Édition du 19 novembre 2024

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Amérique latine

Coupe du Monde : derrière le spectacle des buts, la lutte – Les mouvements de mécontentement ont permis un renouvellement du front social brésilien

Alors que show de la coupe du monde s’est emparé de la planète, occupant écrans et discussions, les luttes de différents secteurs de la population brésilienne viennent mettre à mal cet emballement faussement unanime.

Il n’est pas besoin de revenir ici sur le caractère sordide de la grand-messe de la coupe du monde. Notre journal [« solidaritéS »] a déjà dénoncé le comportement de la FIFA et de l’UEFA, qui avouent leur préférence pour les régimes dictatoriaux, imposent des règles liberticides, s’approprient la majeure partie des profits… Le véritable intérêt de cet événement réside plutôt dans le fait qu’il a suscité et médiatisé de larges mouvements de mécontentement social.

Les deux visages de la croissance

La situation du Brésil après 12 années de gouvernement PT (parti des travailleurs) est ambivalente. Le pays a bien connu une croissance forte, son PIB par habitant ayant dépassé les 12 000 dollars en 2013, ce qui constitue un record pour le pays. De larges couches de la population précarisée (35 à 40 millions) sont venues renforcées la classe moyenne. L’éducation s’est également fortement améliorée : la population universitaire a doublé en dix ans.

Cependant cette croissance ne doit pas faire oublier les problèmes qui marquent encore la société brésilienne. La création d’emplois et l’augmentation des salaires découlant plus de la croissance économique que d’une véritable politique redistributive du PT, la crise actuelle vient mettre à mal ces acquis mal protégés du fait de l’absence d’une telle politique. De plus, les emplois qui ont été créés ces dernières années se situent en grande partie dans le secteur des services, où les conditions de travail restent précaires, marquées par de bas salaires et un renouvellement permanent du personnel, ne garantissant donc pas des emplois à long terme, donnant naissance à un nouveau prolétariat.

On peut également ajouter que la croissance économique n’a en rien supprimé la violence qui marque le pays. Au contraire, cette dernière a augmenté de manière constante ces dernières années. Selon Le Monde, le Brésil possède la triste statistique de voir un meurtre sur dix au niveau mondial être commis sur son territoire, et avec un taux de vingt-neuf homicides pour 100 000 habitants, de se situer à un niveau comparable à celui de la République démocratique du Congo, qui est lui en guerre depuis vingt ans.

Absence de réponse étatique

Face à cette violence et aux nouvelles formes de précarisation, le gouvernement de Dilma Rousseff fait surtout preuve d’inefficacité. Pire, le monde politique brésilien reste marqué par une forte corruption et un gaspillage fréquent. Ces tares, la coupe du monde de football est venue les souligner de manière criante : un budget initial qui explose pour atteindre les onze milliards de dollars ? ; la répression parfois brutale des mouvements démocratiques, etc. L’ampleur des moyens déployés jette un éclairage froid sur le contre-champ de cette coupe du monde. Pourquoi dépenser autant pour des stades alors que cet argent aurait pu être dépensé pour l’éducation, les hôpitaux, les universités, les transports ou les emplois ?

Renouvellement du front social

Ce sont ces questions que se pose à juste titre le peuple brésilien. Plus que de se les poser, il refuse d’être le dindon d’une bien mauvaise farce. Les mouvements de mécontentement ont débuté dès 2012, prenant de plus en plus d’importance jusqu’à réunir plusieurs millions de personnes dans les rues des principales villes brésiliennes en mai 2013. Si le mouvement s’est depuis légèrement tassé, il a permis un renouvellement du front social brésilien. Le gouvernement du PT étant issu des milieux syndicaux et en partie cooptés par ces derniers, les luttes sur les lieux du travail ont eu de la peine à retrouver une posture d’opposition dans un premier temps. Le mécontentement social a remis la nécessité de la lutte au premier plan. Ainsi ces dernières semaines, on a assisté à des mouvements de grève dans les milieux professionnels suite à l’appel de différentes intersyndicales du personnel. Les employés du métro de São Paulo puis des aéroports de Rio ont exigé des augmentations de salaire, l’amélioration des conditions de travail ainsi qu’une prime pour le mondial. Si le gouvernement a d’abord répondu par une répression forte, force est de constater que ces mouvements ont obtenu des victoires partielles. Les employés du métro de São Paulo ont ainsi obtenu l’augmentation de salaire demandée.

Au-delà des milieux syndicaux, la lutte s’est également renouvelée par l’implication d’autres milieux précaires, ceux-là même qui sont les victimes d’une économie de travails temporaires et d’une insuffisance de logements abordables. Parmi eux, on retrouve beaucoup de jeunes, qui ont constitué la majorité des ma­ni­festant·e·s. Cette jeunesse refuse d’être une génération perdue : même si de plus en plus de jeunes peuvent obtenir un papier universitaire, cela ne leur permet pas de trouver des postes assurant une sécurité de vie. Ce mouvement composite a lui aussi connu des victoires partielles, le gouvernement ayant du promettre la construction de logements populaires.

Quelle que soit l’issue de ce mondial et même si on peut penser que les luttes connaîtront bien une certaine trêve durant son déroulement, le mécontentement social aura su se faire entendre, profiter de la couverture médiatique à son compte et devra continuer de lutter. Pour peut-être de plus grandes victoires.

* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° 250 (18/06/2014) p. 5.

Pierre Raboud

Professeur d’histoire à l’Université de Lausanne.
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Collaborateur au journal Solidarités (Suisse).

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