, ce qui mène à l’accumulation d’un autre stock de carbone dans les sols forestiers, souvent encore plus important que celui des arbres.

Coupe forestière n’égale pas déforestation !

On comprend donc comment planter des arbres pour créer des nouvelles forêts permet naturellement de constituer un nouveau stock de carbone, dans la végétation et dans les sols, en en enlevant une quantité équivalente de l’atmosphère. Tant qu’on a la place pour le faire, planter de nouvelles forêts est donc souvent une bonne chose. Le processus inverse est la déforestation, laquelle est encore responsable d’environ 10 pour cent des émissions mondiales de GES, selon le dernier rapport du GIEC.

Il ne faut toutefois pas confondre déforestation et coupe forestière ! On parle de déforestation lorsque la forêt est remplacée par un autre usage – bien souvent agricole – et ne reviendra donc pas une forêt dans un futur prévisible. Au niveau mondial, c’est un phénomène qui concerne principalement les forêts tropicales et équatoriales. Au Québec, la coupe ne détruit pas définitivement les forêts : naturellement ou avec un peu d’aide par de la plantation, la forêt va repousser, et donc reconstituer son stock de carbone en prélevant à nouveau du CO2 de l’atmosphère.

Le bois pour remplacer le béton et l’acier

Si l’on se base juste sur ce qui vient d’être dit, il semblerait donc que les coupes forestières ont bien un effet négatif quoique temporaire sur les stocks de carbone des écosystèmes forestiers. Et si l’on ajoute les émissions dues aux activités forestières elles-mêmes (machinerie, transport, transformation…), comment accroître les coupes pourrait permettre de lutter contre les changements climatiques ?

De deux façons en fait. La première c’est que l’industrie forestière crée un nouveau stock de carbone : les produits du bois. Le carbone présent dans la partie exploitable du tronc des arbres peut rester emprisonnée hors de l’atmosphère pendant un temps très appréciable pour des produits à longue durée de vie (meubles et bâtiments par exemple). Ainsi, on estime que 56,9 pour cent du carbone récolté au Canada entre 1990 et 2008 était encore séquestré dans des produits du bois en 2013.

La deuxième est lorsque ces produits du bois se substituent à d’autres produits dont la construction ou l’usage génère des GES. L’exemple classique est le remplacement du béton et de l’acier dans la construction (ces deux secteurs sont responsables à eux seuls d’environ 14 pour cent des émissions de GES d’origine humaine, d’après le rapport du GIEC de 2014) mais on peut aussi citer la valorisation des résidus de récolte ou de sciage par la bioénergie.

Dans ce dernier cas, il y a tout autant de carbone rejeté dans l’atmosphère que si l’on utilisait du fioul ou du gaz, mais la différence majeure est que ce carbone ne fait que compléter un cycle car il provenait déjà de l’atmosphère (d’où les arbres l’avaient pris) plutôt que d’un réservoir fossile qui était emprisonné sous terre depuis des millions d’années. Si la forêt est aménagée de façon durable (on ne coupe pas plus vite que la capacité de repousse), l’effet est neutre en-dehors des émissions dues à la machinerie forestière.

Il faudrait donc vraiment pousser au maximum l’exploitation de nos forêts ? Oui et non. Certains éléments du plan présenté, comme de favoriser les produits du bois de plus haute qualité (et donc à longue durée de vie), ainsi que d’améliorer le suivi et la gestion des surfaces exploitées, sont tout à fait louables.

D’autres aspects peuvent par contre soulever l’inquiétude, comme cette vieille idée selon laquelle les vieilles forêts et les arbres morts ne feraient qu’émettre du carbone. Ainsi, elles devraient être coupées afin de laisser la place à de jeunes forêts, quitte à subventionner l’industrie pour aller chercher du bois non rentable car situé sur des territoires trop éloignés ou compliqués à exploiter.

S’il est vrai que des jeunes arbres en pleine croissance captent le carbone plus rapidement, cela peut néanmoins prendre des décennies pour remplacer ce qui a été émis à la suite de la récolte, voire des siècles dans le cas de très vieilles forêts ayant accumulé un large stock de carbone dans leurs sols.

La forêt en tant qu’écosystème

Il est donc crucial de bien identifier les zones productives qui devraient être exploitées intensivement afin de fournir la société en bois, et celles qu’il vaudrait mieux couper plus légèrement (ou pas du tout) afin de conserver en place des stocks de carbone qui mettraient trop longtemps à se reconstituer. Par exemple, dans des zones plus froides où la croissance végétale et la décomposition sont lentes, favorisant ainsi le stockage du carbone dans les sols plutôt que dans le bois. Des recherches sont toutefois encore nécessaires pour atteindre une telle optimisation dans la gestion du carbone forestier, surtout si l’on veut prendre en compte les futurs impacts des changements climatiques sur nos forêts.

Il ne faut pas non plus oublier que le bois et la captation du carbone ne sont qu’une partie des services rendus par nos forêts, et qu’il est important par ailleurs de conserver des paysages aux attributs naturels, incluant des vieilles forêts.

Si nous cherchons à toutes les remplacer par de jeunes plantations à croissance rapide au nom de la lutte contre les changements climatiques, la biodiversité (par exemple la faune, les champignons, les plantes médicinales) et le caractère encore sauvage de nos forêts disparaîtront comme ce fut le cas ailleurs.

Xavier Cavard

Professeur titulaire de la Chaire UQAT-MFFP en Gestion du Carbone Forestier, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)

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